• Droit et justice : avocats célèbres en chromos 20-2

     

     

     

     

     

    Droit et justice : avocats célèbres en chromos 20-2

              9 De la toque noire … à la perruque blonde et au collet noir (Chromo ancienne sur papier fin) 

     

                Quand on conspire,
                Quand, sans frayeur,
               On peut se dire
               Conspirateur,
               Pour tout le monde
              Il faut avoir
              Perruque blonde
              Et collet noir.

    (La fille de Madame Angot : chœur des Conspirateurs. Musique de Charles Lecocq).

     

     « Un, deux, trois, quatre » Les dix années de la Révolution française, entre l’ouverture des États généraux, le 5 mai 1789, et le coup d’État de Napoléon Bonaparte du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), ont permis à de très jeunes avocats de l’Ancien régime de passer à la postérité. Trois d’entre eux, Georges-Jacques Danton, Maximilien Robespierre et Camille Desmoulins. y perdirent leur tête, en 1794, sur l’échafaud de la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Le quatrième, Jean Anthelme Brillat-Savarin, hostile au régime de la Terreur, s’était prudemment réfugié à l’étranger, avant de revenir en France, en 1796, où il acquit ses lettres de noblesse comme « inventeur de la gastronomie ».

     

        Tous les quatre ont suscité l’attention des nouveaux grands magasins et commerces de la Belle Époque, qui éditèrent leurs portraits en chromolithographies (chromos), plus ou moins didactiques, à destination des enfants gourmands (chromos publicitaires) ou des meilleurs élèves des écoles (chromos Récompense et Bon-Point).

     

     

     

     

    Georges-Jacques Danton, avocat au Barreau de Paris (chromo Récompense)

                     10 Georges-Jacques Danton, avocat au Barreau de Paris (chromo Récompense).

     

         Famille de gens de robe. Commençons cette promenade chromolithographique avec Danton. Il naquit, le 26 octobre 1759, à Arcis-sur-Aube, près de Troyes. Son grand-père était huissier et son père procureur (équivalent à l’époque d’avoué) au baillage (tribunal présidé par le bailli) d’Arcis-sur Aube. En 1780, Danton « monta à Paris faire son droit », et se fit engager comme clerc chez un procureur, Maître Vinot. Puis, il rejoignit, en 1785, la faculté de Reims pour obtenir le grade de licencié ès lois, grâce à un astucieux système de dispenses, d’équivalences et d’argent comptant (il reconnaissait lui-même qu’il avait été à Paris un étudiant « très paresseux »).

     

         Avocat au Parlement. Fort de son diplôme, Danton revint à Paris et s’inscrivit comme avocat stagiaire au Parlement, après avoir prêté serment sous le parrainage d’un aîné à l’ouverture des audiences. Il se distingua dans diverses causes dont celle d’un berger contre son seigneur, qu’il gagna après un plaidoyer, remarqué par les grands maîtres du barreau : Gerbier, Debonnière, Hardouin et Linguet. Mais il eut du mal à gagner sa vie car, dit l’un de ses amis, « il recherchait, la clientèle du pauvre, autant que d’autres recherchaient la clientèle du riche. Il pensait qu’en thèse générale le pauvre est les plus souvent l’opprimé, qu’ainsi il a le droit de priorité à la défense ».

     

       Avocat au Conseil du Roi. Au demeurant, grâce à la dote de son épouse, Antoinette-Gabrielle Charpentier, fille du riche propriétaire d’un café qu’il fréquentait avec de futurs révolutionnaires, et à un emprunt d’argent, Danton put acquérir, en mai 1787, une charge d’avocat au Conseil du Roi (avocat auprès du Conseil d’État et de la Cour de cassation) … qu’il revendit, dix fois plus cher, en 1790. Il débuta par un discours de réception obligatoire. Son sujet était : « De la situation morale et politique du pays dans ses rapports avec la justice ». Il s’en sortit en prononçant un discours cicéronien où il condamnait le despotisme, autrement dit le gouvernement dans lequel un seul homme détient le pouvoir absolu (sous entendu, le roi Louis XVI). Il annonçait encore une révolution prochaine !

     

     

     

     

    Victor Hugo, Les Misérables, « La barricade tremblait, lui, il chantait » (chromo Félix Potin, série Les auteurs célèbres)

    11 Victor Hugo, Les Misérables, « La barricade tremblait, lui, il chantait » (chromo Félix Potin, série Les auteurs célèbres).

     

      « Pour que la Révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la présente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet* la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose. » (Victor Hugo, Les Misérables, 1862. *Arouet, dit Voltaire).

     

         Un Révolutionnaire… original.  Dans son discours de réception devant l’ordre des avocats au Conseil du Roi, Danton, en évoquant une révolution prochaine, fut un bon prophète. Certes, il rejoignit assez tardivement, les révolutionnaires de 1789, et, aujourd’hui encore, son rôle y est difficilement classable : modéré pour les uns, extrême pour les autres. Toujours est-il qu’il fonda le club révolutionnaire des Cordeliers, et fut nommé, en 1792, substitut du procureur de la Commune de Paris. Un fois le roi Louis XVI déchu, il se vit confier, le 10 août 1792, le portefeuille de ministre de la Justice au Conseil exécutif (gouvernement de six ministres) mis en place par l’Assemblée constituante.

     

     

     

     

    Danton, Ministre de la Justice, à la tribune de l’Assemblée constituante, le 2 septembre 1792 (chromo Chocolat Poulain)

    12 Danton, Ministre de la Justice, à la tribune de l’Assemblée constituante, le 2 septembre 1792 (chromo Chocolat Poulain).

     

         Un orateur hors-pair.  C’est dans cette fonction qu’il fut conduit à improviser, à l’Assemblée constituante, le 2 septembre 1792, un discours par lequel il invitait ses compatriotes à prendre les armes pour vaincre les soldats de l’armée austro-prussienne en marche vers Paris. Cette harangue se terminait par ces mots restés célèbres : « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée ». Peu après, le gouvernement révolutionnaire de la Commune de Paris appela les citoyens à prendre les armes et, le 20 septembre, les généraux Dumouriez et Kellermann mirent en déroute, à Valmy, l’armée ennemie.  

     

     

     

     

    Le Tribunal révolutionnaire sous le régime de la Terreur (chromo publicitaire Félix Potin, série XXIX : La révolution française. 1930)

    13 Le Tribunal révolutionnaire sous le régime de la Terreur (chromo publicitaire Félix Potin, série XXIX : La révolution française. 1930).

     

     « N’oublie pas de montrer ma tête au peuple : elle en vaut la peine » (derniers mots prononcés par Danton sur l’échafaud). Malheureusement pour Danton, ses pérégrinations politiques s’achevèrent avec la haine brutale de Robespierre qui le trouvait trop Indulgent, suivie de sa condamnation à mort prononcée, en avril 1794, par le Tribunal révolutionnaire, siégeant au palais de Justice de Paris, et chargé de « punir les contre-révolutionnaires et les perturbateurs du repos public » (ce Tribunal prononça près de 3 000 condamnations à mort par guillotine). Danton n’eut même pas le droit d’y prendre la parole pour se défendre, en application d’un décret fort opportun de la Convention du 3 avril 1794, d’application immédiate, tellement son éloquence était redoutée. La sentence étant exécutoire sur le champ, sans appel ni recours au tribunal de cassation, il fut guillotiné, le 5 avril 1794, à l’âge de trente-quatre ans.

     

     

     

     

     

     Georges-Jacques Danton, surnommé « le Mirabeau de la populace » (chromo Récompense).

    14 Georges-Jacques Danton, surnommé « le Mirabeau de la populace » (chromo Récompense).

     

     « Ma laideur aussi est une force. » À Paris, Danton, licencié ès lois par équivalence, devenu avocat puis, du jour au lendemain, révolutionnaire et ministre de la Justice, n’est pas oublié. Son nom a été donné à une station de métro de la ligne 4, empruntée par maints étudiants en droit, avocats et magistrats (stations Châtelet, Cité, Saint-Michel…), et sa statue trône, place Henri-Mondor, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Mais pour être presque complet, j’ajouterai une autre chromo des années 1900, qui représente Danton avec les travers de son visage. Il s’en serait ainsi expliqué au citoyen Chaudrey, également natif d’Arcis-sur-Aube, à Paris, au mythique café Procope (fondé en 1686, fermé en 1890), place des Grèves (actuelle place de l’Hôtel de Ville) :

     

     « Ce n’est point ma faute si la nature m’a donné en partage la physionomie âpre de la Liberté… Sais-tu pourquoi je suis aussi laid ?... On ne peut nier que le destin façonne les masques selon le rôle que sont appelés à jouer ceux qui les porteront. Pour moi, il fallait que je fusse laid, c’était écrit. J’avais un an, à peine, lorsqu’un taureau m’arracha d’un coup de corne la lèvre supérieure… Ce pli que tu peux voir n’est point fait d’amertume, c’est une cicatrice.  Et mon nez, pareil au mufle d’un lion, c’est encore un taureau qui l’écrasa d’un coup de sabot…. Certes deux accidents de ce genre n’arrangent guère le visage d’un enfant… Mais ce n’eût été rien sans la petite vérole… Bref, je suis devenu ce que Manon Roland appelle un monstre sanguinaire. Qu’importe ! Ma laideur aussi est une force ! Le mot n’est d’ailleurs pas de moi, mais de Mirabeau qui s’y connaissait en laideur… » (G. O. Duviv, L’excellent Monsieur Danton, éditions Larousse, 1953).

     

     

     

     

    Robespierre, avocat au Parlement de Paris puis au Conseil provincial d’Artois (chromo Récompense ou Bon-Point)

    15 Robespierre, avocat au Parlement de Paris puis au Conseil provincial d’Artois (chromo Récompense ou Bon-Point).

     

           Le modèle des jeunes gens de robe. Allons maintenant à la rencontre de Maximilien de Robespierre, ou Maximilien Robespierre, le meilleur ami de Danton puis son pire ennemi (il aurait appelé à la condamnation à mort de Danton le jugeant trop modéré comme révolutionnaire). Il naquit, le 6 mai 1758, à Arras, dans l’Artois (actuel Pas-de-Calais). Son père, François de Robespierre, était avocat au Conseil d’Artois. Grâce à une bourse, il put suivre, à compter de l’âge de douze ans, ses études au lycée Louis-le-Grand de Paris où il fut plusieurs fois cité à l’ordre de l’Université. Fidèle à la tradition des gens de robe (avocats, magistrats…) de sa famille, il s’inscrivit ensuite à l’École de Droit de Paris (rebaptisée Faculté de Droit, le 1er janvier 1809), tout juste installée dans les bâtiments construits par l’architecte (et ancien étudiant en droit !) Jacques-Germain Soufflot, au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève (actuelle place du Panthéon). Robespierre y devint bachelier en droit, le 31 juillet 1780, et licencié en droit, le 15 mai 1781. 

     

          Il retourna alors dans sa ville natale et accéda à la profession d’avocat au Barreau d’Arras en prêtant serment devant la Cour (Conseil provincial d’Artois), le 8 novembre 1781. L’année suivante, il fut nommé juge au Tribunal Épiscopal, puis secrétaire du Président Madré, second au Conseil d’Artois. Dans ces fonctions, il put, en même temps, poursuivre son métier d’avocat et acquérir une certaine renommée professionnelle dans plusieurs affaires qu’il plaida comme celle du Paratonnerre (sur cette affaire : https://www.amis-robespierre.org/L-affaire-du-paratonnerre-premiere).

     

     

     

     

     

    Robespierre, « l’Incorruptible maître de la Terreur » (chromo Eckstein-Halpaus, issue d’une collection de cartes allemandes, consacrée à la Révolution française et à la guerre de libération contre Napoléon).

    16 Robespierre, « l’Incorruptible maître de la Terreur » (chromo Eckstein-Halpaus, issue d’une collection de cartes allemandes, consacrée à la Révolution française et à la guerre de libération contre Napoléon).

     

      Du droit au démon de la politique. Puis, comme beaucoup de ses confrères passés, présents et futurs, avec ou sans causes, Robespierre, honorable avocat de province, décida d’entrer dans la vie politique. Il fut ainsi élu : le 26 avril 1789, député de l’Artois aux États Généraux (transformés, le 17 juin, en Assemblée nationale constituante) ; député de la Seine à la Convention nationale (du 5 septembre 1789 au 30 septembre 1791) ; et membre du Comité de salut Public (du 27 juillet 1793 au 28 juillet 1794). Il devint alors l’une des figures les plus célèbres de la Révolution française, souvent qualifié de « maître du régime de la Terreur ».

     

     

     

     

     

    Arrestation de Robespierre à l’Hôtel de Ville (chromo série Histoire de la Révolution, n°38)

            17 Arrestation de Robespierre à l’Hôtel de Ville (chromo série Histoire de la Révolution, n°38).

     

        À bas le tyran ! Las de la dictature de Robespierre, le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794), les députés de la Convention votèrent à main levée sa mise hors la loi, ce qui équivalait à une condamnation à mort sans aucun procès. Aucune prison n’ayant accepté de l’enfermer, Robespierre se retrouva libre à l’Hôtel de Ville où il fut en définitive arrêté après avoir eu la mâchoire fracassée d’un coup de pistolet. Le 10 Thermidor an II (28 juillet 1794), il fut conduit au Tribunal révolutionnaire, lequel n’ayant pas le pouvoir de le juger, se contenta de constater son identité. Le jour même, Robespierre fut mené à l’échafaud et guillotiné, avec vingt-et-un de ses partisans dont Louis Antoine de Saint-Just. Leurs têtes et leurs troncs furent jetés dans une fosse commune du cimetière des Errancis et recouverts de chaux pour les faire disparaître à jamais.

     

     

     

     

     

    Camille Desmoulins (chromo didactique Chicorée des Javanaises. Paul Mairesse à Cambrais).

           18 Camille Desmoulins (chromo didactique Chicorée des Javanaises. Paul Mairesse à Cambrais).

     

       Avocat bègue. Camille Desmoulins naquit, le 2 mars 1760, à Guise, dans le département de l’Aisne, où son père était lieutenant général au baillage de cette ville. Comme Robespierre, il fut boursier au lycée Louis-le-Grand de Paris et il s’inscrivit ensuite à la nouvelle École de Droit, édifiée au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève. Il y obtint, en septembre 1784, le grade de bachelier en droit et, le 7 mars 1785, le grade de licencié en droit qui lui permit de prêter serment d’avocat au barreau de Paris. Mais en raison d’un défaut naturel de prononciation, dit bégaiement, il ne put séduire de clients. Aussi, pour gagner sa vie, il copia des requêtes pour les procureurs du palais.

     

     

     

    Harangue de Camille Desmoulins au Palais-Royal, le 12 juillet 1789 (chromo série Histoire de la Révolution, n°4).

    19 Harangue de Camille Desmoulins au Palais-Royal, le 12 juillet 1789 (chromo série Histoire de la Révolution, n°4).

     

       Mais, quand éclata la Révolution, Camille Desmoulins en adopta les principes avec chaleur, devenant même, malgré son bégaiement, l’un des principaux orateurs du club des Cordeliers, créé par Danton.  Il devint célèbre, lorsque, après avoir appris le renvoi, par le roi Louis XVI, de Necker, le contrôleur général des finances bien aimé du peuple, il se rendit, le 12 juillet 1789, au Palais-Royal, à la terrasse du café de Foye. Du haut d’une chaise, avec un pistolet dans chaque main, il y exhorta la foule à prendre les armes : « Citoyens ! On veut nous égorger ! Il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes et de prendre les cocardes pour nous reconnaître » (la couleur verte de l’espoir fut d’abord choisie, puis abandonnée pour les trois couleurs bleu-blanc-rouge).

     

     

     

     

    Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 (chromo Poilpot-Jacob).

                                  20 Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 (chromo Poilpot-Jacob).

     

        « L’homme du 14 juillet 1789 ». Peut-être excitée par le discours de Camille Desmoulins, une partie du peuple de Paris (les Insurgés), força, le 14 juillet 1789, les murailles de la forteresse royale de la Bastille à peine défendue par une centaine d’hommes. Cette prise de la Bastille, l’un des éléments déclencheurs de la Révolution française, valut à Camille Desmoulins d’être surnommé « l’homme du 14 juillet 1789 ».  Quelque temps après, il créa un journal « Les Révolutions de France et de Brabant », qui connut un certain succès, et il entra dans la vie politique. C’est ainsi qu’à la chute de la monarchie (prise du Palais des Tuileries et arrestation du roi Louis XVI, le 10 août 1792), il devint secrétaire de Danton, ministre éphémère de la Justice (du 10 août au 9 octobre 1971), puis député de la Seine, sous la Convention nationale, du 8 septembre 1792 au 5 avril 1794.

     

        Mais bientôt accusé par Robespierre d’être, comme Danton, trop modéré, il fut condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire, sans avoir pu se défendre. Il fut guillotiné, le 5 avril 1794, en même temps que Danton, sur la place de la Révolution. Il aurait alors déclaré : « Voilà comment devait finir le premier apôtre de la liberté. »

     

     

     

     

    Brillat-Savarin, député à la Constituante (chromo Cie Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 1).

    21 Brillat-Savarin, député à la Constituante (chromo Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 1).

     

     Avocat, député, musicien, conseiller à la Cour de cassation, gastronome. On ne peut terminer cette page sans évoquer Jean Anthelme Brillat-Savarin, un avocat entré dans la politique pendant la Révolution, et qui, non seulement ne fut pas guillotiné sous la Terreur, mais laissa son nom à un célèbre fromage au lait cru de vache !

