-
30. Le notaire dans l’Ecole des femmes de Molière
1 L’Ecole des femmes de Molière. Frontispice de l’édition de 1682, par P. Brissard, gravé par J. Sauvé
Dans l'Ecole des femmes, le notaire est un bavard qui fatigue Arnolphe, qui l'a fait appeler pour son mariage, mais qui, inquiet et préoccupé, n'est guère disposé à le suivre dans l’étalage de sa vaste érudition (dans la 1ère édition, le notaire n’apparaissait pas !).
Dans la scène 2 de l’acte IV de cette pièce, le notaire disserte longuement et de manière savante sur le douaire (portion de biens qui était donnée à une femme par son mari à l'occasion du mariage, dont elle jouissait pour son entretien après la mort de son mari, et qui descendait après elle à ses enfants).
Voici l’enregistrement audio, réalisé le 16 mars 1951 au Colonial Théâtre de Boston aux Etats-Unis, de cette scène 2 de l’acte IV de la pièce de l’Ecole des Femmes, jouée par Louis Jouvet et sa compagnie. Le notaire est interprété par Michel Etcheverry, et Arnolphe, par Louis Jouvet lui-même, quelques jours avant sa disparition.
L'Ecole des femmes, 16 mars 1951, Louis Jouvet et Michel Etcheverry
L’ECOLE DES FEMMES
ACTE IV. SCÈNE II (Le notaire, Arnolphe)
LE NOTAIRE
Ah le voilà! Bonjour, me voici tout à point
Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire.
ARNOLPHE, sans le voir.
Comment faire?
LE NOTAIRE
Il le faut dans la forme ordinaire.
ARNOLPHE, sans le voir.
À mes précautions je veux songer de près.
LE NOTAIRE
Je ne passerai rien contre vos intérêts.
ARNOLPHE, sans le voir.
Il se faut garantir de toutes les surprises.
LE NOTAIRE
Suffit qu'entre mes mains vos affaires soient mises,
Il ne vous faudra point de peur d'être déçu,
Quittancer le contrat que vous n'ayez reçu.
ARNOLPHE, sans le voir.
J'ai peur si je vais faire éclater quelque chose
Que de cet incident par la ville on ne cause.
LE NOTAIRE
Hé bien il est aisé d'empêcher cet éclat,
Et l'on peut en secret faire votre contrat.
ARNOLPHE, sans le voir.
Mais comment faudra-t-il qu'avec elle j'en sorte?
LE NOTAIRE
Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte.
ARNOLPHE, sans le voir.
Je l'aime, et cet amour est mon grand embarras.
LE NOTAIRE
On peut avantager une femme en ce cas.
ARNOLPHE, sans le voir.
Quel traitement lui faire en pareille aventure?
LE NOTAIRE
L'ordre est que le futur doit douer la future
Du tiers du dot qu'elle a, mais cet ordre n'est rien,
Et l'on va plus avant lorsque l'on le veut bien.
ARNOLPHE, sans le voir
Si…
LE NOTAIRE, Arnolphe l'apercevant.
Pour le préciput, il les regarde ensemble,
Je dis que le futur peut comme bon lui semble
Douer la future.
ARNOLPHE, l'ayant aperçu.
Euh !
LE NOTAIRE
Il peut l'avantager
Lorsqu'il l'aime beaucoup et qu'il veut l'obliger,
Et cela par douaire, ou préfix qu'on appelle,
Qui demeure perdu par le trépas d'icelle,
Ou sans retour, qui va de ladite à ses hoirs,
Ou coutumier, selon les différents vouloirs,
Ou par donation dans le contrat formelle,
Qu'on fait, ou pure et simple, ou qu'on fait mutuelle;
Pourquoi hausser le dos? Est-ce qu'on parle en fat,
Et que l'on ne sait pas les formes d’un contrat?
Qui me les apprendra? Personne; je présume.
Sais-je pas qu'étant joints on est par la coutume,
Communs en meubles, biens, immeubles et conquêts84,
À moins que par un acte on y renonce exprès?
Sais-je pas que le tiers du bien de la future
Entre en communauté ? pour…
ARNOLPHE
Oui, c'est chose sûre,
Vous savez tout cela, mais qui vous en dit mot ?
LE NOTAIRE
Vous qui me prétendez faire passer pour sot,
En me haussant l'épaule, et faisant la grimace.
ARNOLPHE
La peste soit fait l'homme, et sa chienne de face.
Adieu. C'est le moyen de vous faire finir.
LE NOTAIRE
Pour dresser un contrat m'a-t-on pas fait venir ?
ARNOLPHE
Oui, je vous ai mandé: mais la chose est remise,
Et l'on vous mandera quand l'heure sera prise.
Voyez quel diable d'homme avec son entretien?
LE NOTAIRE
Je pense qu'il en tient, et je crois penser bien.