•  

     

     

     

    Main de Justice du Sacre de Napoléon Ier (Sculpture en ivoire de M.-G. Biennais. 1804. Musée du Louvre)

    1 Main de Justice du Sacre de Napoléon Ier (Sculpture en ivoire de M.-G. Biennais. 1804. Musée du Louvre). 

     

     

        Quésaco ou Quèsaco (Qu’est-ce que c’est ?). La Main de Justice, je le rappelle (voir les quatre précédentes pages), est l’un des insignes du pouvoir royal en France (Regelia des Rois de France). Elle symbolise le pouvoir du roi de rendre la justice, donc l’autorité judiciaire.

     

        On en retrouve la trace au Moyen-âge, à la fin de la dynastie des Capétiens de la ligne directe (ils régnèrent jusqu’en 1328), ou au début de celle des Valois (ils régnèrent de 1328 à 1589). Elle prenait la forme d’un bâton ornemental de 0,591 mètre sur lequel était posée une main en ivoire de 7 cm.

     

        Elle était remise, lors de la cérémonie du sacre, après le sceptre royal (symbole du bâton de berger conduisant son peuple), au nouveau souverain qui la tenait dans la main gauche. Puis, après la cérémonie, elle était conservée à l’abbaye royale de Saint-Denis, jusqu’au prochain sacre (la Convention nationale [1792-1795], détruisit l’originale de la Main de Justice des rois de France).

     

       L’énigme des doigts de la Main de Justice du Sacre de Napoléon Ier. Traditionnellement, les trois premiers doigts de la Main de Justice sont ouverts vers le ciel. Le pouce évoque le Roi de France ; l’index, la raison ; le majeur, la charité (ces trois doigts symbolisaient également la Trinité). Les deux derniers doigts, eux, sont repliés (ils feraient référence à la foi catholique). Le problème, pour les artistes de l’époque du sacre de Napoléon Ier (2 décembre 1804), est qu’ils ne pouvaient consulter des sites sur Internet pour le savoir. Aussi, certains d’entre eux, représentèrent-ils dans leurs œuvres (sculptures ou peintures) commandées par Napoléon, avant ou après son sacre, la Main de Justice, tantôt les trois premiers doigts ouverts, tantôt les cinq doigts ouverts, sans jamais fournir la moindre explication, autrement dit le mode d’emploi.

     

      La Main de Justice (image n°1), sculptée par Martin-Guillaume Biennais (1744-1863), est parfaitement fidèle à la règle millénaire des trois doigts ouverts. Ce « Marchand tabletier – ébéniste et éventailliste », installé à Paris, rue Saint Honoré (boutique Au Singe Violet), était devenu, sous le Consulat, le fournisseur de Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, et il le resta, sous le Premier Empire, après le sacre de celui-ci. Il exécuta la commande de l’Empereur, en 1804, donc l’année même de son sacre.

     

     

     

     

     

     

    Napoléon Ier sur le trône impérial (Huile sur toile de Jean-Auguste-Dominique Ingres.1806. Musée de l’Armée de Paris)

    2 Napoléon Ier sur le trône impérial (Huile sur toile de Jean-Auguste-Dominique Ingres.1806. Musée de l’Armée de Paris).

     

     

        Main de Justice aux trois premiers doigts ouverts. Ce tableau d’Ingres (1780-1867) représente l'empereur Napoléon Ier en costume du Sacre, assis sur son trône, posé sur un tapis où est reproduit l’aigle, l’oiseau de Jupiter, emblème de la Rome impériale, associé aux victoires militaires. Dans sa main droite, Napoléon tient le sceptre royal (celui de Charles V), devenu impérial, et, dans sa main gauche, la Main de Justice, dont les trois premiers doigts sont parfaitement ouverts (il porte également le collier de la Légion d’honneur, la couronne et le manteau impérial).

     

     

     

     

     

     

     

    Napoléon Ier sur le trône impérial (Huile sur toile de Jacques-Louis David. 1805. Palais des Beaux-Arts. Lille)

    3 Napoléon Ier sur le trône impérial (Huile sur toile de Jacques-Louis David. 1805. Palais des Beaux-Arts. Lille).

     

     

        Main de Justice aux cinq doigts ouverts. Jacques-Louis David (1748-1825), ancien révolutionnaire, député sous la Convention, grand admirateur de Robespierre, se prit de passion pour Napoléon Bonaparte et reçut de celui-ci le titre de « Premier peintre » de l’empereur qui lui commanda plusieurs toiles de la cérémonie de son sacre.

     

       Celle-ci (n° 3) est singulière puisqu’elle représente Napoléon sur une estrade tenant les deux emblèmes dits « des honneurs » : dans sa main droite le sceptre à l’aigle impérial, et, dans sa main gauche, la Main de Justice, dont tous les doigts sont ouverts, contrairement à l’ancienne Main de Justice des Rois de France, présentant seulement les trois premiers doigts ouverts ! C’est d’autant plus curieux que David était présent lors de la cérémonie du sacre et qu’il a en profité pour faire une multitude de croquis et de dessins dont il se servit plus tard pour ses peintures représentant Napoléon en costume impérial.

