• Frédéric Soulié (1800-1847), l’étudiant en droit devenu écrivain

     

     

     

     

    Frédéric Soulié (1800-1847), l’étudiant en droit devenu écrivain

    1. Frédéric Soulié « poètudiant » en Droit (photographie Charlet & Jacotin. Paris).

     

     

    « Le droit mène à tout… » (avocature, magistrature, notariat, police, concours de la fonction publique, assurance, banque, etc.), «… à condition d’en sortir ». De nombreux écrivains qui, dans leurs jeunes années, ont fait leur Droit, ne peuvent renier cet ajout. Je vous ai déjà présenté, dans la rubrique Comédie du Droit, plusieurs d’entre eux devenus célèbres après avoir abandonné leurs codes de lois, et qui le sont restés: Corneille, Molière, Boileau, Perrault, Voltaire, Balzac, Labiche…

     

           Je vous invite, aujourd’hui, à découvrir l’un des plus célèbres auteurs dramatiques du XIXème siècle, complètement tombé dans l’oubli : Frédéric Soulié, né à Foix dans l’Ariège, le 23 décembre 1800, et mort à Bièvres le 23 septembre 1847. 

     

     

     

     

    Pamiers (Ariège). Rue Frédéric Soulié

             2. Pamiers (Ariège). Rue Frédéric Soulié.

     

     

               « Les lourdes portes de l’oubli se referment mais des lambeaux de souvenirs s’agrippent aux battants » (Jacques Lamarche. Eurydice. 1971). Car en effet, qui, de nos jours, connaît Frédéric Soulié, dont le nom a été donné à une rue de Pamiers dans l’Ariège, ainsi qu’à une avenue du cimetière du Père-Lachaise, dans le 20ème arrondissement de Paris ? Sans doute, bien peu de gens. Pourtant, Frédéric Soulié fut, sous la monarchie de Juillet (1830-1848), un auteur dramatique dont les feuilletons et les romans eurent autant de succès que ceux d’Honoré de Balzac, Eugène Sue et Alexandre Dumas. 

     

     

     

     

     

    Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié (première représentation le 24 mai 1845)

    3. Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié (première représentation le 24 mai 1845).

     

     

    J’avoue qu’il y a encore très peu de temps j’ignorais tout de cet auteur dramatique, jusqu’à ce que, pour enrichir d’images anciennes ce blog dédié au Droit, au Quartier Latin et à ses Étudiants, je mette ensemble trois mots dans le moteur de recherche de Google : étudiant, droit, Luxembourg. Et, surprise-surprise, j’ai aussitôt été présenté à Frédéric Soulié, un ancien étudiant en Droit, qui aimait se promener au Jardin du Luxembourg. Il était accompagné de l’affiche d’une pièce dramatique en cinq actes, dont il était l’auteur et qui fut jouée, en 1845, au théâtre de l’Ambigu-Comique, sous le titre Les Étudiants.

     

     

     

     

     

    Une allée du Jardin du Luxembourg au XIXème siècle (photographie stéréoscopique, circa 1870)

    4. Une allée du Jardin du Luxembourg au XIXème siècle (photographie stéréoscopique, circa 1870).

     

     

          Ballade au Luxembourg d’un étudiant en droit… poète ! Plus encore, en lisant son autobiographie disponible sur la toile, j’ai appris deux autres choses. D’une part, dans sa jeunesse, Frédéric Soulié était monté à Paris pour faire des études de Droit et de Lettres (années 1816 et suivantes). D’autre part, logé au Quartier Latin, dans une chambre à l’hôtel de la Chartreuse (aujourd’hui disparu, y compris de nos mémoires), situé à l’extrémité du jardin du Luxembourg, au bout du jardin botanique, il aimait s’y promener avec l’un de ses amis, Jules Janin, et lui réciter non pas des articles du Code civil mais des poésies dont il était l’auteur.

