• 5 Le notaire dans la Comédie humaine d'Honoré de Balzac

     

     

     

    5 Le notaire dans la Comédie humaine d'Honoré de Balzac

    1 « Chaque notaire porte en soi les débris d'un poète » (citation de Gustave Flaubert. Dessin de Jules-Jean-Antoine Baric) 

     

     

    Parallèlement à ses études à la Faculté de Droit de Paris, qu’il abandonna, Honoré de Balzac fut clerc de notaire à l’étude de Maître Passez jusqu’en 1819-1820 (voir le chapitre 2 : Honoré de Balzac, clerc de notaire). Nourri dans le sérail, de tous les gens de justice, ce sont donc les notaires qui sont les plus représentés dans les ouvrages d’Honoré de Balzac réunis dans la Comédie humaine.

     

    En voici quelques exemples (sans exhaustivité) :

     

     

      

                                  I

     

     

     

     

    Honoré de Balzac, Le contrat de mariage

                                2 Honoré de Balzac, Le contrat de mariage

     

     

    Dans le Contrat de Mariage, qui date de 1835, Honoré de Balzac décrit deux sortes de notaires :

     

    D’un côté, le notaire traditionnel et scrupuleux, qui représente l’ancien notariat en la personne de Maître Mathias. Ce dernier gère avec sagesse l’immense fortune paternelle du jeune Comte Paul de Manerville, un dandy.

     

    De l’autre, le jeune notaire modern-style en la personne de Maître Solonet. Celui-ci défend les intérêts de madame Évangélista, veuve d’un banquier espagnol, et dont la fille Nathalie vient d’épouser Paul de Manerville.

     

    Les deux notaires se rencontrent pour régler la question du contrat de mariage de chacune des parties qu’ils représentent. 

     

    Honoré de Balzac les décrit longuement. 

     

     

     

     

    5 Le notaire dans la Comédie humaine d'Honoré de Balzac

                                           3 Le bon monsieur Mathias

     

     

     

    Maître Mathias était un vieux bonhomme âgé de soixante-neuf ans, et qui se faisait gloire de ses vingt années d’exercice en sa charge. Ses gros pieds de goutteux étaient chaussés de souliers ornés d’agrafes en argent, et terminaient ridiculement des jambes si menues, à rotules si saillantes que, quand il les croisait, vous eussiez dit les deux os gravés au-dessus des ci-gît. Ses petites cuisses maigres, perdues dans de larges culottes noires à boucles, semblaient plier sous le poids d’un ventre rond et d’un torse développé comme l’est le buste des gens de cabinet, une grosse boule toujours empaquetée dans un habit vert à basques carrées, que personne ne se souvenait d’avoir vu neuf. Ses cheveux, bien tirés et poudrés, se réunissaient en une petite queue de rat, toujours logée entre le collet de l’habit et celui de son gilet blanc à fleurs.

     

     

    Avec sa tête ronde, sa figure colorée comme une feuille de vigne, ses yeux bleus, le nez en trompette, une bouche à grosses lèvres, un menton doublé, ce cher petit homme excitait partout où il se montrait sans être connu le rire généreusement octroyé par le Français aux créations falottes que se permet la nature, que l’art s’amuse à charger, et que nous nommons des caricatures.

     

     

    Mais chez maître Mathias l’esprit avait triomphé de la forme, les qualités de l’âme avaient vaincu les bizarreries du corps. La plupart des Bordelais lui témoignaient un respect amical, une déférence pleine d’estime. La voix du notaire gagnait le cœur en y faisant résonner l’éloquence de la probité. Pour toute ruse, il allait droit au fait en culbutant les mauvaises pensées par des interrogations précises. Son coup d’œil prompt, sa grande habitude des affaires lui donnaient ce sens divinatoire qui permet d’aller au fond des consciences et d’y lire les pensées secrètes.

     

     

    Quoique grave et posé dans les affaires, ce patriarche avait la gaieté de nos ancêtres. Il devait risquer la chanson de table, admettre et conserver les solennités de famille, célébrer les anniversaires, les fêtes des grand’mères et des enfants, enterrer avec cérémonie la bûche de Noël ; il devait aimer à donner des étrennes, à faire des surprises et offrir des œufs de Pâques ; il devait croire aux obligations du parrainage et ne déserter aucune des coutumes qui coloraient la vie d’autrefois.

