• Étudiantes de Paris, avocates stagiaires à la Belle Époque

     

     

     

    Étudiantes de Paris, avocates stagiaires à la Belle Époque

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      Comprendre cette photographie. Chers visiteuses et visiteurs de ce blog, voici une ancienne photographie de presse représentant deux étudiantes de la Faculté de Droit de Paris, avocates « stagiaires » du Barreau de Paris, en train de s’exercer « à l’éloquence dans une controverse juridique », sous l’autorité d’un Professeur de cette Faculté.

     

         Préparation au Concours de la Conférence. Il s’agit assurément d’une séance préparatoire organisée par la Faculté de Droit de Paris, sous le patronage du Barreau de Paris, au concours d’éloquence des avocats alors stagiaires, aujourd’hui dénommé « Concours de la Conférence des Avocats du Barreau de Paris ».  Les candidats doivent y répondre, par un discours de quelques minutes, à des questions, juridiques ou non, souvent déroutantes. Par exemple : L'adultère commis sur le mur mitoyen peut-il être considéré comme ayant été consommé au domicile conjugal ?

     

          Depuis plus de deux siècles, ce concours se tient à la Bibliothèque de l’ordre des Avocats du Barreau de Paris, au sein même du Palais de Justice. Aujourd’hui encore, il s’adresse aux avocats inscrits au Barreau de Paris depuis moins de quatre années et âgés de trente cinq ans au plus. À l’issue du concours, 12 Secrétaires de la Conférence sont élus par les lauréats de l’année précédente, puis formellement désignés par le Conseil de l’Ordre sur proposition du bâtonnier (l’un d’entre eux est nommé Premier Secrétaire de la Conférence). Ces Secrétaires de la Conférence ont vocation à être commis d’office dans les affaires criminelles et à prendre une part prépondérante dans la défense pénale des plus démunis. Leur titre est envié et respecté dans le milieu judiciaire (Jules Grévy, Jules Ferry et Raymond Poincaré furent élus Secrétaires de la Conférence du Stage).

      

       Avocats stagiaires ayant prêté serment. À l’époque de cette illustration de presse, les jeunes protagonistes photographiés dans un amphithéâtre de la Faculté de Droit de Paris étaient avocats stagiaires, après avoir prêté serment en prononçant les mots fameux « Je le jure » (avec la création des Centres de Formation Professionnels des Avocats en 1970, le stage a été supprimé). 

     

      Années 1920 : les « années folles ». Toujours est-il que la question qui me taraudait après avoir déniché cette photographie de presse sur https://wikiland.net/, était d’en connaître l’année, son contributeur n’ayant précisé ni le nom du journal concerné, ni l’année où elle a été prise et/ou publiée. Toutefois, grâce à la légende selon laquelle les deux jeunes étudiantes en droit nouvellement inscrites au Barreau de Paris « pourront se faire remarquer au Palais (de Justice), comme Mlle J. Bertillion ou Mlle Tinayre, secrétaire de la Conférence des Avocats », je présume qu’il s’agit de l’année 1921 (ou 1922 ?).

     

     - D’une part, Mlle J. Bertillon, alias Jacqueline Bertillon [1896-1992], nièce d’Alphonse Bertillon [1853-1914], créateur de l’anthropométrie judiciaire, après avoir obtenu sa licence en droit à Paris, avait prêté serment d’avocat à l’âge de 20 ans et prononcé sa première plaidoirie devant le troisième conseil de guerre, en octobre 1917 (pendant la Grande Guerre, trois conseils de guerre siégeaient chaque jour à Paris).

     

     - D’autre part, Mlle Tinayre, alias Mme Lucile Tinayre-Grenaudier [1898-1992], devint avocate à la Cour d’appel de Paris en avril 1921, à l’âge de 33 ans, et Secrétaire de la Conférence des Avocats du Barreau de Paris, avant l’âge de 35 ans, donc en 1921 (ou en 1922). Elle sera la première femme élue au Conseil de l’Ordre de Paris en 1950 (c’est seulement en 1936 qu’une femme, Lucienne Scheid-Levillon [1911-1991], sera nommée Premier Secrétaire de la Conférence). 

     

     

     

     

    Olga Petit, l’étudiante en droit de Paris, première femme avocate du Barreau de Paris en 1900

    2. Olga Petit, l’étudiante en droit de Paris, première femme avocate du Barreau de Paris en 1900. 

     

     Du droit des femmes d’être avocates. Maintenant, un bref mot sur l’accès des jeunes étudiantes de la Faculté de Droit de Paris au Barreau de la capitale comme avocate. Ce barreau ne s’ouvrit aux femmes, licenciées en droit, que le 1er décembre 1900, alors même que la Faculté de Droit de Paris avait accueilli Sarmiza Bilcescu, sa première étudiante en 1884/1885, sous réserve d’être accompagnée de Madame sa mère pendant les cours (elle obtint sa licence en droit en 1887, et soutint sa thèse de doctorat le 12 juin 1890).

     

      Plusieurs années plus tard, la première femme diplômée de la Faculté de Droit de Paris à pouvoir s’inscrire comme avocate au Barreau de Paris fut Sophie Balachowssky-Petit [1870-1966], dite Olga Petit, licenciée et docteur en droit. Elle prêta serment d’avocat, le 6 décembre 1900, à l’âge de trente ans, à l’audience de la 1ère Chambre de la Cour d’appel de Paris (c’est une loi du 1er décembre 1900 qui venait de permettre aux femmes licenciées en droit de prêter serment d’avocat et d’exercer cette profession). 

     

     

     

     

    Jeanne Chauvin, l’étudiante en droit de Paris, seconde femme avocate du Barreau de Paris en 1900

    3. Jeanne Chauvin, l’étudiante en droit de Paris, seconde femme avocate du Barreau de Paris en 1900.

     

       Olga Petit devança ainsi de quelques jours Jeanne Chauvin [1862-1926], elle aussi licenciée et docteur en droit de la Faculté de Paris (thèse de doctorat soutenue en 1892). Cette dernière put s’inscrire au Barreau de Paris, le 19 décembre 1900, et elle y sera bientôt rejointe par Suzanne Grinberg, Agathe Dyvrande-Thévenin et Maria Vérone.

     

     

     

     

    Melle Jeanne Chauvin plaidant devant le Président Paul Magnaud en 1901

    4. Melle Jeanne Chauvin plaidant devant le Président Paul Magnaud en 1901 (La Vie Illustrée, tome 124, 1901. Source : Musée de l’Histoire Vivante).

     

        Légende de cette photographie de presse : « Une grande première judiciaire a eu lieu jeudi dernier au tribunal de Château-Thierry. Mlle Jeanne Chauvin, qui a conquis pour les femmes le droit de plaider en justice, défendait un ouvrier, nommé Laly, devant le tribunal présidé par M. Magnaud. Tout Château-Thierry était là et aussi maints Parisiens attirés par cette réunion sensationnelle, dans une même salle, du Président Magnaud siégeant au tribunal, et de Mlle jeanne Chauvin au banc de la défense ».

     

     De l’infériorité à la supériorité des femmes au Barreau de Paris.    En 1914, la Faculté de Droit de Paris accueillait 6 975 étudiants dont seulement 312 femmes, sans doute en raison de l’obligation de posséder le baccalauréat pour faire des études de droit, lequel était assez peu prisé par la gent féminine de la Belle Époque. Cette même année, 23 avocates étaient inscrites au tableau de l’Ordre des avocats de Paris sur 2 550 avocats, soit moins de 1%. La moitié des avocats hommes furent mobilisés entre le 10 août 1914 et le 9 novembre 1918, et 232 d’entre eux moururent pour la France. Dès 1915, Jeanne Chauvin, avocate au Barreau de Paris depuis plusieurs années, avait déclaré à un journaliste du Figaro : « Notre rôle…en ce moment, est le même que celui de toutes les femmes dans toutes le professions dans tous les services publics : c’est de contribuer de tout notre pouvoir à maintenir quand même l’ordre intérieur et la vie normale dans notre pays, tandis que les autres, les vrais défendeurs du Droit et de la Justice, luttent avec leurs forces, avec leur vaillance, avec leur héroïsme pour sauver notre civilisation et l’intégrité de notre France » (Le Figaro, 1er juillet 1915).

     

          En 1950, 20% des avocats du Barreau de Paris étaient des femmes.

     

      En 2020, avant l’épidémie du Covid dont les confinements ont sévèrement impacté leur profession, sur 30 526 avocats au Barreau de Paris, on dénombrait 16 621 femmes, soit plus de la moitié.  

     

     

     

     

    Les femmes Avocats (mais non encore Avocates) : Mme Petit et Melle Chauvin (La vie Illustrée, 1901, p. 219).

    5. Les femmes Avocats (mais non encore Avocates) : Mme Petit et Melle Chauvin (La Vie Illustrée, 1901, p. 219).

     

      Voici pour conclure cette page l’article complet du Journal La Vie Illustrée de l’année 1901, rédigé par Henri de Wendel [1868-1944], journaliste et homme de lettres, qui était présent lors des prestations de serment d’Olga Petit et de Jeanne Chauvin, en décembre 1900, au Palais de Justice de Paris (dzolé, mais j'ai eu la flemme de le retaper mot à mot sur mon clavier d'ordinateur, à deux doigts, un de chaque main !!!) :

     

    Les Femmes Avocats: Odile Petit et Jeanine Chauvin

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