     

     

     

    Je laisse d’abord la plume d’oie à Jules Janin qui, avant de devenir écrivain et critique littéraire, fut saute-ruisseau (jeune garçon de courses d’études d’avoués, de notaires, etc. : voir les trois premiers chapitres de la rubrique des Gens de Justice que je leur ai consacrés), en même temps qu’Honoré de Balzac, dans l’étude d’avoué Jean-Baptiste Guillonnet-Merville :

     

     

    « Frédéric me lisait, tout bas, ses poésies dans le jardin du Luxembourg. Et comme il était, en ces moments heureux, sous ces beaux arbres, au bruit des eaux jaillissantes, parmi ce peuple de statues, plein de jeunesse et plein de force, en plein air, en pleine santé ; et comme son grand œil noir, triste et doux, quand il disait ces choses tristes, brillait des mille feux du printemps, de la poésie et de l’espérance, on ne pouvait se défendre de sourire à ce poète errant, d’un pas si calme et si doux, dans les fraîches allées du Luxembourg… Il était plein de jeunesse et de force et avait la fête sérieuse, la dépense modeste et les idées grandes… » (Jules Janin. Histoire de la littérature dramatique. Tome 5, p. 24. Edition Michel Lévy frères, Paris, 1853-1858). 

     

     

    Voici l’une des poésies de Frédéric Soulié, alors tout jeune étudiant en Droit, rapportée par Jules Janin lui-même : 

     

    Ces peuples endormis dans l’oubli de leurs maux,
    Et dont la servitude est encore un repos,
    Impuissants à briser le joug qui les opprime,
    Ces rebelles d’un jour qui n’arrivent qu’au crime,
    Qu’ils apprennent enfin quels efforts, quels exploits
    Du despotisme altier peuvent briser les lois.
    Quand c’est le fer qui règne, et qui fait les esclaves,
    La liberté devient la conquête des braves ;
    Ou s’ils trouvent, pour prix de leur témérité,
    La mort… eh bien ! la mort, c’est de la liberté !…
     

     

     

     

     

    L’entrée de l’École de Droit, place du Panthéon au XIXème siècle

             5. L’entrée de l’École de Droit, place du Panthéon au XIXème siècle

     

     

    The cherry on the cake (cerise sur le gâteau), j’ai encore découvert que Frédéric Soulié avait été expulsé de l’École Droit du Panthéon pour avoir signé des pétitions libérales et pris une part active à une révolte contre un Doyen.

     

     

       Je laisse maintenant la plume d’oie à Frédéric Soulié qui raconte dans son autobiographie, disponible sur la toile, cet autre épisode de sa vie :

     

    « Quelque temps après ma sortie du collège [1816], mon père fut accusé de bonapartisme et destitué. II vint à Paris, et je l’y accompagnai. J’y achevai mes études. J’y fis mon Droit assez médiocrement, mais avec assez de turbulence pour être expulsé de l’École, pour avoir signé des pétitions libérales et pris une part active à la révolte contre le doyen*, qui me fit expédier ainsi que mes camarades à l’École de Droit de Rennes, où nous achevâmes notre droit comme des forçats, sous la surveillance de la police. On m’avait signalé comme carbonaro**. Je profitai de mon exil pour établir une correspondance entre les ventes*** de Paris et celles de Rennes. Mon Droit fini, je rejoignis mon père à Laval, où il avait repris son emploi. J’entrai dans ses bureaux, et bientôt après dans l’administration ; j’y demeurai jusqu’en 1824, époque à laquelle mon père fut mis à la retraite pour avoir mal voté aux élections. […] ». 

     

     

    *Sauf erreur de ma part, la révolte à laquelle fait allusion Frédéric Soulié est celle qui, en 1820, visa non pas le Doyen de la Faculté de Droit de Paris (Claude-Étienne Delvincourt de 1809 à 1830), mais l’abbé Charles Dominique Nicolle, qui était membre du conseil royal de l’Instruction publique (22 juillet 1820-17 octobre 1830), et Doyen de l’Université, avant d’être nommé vice-recteur de l’Académie de Paris (27 février 1821-26 août 1824), charge équivalente à celle de ministre des Affaires Ecclésiastiques et de l’Instruction Publique instituée par une ordonnance du 26 août 1824. Les étudiants carbonari, hostiles à toute cléricalisation de l’Université, reprochaient à l’abbé Nicole d’être membre du clergé, qui plus est jésuite sans aucun titre scientifique ni littéraire, et d’avoir rétabli la chapelle Sainte-Ursule de la Sorbonne, autrement dit l’église des Facultés universitaires de Paris, qui avait été saccagée en novembre 1794.

     

    **Carbonaro : Membre d'une société secrète d'Italie qui travaillait au triomphe des idées révolutionnaires, et, par extension, membre de sociétés semblables dans les autres pays (Dictionnaire d’Émile Littré). 

     

    ***Vente, du mot italien « vendita » signifiant une « section », désignait la réunion de carbonari en section d’une vingtaine de membres d'une société secrète. Une Haute-Vente, ou Vente maîtresse, dirigeait l’ensemble des Ventes inférieures.

     

     

     

     

    Les mémoires du Diable, par Frédéric Soulié. Source : BnF

    6. Les mémoires du Diable, par Frédéric Soulié. Source : BnF (cette édition de 1876 est postérieure à la mort de l’auteur, survenue en1847).

     

     

    Les Mémoires du Diable. De retour à Paris avec son père, en 1824, Frédéric Soulié s’adonna à l’écriture et publia ses premiers vers sous le titre Amours françaises, poèmes, suivis de trois chants élégiaques. Pour assurer sa subsistance, il devint directeur d’une scierie mécanique jusqu’aux années 1940 au cours desquelles plusieurs de ses romans obtinrent un grand succès. Le plus populaire fut Les Mémoires du Diable, un tableau de la société dans ce qu’elle a de plus exécrable : crime, inceste, adultère, hypocrisie, débauche…(en accès libre sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2070145?rk=21459;2). 

     

     

     

     

     

    Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié. La grisette étudiante (source : BnF)

    7. Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié. La grisette étudiante (source : BnF).

     

     

    Les Étudiants. Peu de temps avant sa mort, Frédéric Soulié écrivit des pièces dramatiques qu’il fit jouer au théâtre de l’Ambigu-Comique, une ancienne salle de spectacle parisienne, fondée en 1769 sur le boulevard du Temple (elle a été démolie en 1966). L’une de ces pièces, Les Étudiants, y fut jouée, pour la première fois, le 24 mai 1845. À ce jour, les sites Gallica et Wikisource ne l’ont pas mise en ligne, mais on peut la lire, entièrement et gratuitement, sur books.google, dans le recueil intitulé La France Dramatique au Dix Neuvième siècle, Choix de pièces modernes, volume 23 (C. Tresse, éditeur Paris. 1845), sous ce lien :

     

    Les Etudiants de Frédéric Soulié (1845)

     

     

     

     

     

    Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié. Chanson des canotiers (source : BnF)

    8. Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié. Chanson des canotiers (source : BnF).


     

    Cette pièce, en cinq actes et en prose, accompagnée de chansons, met en scène de jeunes étudiants en Droit et en Médecine du Quartier latin, sujets chéris des comédies du XIXème siècle.

     

    En voici un premier résumé sous forme d'une critique de presse parue dans Le Charivari du 27 mai 1840, le premier quotidien illustré satirique  français (fondé en 1832 et édité jusqu'en 1937):

     

    « On pourrait croire que les écoles de Droit et de Médecine ont été instituées, non pas précisément pour approvisionner l’humanité souffrante de guérisseurs, les tribunaux de magistrats irréprochables et de défenseurs de la veuve et de l’orphelin, mais pour fournir des sujets au vaudeville, à la chansonnette, à la physiologie écrite ou crayonnée. Il serait impossible, en effet, de dénombrer les pièces de théâtre et les croquis dont les étudians* sont les héros, le tout bâti sur cette donnée primordiale que les étudians n’étudient pas. Le théâtre de l’Ambigu-Comique vient encore de mettre en scène le Quartier Latin, en posant le principe que le code civil et les aphorismes d’Hippocrate sont là comme s’ils ne l’étaient pas.

