• 32 Le notaire dans le Malade imaginaire de Molière

     

     

     

    Le Malade imaginaire de Molière. Frontispice de l'édition de 1682, par P. Brissard

    1 Le Malade imaginaire de Molière. Frontispice de l'édition de 1682, par P. Brissard, gravé par J. Sauvé

     

     

    Dans la comédie-ballet du Malade imaginaire, dernière pièce de Molière, le notaire, Monsieur Bonnefoi (ou Bonnefoy selon les éditions), est consulté par Argan qui envisage de rédiger son testament (Acte I, scène VII).  Bien qu’il ait eu deux enfants d’un premier mariage, Argan souhaite léguer toute sa fortune à celle qu’il a épousée en secondes noces, Béline. 

     

     

     

     

     

    La rédaction du testament par le notaire sous l’Ancien Régime

         2 La rédaction du testament par le notaire sous l’Ancien Régime

     

     

     

    Dans un premier temps, le notaire, Maître Bonnefoi, en homme de lois scrupuleux, refuse d’insérer dans le testament une telle disposition contraire aux règles de la coutume régissant à cette époque le Nord de la France (il s’agissait des articles 280 et 282 de la Coutume de Paris). 

     

     

        ART. 280. «Homme et femme conjoints par mariage, étant en santé, peuvent et leur loist faire donation mutuelle l'un à l'autre également de tous leurs biens, meubles et conquêts immeubles, faits durant et constant leur mariage, et qui sont trouvés à eux appartenir et être communs entre eux à l'heure du trépas du premier mourant desdits conjoints: pour en jouir par le survivant d'iceux conjoints, sa vie durant seulement, en bailant par lui caution suffisante de restituer lesdits biens après son trépas, pourvu qu'il n'y ait enfants soit des deux conjoints ou de l'un d'eux, lors du décès du premier mourant. »  

     

    ART. 282. « Homme et femme conjoints par mariage, constant icelui, ne peuvent avantager l'un l’autre par donation faite entre-vifs, par testament ou ordonnance de dernière volonté ne autrement, directement ne indirectement, en quelque manière que ce soit, sinon par don mutuel, tel que dessus ».

     

     

    C’est ainsi l’occasion pour Molière de donner à Argan (et au public) une leçon de droit sans la moindre faille :

     

     

    LE NOTAIRE s’adressant à Argan :

     

     « La coutume y résiste. Si vous étiez en pays de droit écrit, cela se pourrait faire; mais à Paris et dans les pays coutumiers, au moins dans la plupart, c'est ce qui ne se peut et la disposition serait nulle. Tout l'avantage qu'homme et femme conjoints par le mariage se peuvent faire l'un à l'autre, c'est un don mutuel entre-vifs; encore faut-il qu'il n'y ait enfants soit des deux: conjoints ou de l'un d'eux, lors du décès du premier mourant. »

     

     

     

     

     

    Costume de Monsieur Bonnefoy, le notaire du Malade imaginaire de Molière par Marcel Multzer

    3 Costume de Monsieur Bonnefoy, le notaire du Malade imaginaire de Molière par Marcel Multzer (Source : Gallica Bibliothèque nationale de France).

     

     

    Puis, dans un second temps, Maître Bonnefoi, en notaire un peu moins scrupuleux propose à Argan divers montages susceptibles de contourner la règle de la Coutume de Paris et donc de dépouiller ses enfants : 

     

     

     ARGAN

     Voilà une coutume bien impertinente, qu'un mari ne puisse rien laisser à une femme, dont il est aimé tendrement, et qui prend de lui tant de soin. J'aurais envie de consulter mon avocat, pour voir comment je pourrais faire.

     

    LE NOTAIRE

     

    Ce n'est point à des avocats qu'il faut aller, car ils sont d'ordinaire sévères là-dessus, et s'imaginent que c'est un grand crime, que de disposer en fraude de la loi. Ce sont gens de difficultés, et qui sont ignorants des détours de la conscience. Il y a d'autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes; qui ont des expédients pour passer doucement par-dessus la loi, et rendre juste ce qui n'est pas permis; qui savent aplanir les difficultés d'une affaire, et trouver des moyens d'éluder la coutume, par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions-nous tous les jours? Il faut de la facilité dans les choses, autrement nous ne ferions rien, et je ne donnerais pas un sou de notre métier.

     

    ARGAN

     

     Ma femme m'avait bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s'il vous plaît, pour lui donner mon bien, et en frustrer mes enfants ?

     

    LE NOTAIRE

     

     Comment vous pouvez faire? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme, auquel vous donnerez en bonne forme par votre testament tout ce que vous pouvez; et cet ami ensuite lui rendra tout. Vous pouvez encore contracter un grand nombre d'obligations, non suspectes, au profit de divers créanciers, qui prêteront leur nom à votre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration, que ce qu'ils en ont fait n'a été que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre ses mains de l'argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir, payables au porteur.