     

     

     

     

     

     

    Napoléon Ier en costume du Sacre (Huile sur toile de François Gérard. 1805. Château de Versailles)

    4 Napoléon Ier en costume du Sacre (Huile sur toile de François Gérard. 1805. Château de Versailles).

     

     

      Main de Justice aux cinq doigts ouverts. Mais Jacques-Louis David n’est pas le seul peintre classique ou néo-classique de l’Empire à avoir représenté la Main de Justice, remise à Napoléon lors de son sacre, les cinq doigts ouverts. Par exemple, François Gérard (1770-1837), dit Baron Gérard, élève de Jacques-Louis David, devenu peintre de la Cour impériale, fit de même avec cette Main de Justice posée sur un coussin.

     

     

     

     

     

     

     

    Napoléon Ier en costume du Sacre (Huile sur toile de Girodet. Vers 1812. Bower Museum à Barnard Castle, dans le Comté anglais de Durham)

    5 Napoléon Ier en costume du Sacre (Huile sur toile de Girodet. Vers 1812. Bower Museum à Barnard Castle, dans le Comté anglais de Durham). 

     

     

        Main de Justice aux cinq doigts ouverts. Pareillement de la Main de Justice posée sur la table près de Napoléon, dans ce tableau d’Anne-Louis Girodet (1767-1824), un autre élève de Jacques-Louis David. Quant au globe représenté sur le coussin, il évoque l’empire de Charlemagne. 


  •  

     

     

     

    Clovis III ou IV et la Main de Justice (Georges Rouget. 1838)

    Clovis et la Main de Justice (peinture à l’huile sur toile de Georges Rouget. 1838. Musée national du Château de Versailles et de Trianon).

     

        Voici, dans cette série consacrée au symbole royal de la « Main de Justice », et à sa représentation illustrée, une peinture de Georges Rouget (1783-1869), réalisée en 1838.

      

       Elle représente l’un des rois de la dynastie des Mérovingiens, qui régna sur une très grande partie de la France et de la Belgique actuelles, ainsi que sur une partie de l'Allemagne, de la Suisse et des Pays-Bas, du V e siècle jusqu'au milieu du VIII e siècle.

     

      Il s’agirait même, selon l’intitulé officiel du tableau, de « Clovis III, roi d’Austrasie. », dit L’Imposteur, qui régna de 675 à 676. Toutefois, certains spécialistes mettent en garde contre la réalité de ce portrait, et pensent qu’il représente plutôt le jeune roi Clovis IV, fils du roi Thierry III et de Clotilde, qui accéda au trône à l’âge de 13 ans, et mourut à l’âge de 17 ans (son frère, Childebert, reprit la tête du royaume).

     

        Quant à moi, je n’en sais strictement rien, mais je constate qu’il s’agit d’un adolescent ou très jeune homme porteur de la « Main de Justice » en ivoire, symbole du pouvoir judiciaire du roi, dont les trois premiers doigts sont levés (le pouce représente le roi ; l’index la raison, le majeur la sécurité), et les deux autres repliés (ils font référence à la foi catholique). Au demeurant, j’admets que la réalité de la scène puisse prêter à discussion, car nul ne sait vraiment si, au VIIème siècle, la Main de Justice était utilisée lors du sacre des rois. En général, les historiens pensent qu’elle est apparue, si ce n’est sous le règne des Carolingiens (781-987), au moins sous celui des derniers Capétiens directs (987-1328) ou des premiers Valois qui leur ont succédé.


  •  

     

     

     

     

    Saint-Louis, la Main de Justice et son page (Le Gréco).

    Le roi Saint-Louis tenant la Main de Justice, et son page (peinture à l’huile d’El Greco, entre 1590 et 1600. Musée du Louvre). 

     

     

        Dans cette toile conservée au musée du Louvre depuis 1903, Domenico Theotocopoulos, dit El Greco (Le Gréco), portraiture le roi de France Louis-IX, futur Saint-Louis (1226-1270), petit-fils d’Alphonse VIII, roi de Castille et de Tolède. Il est vêtu d’une armure (guerrier, il avait participé à la 8ème croisade de l’année 1270, où il mourut à Carthage du typhus), avec trois insignes des pouvoirs royaux (Regelia des Rois de France). D’une part, le sceptre qui symbolise le bâton du berger conduisant son peuple. D’autre part, la couronne, symbole du royaume. Enfin, la Main de Justice qui représente la justice ou l’autorité judiciaire (le roi pouvant rendre la justice). Près de lui, un jeune garçon, le page, tient l’heaume en acier du roi Saint-Louis, représentatif de la chevalerie.