     

         Le premier acte contient une exposition vive et gaie ; puis viennent les étudians, envisagés dans leurs rapports avec la grisette de la Chaumière (c’est de rigueur), plus, sous la spécialité canotière. On les voit, du pont Marie à Bercy, descendre, je veux dire remonter joyeusement le fleuve de la vie ; nous avons remarqué au milieu de cette flotille d’eau douce le fameux pavillon du Barbillon dont Le Charivari a plus d’une fois parlé et qui vogue à la célébrité, tout en allant à Bercy, chez Cabouat (successeur de Renard), manger de gigantesques rosbifs. On entend les chansons des canotiers, mais considérablement expurgatas, attendu que les oreilles des auditeurs auraient été sans doute moins tolérantes que celles des naïades des bords de la Seine.

     

         Voilà pour le côté rose de l’intrigue. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il y a un côté noir, et j’ai encore moins besoin de vous raconter cette partie sombre. Ceux qui goûtent le bistre aimeront mieux aller voir l’action ; ceux qui ne l’aiment pas le détesteront encore bien davantage encore en récit. La partie gaie, je veux dire étudiante de l’œuvre, se distingue, à défaut d’une originalité impossible en pareille matière, par cet agréable entrain qui réussit toujours au théâtre ; la partie dramatique a beaucoup d’intérêt, mais elle est parfois d’un sinistre trop outré, surtout dans les deux derniers actes….».

     

    * Le mot étudians, sans la lettre finale t, se retrouve souvent dans des écrits d’autrefois, sans pour autant être mentionné avec cette orthographe dans les dictionnaires d’Émile Littré et de l’Académie des années 1850. 

     

     

     

    Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié. Minuit (source : BnF)

    9. Théâtre de L’Ambigu Comique. Les Étudiants. Drame en cinq actes de Frédéric Soulié. Minuit (source : BnF).

     

     

    « Une critique injuste équivaut à un éloge » (Antoine Claude Gabriel Jobert. Le trésor de pensées. 1852). Voici un autre résumé de ce drame léger, sous la forme d’une critique beaucoup plus « vacharde », que j’ai découverte dans le quatrième volume de La Revue de Paris, un journal critique, politique et littéraire de l’époque, en libre accès sur la toile. Je l’ai complété de la définition de quelques termes, utilisés par Frédéric Soulié dans sa pièce et repris par les critiques du Charivari et de La Revue de Paris. 

     

    « Le nouveau drame de M. Soulié ressemble assez à l’ouverture dont l’orchestre de L’Ambigu le fait précéder : airs d’emprunt cousus tant bien que mal et ayant la prétention d’être alternativement gais et tristes. Les étudiants, tels qu’on les voit dans les vaudevilles et tels qu’on ne les voit jamais au quartier latin, passent de la table d’hôte de Mme Passager au restaurant du père Fromage, de Bercy, puis de là à La Chaumière*, après quoi ils vont se coucher dans la rue Saint-Jacques**, en heurtant du bout de leur canne des chiffonniers, anciens gentilshommes qui ont pris la hotte et le crochet pour expier des peccadilles de jeunesse. Chez Mme Passager, ils cassent des assiettes, jettent les gigots par la croisée, font des quêtes pour de pauvres familles qui meurent de faim. À Bercy, chez le père Fromage, ils entonnent, mêlées aux grisettes***; la chanson des canotiers, et sauvent au dessert de vertueuses jeunes filles qui se noient. Enfin, à la Chaumière, on danse la mazurka et d’autres pas excentriques dont les noms sont absents du dictionnaire de l’Académie. Dans le groupe de ces joyeux compagnons, on remarque l’étudiant de première année et l’étudiant de onzième année, l’étudiant de cinq pieds six pouces, roi de la basoche****, et l’étudiant de trois pieds, espèce de souffre-douleur à qui chacun adresse des sarcasmes sur sa petite taille. Jusque là vous ne voyez sans doute rien de bien neuf. Les étudiants de cette espèce ont déjà épuisé les planches de tous les théâtres, et M. Frédéric Soulié pouvait bien se dispenser de les ressusciter. L’intrigue de son drame n’en marcherait ni plus vite, ni plus lentement, et la preuve c’est qu’il est très facile d’analyser la pièce Les Étudians en mettant les étudians de côté ».

     

    * En 1840, La Chaumière ou Grande Chaumière, à la hauteur du n° 120 du boulevard du Montparnasse, était un bal bon marché très apprécié des étudiants qui s’y rendaient avec leurs compagnes dénommées les biches étudiantes ou encore les grisettes.

     

    ** La rue Saint-Jacques (Vème arrondissement) est l’une des plus anciennes rues de Paris, dénommée au XIIème siècle Grande-rue du petit-Pont. Elle commence à la place du Petit-Pont et finit au boulevard de Port-Royal, tout en étant bordée, à mi-chemin, par les murs et le portique de l’entrée principale de la Faculté de Droit (aujourd’hui le Centre Panthéon), dessiné et construit par Louis-Ernest Lheureux entre 1893 et 1898.

       

        

          Dans un article plein d’humour intitulé La rue Saint Jacques, intégré dans Le Livre des Cent-et-Un (tome 13ème. 1833, p. 151. Paris, chez Ladvocat, Libraire. En libre accès sur le site Gallica de la BnF), son auteur, M. Cordelier Delanoue, écrit :

     

    « Un élève en droit qui n’en est encore qu'à sa première inscription, demeure habituellement rue de la Harpe... C'est là du moins que le logent tous les faiseurs de comédies-vaudevilles et de tableaux de mœurs qui se sont avisés de voyager, lorgnon en main, dans le tortueux dédale du quartier latin, depuis tantôt  vingt ans que les ermites pullulent et que les mœurs s'en vont… Si là rue de la Harpe est le séjour obligé de tout étudiant qui n'en est qu'à sa première inscription, la rue Saint-Jacques est le séjour probable de l’étudiant qui s'apprête à passer son second examen de licence en Droit, et je ne répondrais pas que les zélés et studieux travailleurs qui aiment à feuilleter leur code dès le matin sous les ombrages frais du Luxembourg, ne vinssent depuis quelques années, se loger rue d'Enfer, pour se préparer à leur troisième examen de licence… » 

     

    ***La grisette désignait  une jeune fille de petite condition, coquette et galante, qui fréquentait nos étudiants de la Sorbonne, en droit ou en d’autres sciences, se plaisant aux choses légères et sans importance. Elle était ainsi nommée parce que, autrefois, les filles de petite condition portaient une veste ou casaque de couleur grise (pour en savoir plus sur la grisette étudiante ou la grisette de l’étudiant, voyez l’article illustré que je lui ai consacrée :

     

    http://droiticpa.eklablog.com/la-grisette-de-l-etudiant-en-droit-du-jardin-du-luxembourg-a148974782

     

    **** La basoche, dans un sens familier et vieilli, désignait l’ensemble des gens de justice  (avoués, clercs…). Le mot aurait pour origine le latin basilica (basilique), lieu où se tenaient les tribunaux.

     

     

     

     

     

    La Closerie des genêts de Frédéric Soulié

                                  10. La Closerie des genêts de Frédéric Soulié 

     

        La Closerie des genêts. Une année plus tard, Frédéric Soulié connut un succès considérable avec une nouvelle pièce, La Closerie des genêts, dont la première représentation fut donnée au théâtre de l’Ambigu-Comique, le 14 octobre 1846. Mais, atteint d’une maladie cardiaque, Frédéric Soulié mourut, quelques mois après, le 23 septembre 1847.

     

     

     

     

    Inauguration du tombeau de Frédéric Soulié au Père-Lachaise, le 20 février 1875 (dessin de M. Valnay. Musée Carnavalet. Reproduit in Le  Monde Illustré. 1875)

     

    11 Inauguration du tombeau de Frédéric Soulié au Père-Lachaise, le 20 février 1875 (dessin de M. Valnay. Musée Carnavalet. Reproduit in Le  Monde Illustré. 1875).

     

     

              Frédéric Soulié fut inhumé, le 27 septembre 1847, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, et dont une allée porte aujourd’hui encore son nom (avenue Frédéric Soulié). À cette occasion, Victor Hugo prononça un émouvant discours, et Alexandre Dumas s’effondra en larmes. Voici ce discours de Victor Hugo (source : Maurice Champion, Frédéric Soulié, sa vie et ses ouvrages ; orné de son portrait, et suivi des discours prononcés sur sa tombe par MM. Victor Hugo, Paul Lacroix et Antony Béraud, p. 26, édition Moquet, Paris, 1847). 

     

    DISCOURS DE M. VICTOR HUGO

    PRONONCÉ SUR LA TOMBE DE FRÉDÉRIC SOULIÉ

    AU NOM DE LA SOCIÉTE DES AUTEURS DRAMATIQUES.

     

    « Les auteurs dramatiques ont bien voulu souhaiter que j'eusse, dans ce jour de deuil, l'honneur de les représenter et de dire en leur nom l'adieu suprême à ce noble cœur, à cette âme généreuse, à cet esprit grave, à ce beau et loyal talent qui se nommait Frédéric Soulié. Devoir austère qui veut être accompli avec une tristesse virile digne de l'homme ferme et rare que vous pleurez. Hélas! la mort est prompte; elle a ses préférences mystérieuses; elle n'attend pas qu'une tête soit blanchie pour la choisir. Chose triste et fatale! les ouvriers de l'intelligence sont emportés avant que leur journée soit faite. Il y a quatre ans à peine, tous, presque les mêmes qui sommes ici, nous nous penchions sur la tombe de Casimir Delavigne; aujourd'hui, nous, nous inclinons devant le cercueil de Frédéric Soulié.

    « Vous n'attendez pas de moi, messieurs, la longue nomenclature des œuvres constamment applaudies de Frédéric Soulié. Permettez seulement que j'essaie de dégager à vos yeux en peu de paroles, et d'évoquer pour ainsi dire de ce cercueil ce qu'on pourrait appeler la figure morale de ce remarquable écrivain.

    « Dans ses drames, dans ses romans, dans ses poèmes, Frédéric Soulié a toujours été l'esprit sérieux qui tend vers une idée et qui s'est donné une mission. En cette grande époque littéraire où le génie, chose qu'on n'avait point vue encore, disons-le à l'honneur de notre temps, ne se sépare jamais de l'indépendance, Frédéric Soulié était de ceux qui ne se courbent que pour prêter l'oreille à leur conscience, et qui honorent le talent par la dignité. Il était de ces hommes qui ne veulent rien devoir qu'à leur travail, qui font de la pensée un instrument d'honnêteté et du théâtre un lieu d'enseignement, qui respectent la poésie et le peuple en même temps, qui pourtant ont de l'audace, mais qui acceptent pleinement la responsabilité de leur audace, car ils n'oublient jamais qu'il y a du magistrat dans l'écrivain et du prêtre dans le poète.

    « Voulant travailler beaucoup, il travaillait vite, comme s'il sentait qu'il devait s'en aller de bonne heure. Son talent, c'était son âme, toujours pleine de la meilleure et de la plus saine énergie; de là lui venait cette force qui se résolvait en vigueur pour les penseurs et en puissance pour la foule. Il vivait par le cœur; c'est par là aussi qu'il est mort. Mais ne le plaignons pas, il a été récompensé, récompensé par vingt triomphes, récompensé par une grande et aimable renommée qui n'irritait personne et qui plaisait à tous. Cher à ceux qui le voyaient tous les jours et à ceux qui ne l'avaient jamais vu, il était aimé et il était populaire, ce qui est encore une des plus douces manières d'être aimé. Cette popularité, il la méritait, car il avait toujours présent à l'esprit ce double but, qui contient tout ce qu'il y a de noble dans l'égoïsme et tout ce qu'il y a de vrai dans le dévouement : être libre et être utile.