     

     

    Maître Mathias était un noble et respectable débris de ces notaires, grands hommes obscurs, qui ne donnaient pas de reçu en acceptant des millions, mais les rendaient dans les mêmes sacs, ficelés de la même ficelle ; qui exécutaient à la lettre les fidéicommis, dressaient décemment les inventaires, s’intéressaient comme de seconds pères aux intérêts de leurs clients, barraient quelquefois le chemin devant les dissipateurs, et à qui les familles confiaient leurs secrets ; enfin l’un de ces notaires qui se croyaient responsables de leurs erreurs dans les actes et les méditaient longuement. Jamais, durant sa vie notariale, un de ses clients n’eut à se plaindre d’un placement perdu, d’une hypothèque ou mal prise ou mal assise. Sa fortune, lentement mais loyalement acquise, ne lui était venue qu’après trente années d’exercice et d’économie. Il avait établi quatorze de ses clercs.

     

     

    Religieux et généreux incognito, Mathias se trouvait partout où le bien s’opérait sans salaire. Membre actif du comité des hospices et du comité de bienfaisance, il s’inscrivait pour la plus forte somme dans les impositions volontaires destinées à secourir les infortunes subites, à créer quelques établissements utiles. Aussi ni lui ni sa femme n’avaient-ils de voiture, aussi sa parole était-elle sacrée, aussi ses caves gardaient-elles autant de capitaux qu’en avait la Banque, aussi le nommait-on le bon monsieur Mathias, et quand il mourut y eut-il trois mille personnes à son convoi.

     

     

     

    5 Le notaire dans la Comédie humaine d'Honoré de Balzac

                              4 Le jeune notaire Solonet et son vieux confrère Mathias

     

     

    Solonet était ce jeune notaire qui arrive en fredonnant, affecte un air léger, prétend que les affaires se font aussi bien en riant qu’en gardant son sérieux ; le notaire capitaine dans la garde nationale, qui se fâche d’être pris pour un notaire, et postule la croix de la Légion d’Honneur, qui a sa voiture et laisse vérifier les pièces à ses clercs ; le notaire qui va au bal, au spectacle, achète des tableaux et joue à l’écarté, qui a une caisse où se versent les dépôts et rend en billets de banque ce qu’il a reçu en or, le notaire qui marche avec son époque et risque les capitaux en placements douteux, spécule et veut se retirer riche de trente mille livres de rente après dix ans de notariat ; le notaire dont la science vient de sa duplicité, mais que beaucoup de gens craignent comme un complice qui possède leurs secrets ; enfin, le notaire qui voit dans sa charge un moyen de se marier à quelque héritière en bas bleus.

     

     

    Quand le mince et blond Solonet, frisé, parfumé, botté comme un jeune premier du Vaudeville, vêtu comme un dandy dont l’affaire la plus importante est un duel, entra précédant son vieux confrère, retardé par un ressentiment de goutte, ces deux hommes représentèrent au naturel une de ces caricatures intitulées JADIS ET AUJOURD’HUI, qui eurent tant de succès sous l’Empire.

     

     

    Si madame et mademoiselle Évangélista, auxquelles le bon monsieur Mathias était inconnu, eurent d’abord une légère envie de rire, elles furent aussitôt touchées de la grâce avec laquelle il les complimenta. La parole du bonhomme respira cette aménité que les vieillards aimables savent répandre autant dans les idées que dans la manière dont ils les expriment. Le jeune notaire, au ton sémillant, eut alors le dessous. Mathias témoigna de la supériorité de son savoir-vivre par la façon mesurée avec laquelle il aborda Paul. Sans compromettre ses cheveux blancs, il respecta la noblesse dans un jeune homme en sachant qu’il appartient quelques honneurs à la vieillesse et que tous les droits sociaux sont solidaires. Au contraire, le salut et le bonjour de Solonet avaient été l’expression d’une égalité parfaite qui devait blesser les prétentions des gens du monde et le ridiculiser aux yeux des personnes vraiment nobles. Le jeune notaire fit un geste assez familier à madame Évangélista pour l’inviter à venir causer dans une embrasure de fenêtre. Durant quelques moments l’un et l’autre se parlèrent à l’oreille en laissant échapper quelques rires, sans doute pour donner le change sur l’importance de cette conversation, par laquelle maître Solonet communiqua le plan de la bataille à sa souveraine.