     

       Sur le symbole royal de la Main de Justice en ivoire avec ses trois premiers doigts levés (pouce, index et majeur), je vous renvoie aux explications données dans une précédente page de ce blog :

    http://droiticpa.eklablog.com/main-de-justice-en-chromos-a209802190

     

     

      Quant à la représentation du visage allongé, amaigri et pâle de Saint-Louis par Le Gréco, il va sans dire qu’elle est bien éloignée de celle de l’imagerie traditionnelle française.  

     

     

     

     


  •  

     

     

     

    La Main de Justice en enluminures du Moyen-âge.

    1 Portrait du roi Hugues Capet tenant la Main de Justice (miniature d’un manuscrit du XIIIème ou du XIVème siècle. Source : Bibliothèque Nationale de France).

     

      Voici deux enluminures ou miniatures (du latin miniatulus, « coloré au minimum »), du Moyen-âge, exécutées à la main par des enlumineurs pour illustrer des manuscrits de l’époque (du latin manus « les mains » ; et scribere « écrire »). 

     

      La première miniature (ci-dessus, n° 1), représente Hugues Capet à l’origine de la dynastie capétienne, né vers 931-932 et mort en 996. Il fut sacré roi des Francs sous le nom d’Hugues Ier, le 3 juillet 987, dans la cathédrale de Noyon par l’évêque de Reims, Adalbéron. L’enlumineur l’a représenté tenant, dans sa main gauche, la Main de Justice, le symbole du pouvoir judiciaire du roi, dont les trois premiers doigts sont levés (le pouce représente le roi ; l’index la raison, le majeur la sécurité), et les deux autres repliés (ils font référence à la foi catholique).

     

       Sur le symbole royal de la Main de Justice en ivoire, je vous renvoie aux explications déjà données : 

    http://droiticpa.eklablog.com/main-de-justice-en-chromos-a209802190

     

     

         Mais vous n’y trouverez guère de réponse à l’énigme du jour : où est passé, non pas la Cinquième Compagnie, mais le cinquième doigt (le petit doigt), de la Main de Justice tenue par Hugues Capet ? M’enfin, comme disait Gaston Lagaffe en présence d’une situation incontrôlable dans mon journal de Spirou !  

     

     

     

     

     

    Portrait du roi Saint-Louis tenant la Main de Justice (miniature d’un manuscrit de 1316)

    2 Portrait du roi Saint-Louis tenant la Main de Justice (miniature d’un manuscrit de 1316, reproduite à la fin du XIXème siècle selon le procédé de la chromolithographie. Archives Nationales de France).

     

        Cette seconde enluminure représente le roi Louis-IX, futur Saint-Louis (il fut canonisé par l’Eglise catholique en 1297), né le 25 avril 1214 et mort en 1270. Quarante-quatrième roi de France, il régna de 1226 jusqu’à sa mort. Sur ce portrait, il tient, dans sa main droite, le sceptre surmonté d’une Fleur de Lys, symbole de l’autorité du roi, son droit de commander et de guider ses sujets, et, dans sa main gauche, la Main de Justice en ivoire, symbole de son droit de rendre la justice et de pardonner les fautes (absolution). Les trois premiers doigts sont bien levés, et les deux autres, cette fois parfaitement visibles, repliés.


  •  

     

     

     

    Le Procès en Cour d’appel (huile sur toile de Paul Elie Salzedo, datée 1890. Musée des Beaux-Arts de Bordeaux).

    Le Procès en Cour d’appel (huile sur toile de Paul Elie Salzedo, datée 1890. Musée des Beaux-Arts de Bordeaux).

     

       Paul Elie Salzedo (toiles signées P. Salzedo) est né à Bordeaux en 1842 et décédé à Castelmoron-sur-Lot en 1909. Il fut un peintre académique, élève de Bonnat, et professeur à l’École de dessin de Bordeaux. Sans doute inspiré du réalisme social d’autres peintres (Jules-Charles Aviat), d’écrivains (Zola), de photographes et de cinéastes de l’époque, il peignit plusieurs toiles représentant des scènes courantes de la vie judiciaire. Parmi celles-ci : La justice de paix dans le Médoc (musée des Beaux-Arts de Bordeaux), et Un Avocat, que je vous présenterai plus tard, dans cette même rubrique « Droit Artistique ».

     

      Dans son compte-rendu du Salon des Artistes Français de 1893, Louis Enault, un ancien étudiant en droit de la Faculté de Paris, devenu un temps avocat, puis journaliste, critique littéraire et artistique (L’Illustration ; Le Figaro ; La Gazette) soulignait à son propos : « Personne, j’en suis convaincu, personne parmi les peintres contemporains, ne connaît le monde des gens de justice aussi bien que M. Paul Salzedo. Il les sait sur le bout des doigts, comme José Frappa* sait les moines et les curés » (*José Frappa était un peintre [1804-1904], adepte de l’art anticlérical !).





    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique