• 27 Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

              1 Albert Robida, petit clerc de notaire à Compiègne

     

     

    Pour poursuivre cette série consacrée aux notaires, dont la longueur s’explique par la richesse des illustrations anciennes les concernant, voici une page consacrée à un petit clerc de notaire, dit saute-ruisseau, qui devint l’un des plus grands caricaturistes de son temps : Albert Robida (1848-1926).

     

    Albert Robida est né le 14 mai 1848 à Compiègne, rue de Boucheries,  d’un père menuisier-ébéniste d’origine flamande et d’une mère d’origine alsacienne. Après sa scolarité à l’école primaire Hersan, sa belle écriture lui permit d’entrer, en 1862, à l’étude de Maître Rouard, un notaire de Compiègne. Il y occupa diverses fonctions jusqu’en 1865.

     

    Seulement, notre jeune clerc de notaire n’était guère passionné par ses taches de saute-ruisseau et de croque note.

     

     

    Selon certains de ses biographes, il déshonorait même l’étude par ses facéties, par exemple, en lançant, depuis les fenêtres, des boulettes sur les consommateurs du café de la Cloche !

     

     

     

     

    27 Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

    2 Albert Robida, rédacteur et illustrateur du « Manuel du parfait notaire » (1865)

     

     

    Pour occuper le temps, Albert Robida s’amusait également à caricaturer son entourage, notamment le personnel et les clients de l’étude notariale. C’est ainsi qu’il rédigea et illustra, en 1865, un petit cahier humoristique intitulé « Manuel du parfait notaire », qui lui valut d’être mis à la porte par son patron !

     

     

     

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

             2 bis Albert Robida, "Manuel du parfait notaire" (1865)

     

     

     

     

     

     

     

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            3 « Manuel du parfait notaire » d’Albert Robida (1865)

     

     

    Le très jeune clerc Robida avait notamment distillé dans ce manuscrit divers conseils pour faire un bon notaire comme : « Avoir fait son droit. – Être doué d’un physique agréable. – Bien écorcher les clients.- Ne jamais les faire crier.- Les flanquer à la porte s’ils crient. ».

     

     

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

    4 Albert Robida. Le droit mène à tout à condition d'en sortir !

     

     

    Après avoir été renvoyé de l’étude de maître Rouard, Albert Robida prit des cours de dessin gratuits dispensés par la ville de Compiègne, et il remporta un premier prix de dessin en 1866 (il avait bénéficié des enseignements de Félix Deligny). 

     

    Alors recommandé à Alexandre Dumas père par le caricaturiste Cham, Albert Robida partit, à l’âge de dix huit ans, à la conquête de Paris. Dès 1866, il fut engagé comme dessinateur de presse au Journal amusant. L’année suivante, il devint chroniqueur et caricaturiste de divers autres journaux (Paris-Caprice, Le Polichinelle, Paris Comique).

     

     

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

    5. Albert Robida. La grande mascarade parisienne. Une vie de polichinelle.

     

     

    Mais là où Albert Robida m’intéresse, c’est lorsqu’il évoque les gens de justice dans son monumental recueil : La grande mascarade parisienne. Une vie de polichinelle, dont il est l’auteur et l’illustrateur (1881-1884. En free access sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France). 

     

    En voici un petit résumé :

     

     

    Œil pour œil ! Dent pour dent ! Par un testament olographe, Timoléon Badinard, un riche bourgeois de Paris, à légué à Antony Cabassol, son cousin, jeune étudiant, la somme de cinq ou six millions, à la seule et unique condition de le venger, dans le délai de trois années, de 77 hommes, dont il a trouvé les photographies avec dédicaces compromettantes, dans l’album de sa femme.

     

    On retrouve donc, au fil de près de mille pages, un notaire et son principal clerc, exécuteurs testamentaires, ainsi que des juges et des avocats lors d'un procès mémorable.