     

     

     

     

                                                   II

     

     

     

    5 Le notaire dans la Comédie humaine d'Honoré de Balzac

    5 « Notaire, comme on était autrefois. Notaire quand il marche, quand il dort »

     

     

    Dans Le Cousin Pons, Hononré de Balzac décrit le sage notaire Léopold Hannequin en ces termes :

     

     

    Eh ! j'ai ton affaire dit la danseuse, le notaire de Florine, de la comtesse de Bruel, Léopold Hannequin, un homme vertueux qui ne sait pas ce qu'est une lorette. C'est comme un père de hasard, un brave homme qui vous empêche de faire des bêtises avec l'argent qu'on gagne; je l'appelle la mort aux rats car il a inculqué des principes d'économie à toutes mes amies.

     

     

    D'abord, il a, mon cher, soixante mille francs de rente, outre son étude.

     

     

    Puis il est notaire comme on était notaire autrefois ! Il est notaire quand il marche, quand il dort; il a dû ne faire que de petits notaires et de petites notairesses.

     

     

    Enfin c'est un homme lourd et pédant; mais c'est un homme à ne fléchir devant aucune puissance quand il est dans ses fonctions.

     

     

    C'est adoré de sa femme, qui ne le trompe pas quoique femme de notaire. Que veux-tu? il n’y a pas mieux dans Paris en fait de notaire. C'est patriarche; ça n'est pas drôle et amusant comme était Cardot avec Malaga, mais ça ne lèvera jamais le pied, comme le petit Chose qui vivait avec Antonia. J'enverrai mon homme demain matin à huit heures. Tu peux dormir tranquillement.

     

     

     

     

     

                                                   III

     

     

     

    5 Le notaire dans la Comédie humaine d'Honoré de Balzac

                    6 Maître Cardot, notaire à Paris, successeur de Corbier

     

     

     

    Dans Un début dans la vie, Honoré de Balzac décrit en Maître Cardot un notaire « drôle et amusant » à la tête de la plus belle étude de la capitale et richement marié. « Né prié * »,  amant de Malaga, il fréquente assidûment le demi-monde. Il avance même des fonds au vicomte d'Esgrignon en s’abstenant de lui donner les bons conseils dont il a besoin. Au contraire, il lui donne de dangereux conseils :

     

    - Tirez quelques lettres de change sur le banquier de votre père, portez-les à son correspondant qui les escomptera sans doute, puis écrivez à votre famille de remettre les fonds chez ce banquier.

     

    *  « Il est né prié, il n'a pas besoin d'être invité chaque fois, il est toujours censé l'être » (Dictionnaire d’Emile Littré).

     

     

     

     

                                                      IV

     

     

     

     

    5 Le notaire dans la Comédie humaine d'Honoré de Balzac

                                                     7 Le Cabinet des Antiques

     

     

     

    Dans le Cabinet des Antiques, Honoré de Balzac dessine le portrait d’un « bon et vénérable » notaire, veuf et sans enfants, Maître Chesnel. Ancien intendant du marquis d’Eagrignon, il s’occupe des affaires du fils de ce dernier, Victurnien, un dandy fêtard qui dépense sans compter son argent.

     

     

    Le notaire Chesnel se ruine en réparant les escapades et les aventures de Victurnien pour sauvegarder l'honneur des d'Esgrignon. De dix-huit à vingt-et-un ans Victurnien lui coûte près de mille quatre-vingt francs. Il lui adresse la lettre suivante :

     

     

    « Monsieur le Comte, Il ne me reste, de toute ma fortune, que deux cent mille francs; je vous supplie de ne pas aller au delà, si vous faites l'honneur de les prendre au plus dévoué des serviteurs de votre famille et qui vous présente ses respects. Chesnel ».

     

     

    A l'âge de soixante-neuf ans, Maître Chesnel a  la confiance de toute la ville, il y est considéré; « sa haute probité, sa grande fortune contribuent à lui donner de l'importance ».

     

     

    Balzac, en comparant les rapports entre le notaire et Victurnien à ceux qui existent entre Dédale et Icare, dit: « Ne faut-il pas remonter jusqu'à la mythologie pour trouver des comparaisons dignes de cet homme antique ? Il n'a qu'un défaut, il mange toujours trop. Hélas sans ce petit défaut, n'eût-pas été plus parfait qu'il n'est permis à un homme de l’être ? »