     

          Il était né, le 2 avril 1755, à Belley, au sein d’une vallée du Rhône. Son père était procureur du roi au baillage de Belley et avocat au Parlement. En 1775, Brillat-Savarin débuta ses études supérieures à la Faculté de Droit de Dijon pour devenir avocat, tout en suivant également des études de médecine. Licencié en droit, il revint, en 1780, à Belley pour y exercer le métier d’avocat au barreau de sa ville natale. Devenu maire de Belley, il fut élu, en 1789, député du Tiers état pour le baillage du Bugey aux États généraux, et siégea à l’Assemblée Nationale Constituante dans le groupe modéré des Girondins. À la dissolution de cette Assemblée, en septembre 1791, Brillat-Savarin revint à Belley et accéda à la magistrature comme président du nouveau tribunal civil de l’Ain, puis suppléant au Tribunal de cassation. Redevenu maire de Belley, son honnêteté scrupuleuse et son gout de la conciliation l’amenèrent à s’opposer à l’introduction du régime de la Terreur dans sa ville de Belley. En représailles, il fut destitué de son poste de maire, le 10 août 1792, et convoqué devant le Tribunal révolutionnaire pour y être jugé.

     

     Proscrit, fugitif et exilé de bonne composition. Bien plus réaliste que d’autres révolutionnaires qui perdirent leur tête sur l’échafaud sans pouvoir se défendre, Brillat-Savarin quitta la France et se réfugia d’abord à Lausanne en Suisse. Il y commença la rédaction du livre de gastronomie qui allait faire passer son nom à la postérité, tout en dégustant des fondues au fromage dans divers établissements dont le restaurant « Au Lion d’Argent ». Puis, après avoir transité par Londres et les Pays-Bas, il rejoignit, en 1794, les États-Unis nouvellement formés. Il y gagna sa vie en donnant des leçons de français et comme premier violon au John Street Theater de New York, tout en enseignant à un chef français l’art des œufs brouillés au fromage.  

     

      Retour en France loin des arènes politiques. En 1796, la bourrasque révolutionnaire ayant laissé place au régime du Directoire « plus bourgeois », Brillat-Savarin rentra en France où il fut successivement secrétaire de l’état major des armées de la République en Allemagne, puis commissaire du gouvernement à Versailles. Sous le Consulat, il fut nommé Conseiller à la Cour de cassation, et conserva cette charge sous tous les régimes, jusqu’à sa mort le 1er février 1826.

     

     

     

    Brillat-Savarin, arbitre de la gastronomie (chromo Cie Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 6).

    22 Brillat-Savarin, arbitre de la gastronomie (chromo Cie Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 6).

     

        Les aphorismes de Brillat-Savarin. De nos jours, Brillat-Savarin est surtout connu pour son nom qui a été donné à un grand nombre de mets délicats (gâteau, fromage…), et comme gastronome, auteur de livres de cuisine. Son ouvrage principal, publié en 1825/1826, et réédité en 1834 : Physiologie du goût, ou Méditations de la gastronomie transcendante, a connu un succès considérable (il est en libre accès sur le site gallica de la Bibliothèque nationale de France). Il débute par vingt aphorismes axés sur l’art de la gastronomie :

     

    I. L'Univers n'est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.


    II. Les animaux se repaissent ; l'homme mange ; l'homme d'esprit seul sait manger.


    III. La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.


    IV. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.


    V. Le créateur, en obligeant l'homme à manger pour vivre, l'y invite par l'appétit, et l'en récompense par le plaisir.


    VI. La gourmandise est un acte de jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n'ont pas cette qualité.


    VII. Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s'associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.


    VIII. La table est le seul endroit où l'on ne s'ennuie jamais pendant la première heure.


    IX. La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile.


    X. Ceux qui s'indigèrent ou qui s'enivrent ne savent ni boire ni manger.

     

    XI.L'ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.


    XII. L'ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées.


    XIII. Prétendre qu'il ne faut pas changer de vins est une hérésie ; la langue se sature ; et, après le troisième verre, le meilleur vin n'éveille plus qu'une sensation obtuse.


    XIV. Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.


    XV. On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.


    XVI. La qualité la plus indispensable du cuisinier est l'exactitude ; elle doit être aussi celle du convié.


    XVII. Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d'égard pour tous ceux qui sont présents.


    XVIII. Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé n'est pas digne d'avoir des amis. 


    XIX. La maîtresse de la maison doit toujours s'assurer que le café est excellent ; et le maître, que les liqueurs sont de premier choix.


    XX. Convier quelqu'un, c'est se charger de son bonheur tout le temps qu'il est sous notre toit.