     

     

     

     

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

          6 Maître Taparel, notaire, et Nestor Miradoux, principal clerc dudit.

     

     

    Ils étaient deux, l'un gros et  rond, l'autre long et sec, l'un rouge et chauve, l'autre jaune et chevelu, mais tous les deux sanglés dans une redingote noire, tous les deux majestueusement cravatés de blanc, tous les deux portant haut le nez surmonté de lunettes et  tous les deux porteurs d'un grand portefeuille noir bourré de papiers, évidemment timbrés.

     

    Le premier, le gros rond, rouge et chauve, n’était autre que Me Taparel, notaire, 82 rue du Bac, la meilleure étude de Paris ; le second, le monsieur long, sec, jaune et chevelu, avait le droit d'inscrire sur ses cartes de visite le nom harmonieux de Nestor Miradoux, avec celle qualification : Principal clerc de Me Taparel.

     

    — " Vous êtes bien dit le notaire en ouvrant sa serviette bourrée, de papiers, vous êtes bien monsieur Georges-Antony Cabassol, étudiant en... ,

    En ? répéta Cabassol.

    Oui, étudiant en quoi ?Pardon de vous avoir dérangé, dit enfin le notaire, mais est-ce bien à M. Antony Cabassol que j'ai l'honneur de parler ?

    A lui-même, fit d'un signe de tête Cabassol.

    Très bien ! Je suis Me Taparel, notaire à Paris, et je viens vous entretenir d'une affaire importante !

    Cabassol, tout à fait réveillé, bondit de son lit et  sembla chercher dans ses souvenirs.

    Voyons, étudiant en droit ou en médecine ? Ah! voilà, je ne suis pas encore décidé... j'attends... je consulte mes goûts..: il n'y a que quatre ans que je suis à Paris !

    Soit, mettons simplement étudiant, poursuivit Me Taparel.... né à Castelnaudary et cousin de M. Badinard.

    En qualité de notaire et d'exécuteur testamentaire de feu M. Badinard, je viens vous prier de vouloir bien m'accompagner jusqu'à mon étude pour y entendre la lecture du testament dudit. En me chargeant de l'exécution de ses dernières volontés, M. Badinard m'a recommandé de vous aller chercher moi-même à votre domicile et de vous emmener sans perdre une minute, et toute affaire cessante dans mon cabinet. Le testament ainsi qu'une petite boîte y annexée vous attendent, et je ne doute pas que la communication des dernières volontés de feu votre cousin ne vous soit agréable...

     

     

     

     

    27 Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

    7 Le testament de Timoléon Badinard (Albert Robida. La grande mascarade parisienne).

     

    Me Taparel avait sa voiture à la porte, les trois hommes y prirent place et roulèrent vers la rue du Bac. En arrivant les trois hommes traversèrent l'étude au grand émoi des clercs, évidemment instruits de la situation, et pénétrèrent dans le cabinet du notaire. Sans se presser, le notaire marcha vers une grande caisse de fer, l'ouvrit, en tira quelques papiers, ainsi qu'une boite fermée par de grands cachets rouges, et vint s'asseoir devant son grand bureau.

     

    Je commence donc, dit le notaire en tirant d'une enveloppe une feuille de papier timbré :

     

    « CECI EST MON TESTAMENT

    « Moi, Jean Timoléon Badinard, sain d'esprit, mais cloué par la goutte dans mon fauteuil, je déclare ici avoir le cœur navré et me sentir l'.âme profondément abattue par des désillusions conjugales. « Je viens de découvrir caché dans un guéridon de la chambre de ma femme, un album contenant 77 photographies masculines, portant pour la plupart des mentions et des dédicaces, qui me semblent compromettantes. Ma femme m'avait paru jusqu'ici au-dessus du soupçon, elle s'est toujours montrée, dans le cours de cinq années de vie conjugale, d'un caractère si parfaitement désagréable que je me croyais à l'abri des risques ordinaires. Je me, trompais, elle me trompait!

    « Après de mûres réflexions, et dans l'impossibilité où je suis, vu ma goutte, de courir sus aux 77 personnages de l'album, aux, 77 infâmes qui l'ont si affreusement compromise à mes yeux, j'ai résolu de  tirer d'eux une vengeance aussi éclatante, que possible par procuration. En conséquence, je donne et lègue à M. Àntony Cabassol, mon cousin, toute ma fortune particulière, montant à quatre millions, clairs et nets, à la condition expresse que ce jeune homme se fera; mon vengeur, et, sans marchander ses peines et ses soins, infligera la peine du talion à chacun de mes 77 rivaux.

    «Œil pour œil ! Dent pour dent ! Photographie pour photographie ! Mon rêve serait qu'un jour chacun de mes soixante-dix-sept ennemis découvrît dans le guéridon de son épouse — ou de sa maîtresse, le portrait de Cabassol, mon vengeur !

    « J'accorde trois années à M. Àntony Cabassol, pour compromettre 77 personnes; je charge Me Taparel, mon ami, de surveiller ses opérations et de lui délivrer largement les fonds nécessaires, au fur et à mesure des nécessités de ma vengeance.

    « S'il se montre indigne de ma confiance et s'il ne fournit pas au bout des trois années 77 vengeances constatées, ma fortune, frais déduits, devra servir à élever dans un endroit sain et désert, à vingt-cinq lieues environ de Paris, et autant que possible près d'un cours d'eau et dans un siye agréable, un refuge pour les 77 maris maltraités par le sort.

    « Je nomme Me Taparel et son principal clerc, M. Nestor Miradoux, mes exécuteurs testamentaires, et je les charge de veiller à la stricte exécution de mes volontés.

    « Saint Germain. le 18 août 18...;.

    « TlMOLÉON BADINARD. »

     

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

    8 Le procès Badinard et Cabassol : une audience mouvementée (Albert Robida. La grande mascarade parisienne).

     

     

    Par suite de révélations et maintes mésaventures, la mission imposée à Cabassol pour hériter de la fortune du défunt Timélon Badinard, vint à être connue des 77 personnages de l’album.

     

    Ceux-ci intentèrent un procès contre Cabassol et Me Badinard où le tout Paris put assister à de multiples incidents d’audience entre les témoins, les accusés et leurs avocats, sous l’œil médusé des juges ! 

     

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

    9 Le procès Badinard et Cabassol : échange d’arguments (Albert Robida. La grande mascarade parisienne).

     

     

     

     

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    10 La succession Badinard a été entièrement dévorée (Albert Robida. La grande mascarade parisienne).

     

     

    Antony Cabassol apprend du notaire, Me Badinard, qu’il est entièrement ruiné.

     

     

     

     

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    11 Ils se marièrent et eurent beaucoup… d’argent (Albert Robida. La grande mascarade parisienne).

     

     

    Mais notre jeune étudiant en droit ou en médecine (il ne s’est jamais décidé !) ne se décourage pas. Il se lance dans le journalisme et la politique, et se marie avec une riche dame inscrite sous le n° 632 du registre de la grande agence matrimoniale La Clef des Cœurs 

     

     

     

     

     

    Albert Robida, petit clerc de notaire devenu caricaturiste

    12 Un notaire abattu, Maître Badinard (Albert Robida. La grande mascarade parisienne)

     

     

     

     

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    13 La Place du Pré aux Clercx, par Albert Robida (série du Vieux Paris)

     

     

     

    Le Pré aux clercs était une célèbre prairie de Paris où, depuis Philippe Lebel, se réunissaient chaque année, les clercs du Palais (le Parlement de Paris), ceux des provinces et leurs suppôts.

     

    C’est également dans cette prairie que les clercs du Palais jugeaient les différends qui s’élevaient entre eux.

     

     

    De plus, les étudiants de l’Université de Paris, eux-mêmes appelés clercs, venaient s’y détendre entre les cours, et parfois s’y battre en duel.

     

    Aujourd'hui, la rue du Pré-aux-Clercs, située dans le 7ème arrondissement de Paris, perpétue ces souvenirs.