    « Il est mort comme un sage qui croit parce qu'il pense, il.est mort doucement, dignement, avec le candide sourire d'un jeune homme, avec la gravité bienveillante d'un vieillard. Sans doute il a dû regretter d'être contraint de quitter l'œuvre de civilisation que les écrivains de ce siècle font tous ensemble et de partir avant l'heure solennelle, et prochaine peut-être, qui appellera toutes les probités et toutes les intelligences au saint travail de l'avenir. Certes, il était propre à ce glorieux travail, lui qui avait dans le cœur tant de compassion et tant d'enthousiasme, et qui se tournait sans cesse vers le peuple, parce que là sont toutes les misères, parce que là aussi sont toutes les grandeurs. Ses amis le savent, ses ouvrages l'attestent, ses succès le prouvent; toute sa vie, Frédéric Soulié a eu les yeux fixés dans une étude sévère sur les clartés de l'intelligence, sur les grandes vérités politiques, sur les grands mystères sociaux. II vient d'interrompre sa contemplation; il est allé la reprendre ailleurs. Il est allé trouver d'autres clartés, d'autres vérités, d'autres mystères, dans l'ombre profonde de la mort!

    « Un dernier mot, messieurs. Que cette foule qui nous entoure et qui veut bien m'écouter avec tant de religieuse attention, que ce peuple généreux, laborieux et pensif, qui ne fait défaut à aucune de ces solennités douloureuses; et qui suit les funérailles de ses écrivains comme on suit le convoi d'un ami ; que ce peuple si intelligent et si sérieux le sache bien, quand les philosophes, quand les écrivains, quand les poètes viennent apporter ici, à ce commun abîme de tous les hommes, un des leurs, ils viennent sans trouble, sans ombres, sans inquiétude, pleins d'une foi inexprimable dans cette autre vie sans laquelle celle-ci ne serait digne ni du Dieu qui la donne, ni de l'homme qui la reçoit! Les penseurs ne se défient pas de Dieu! ils regardent avec tranquillité, avec sérénité, quelques-uns avec joie, cette fosse qui n'a pas de fond; ils savent que le corps y trouve une prison, mais que l'âme y trouve des ailes!

    « Oh ! les nobles âmes de nos morts regrettés, ces âmes qui, comme celle dont nous pleurons en ce moment le départ, n'ont cherché dans ce monde qu'un but, n'ont eu qu'une aspiration, n'ont voulu qu'une récompense à leurs travaux, la lumière et la liberté. Non! elles ne tombent pas ici dans un piège ! Non ! la mort n'est pas un mensonge ! Non ! elles ne rencontrent pas dans ces ténèbres cette captivité effroyable, cette affreuse chaîne qu'on appelle le néant! Elles y continuent, dans un rayonnement plus magnifique, leur vol sublime et leur destinée immortelle. Elles étaient libres dans la poésie, dans l'art, dans l'intelligence, dans la pensée; elles sont libres dans le tombeau! »

     

     

     

    Frédéric Soulié (1800-1847), l’étudiant en droit devenu écrivain

                                 12. Frédéric Soulié (lithographie de Benjamin).

     

     

     

     

     

    Théâtre de L’Ambigu. Les Étudiants. 2eme acte. Royer d’Orilly : M. Mélingue ; Marie de Mortagne : Mlle Émile Guyon

    13. Théâtre de L’Ambigu. Les Étudiants. 2eme acte. Royer d’Orilly : M. Mélingue ; Marie de Mortagne : Mlle Émile Guyon (source : BnF).