• Manifestations étudiantes entre 1909 et 1912

     

     

     

    Répression d’une manifestation d’escholiers (étudiants) de l’Universitas magistrorum et scholarium Parisiensis (Université de Paris) par les sergents royaux en 1229

    1 La répression d’une manifestation d’escholiers (étudiants) de l’Universitas magistrorum et scholarium Parisiensis (Université de Paris) par les sergents royaux en 1229.

     

    Les grèves et manifestations d’étudiants de l’Université de Paris, éventuellement suivies de leur répression par l’autorité, ne sont pas l’apanage des XXème et XXIème siècles.

     

    Par exemple, en 1229, de jeunes étudiants de Paris, alors considérés comme des clercs, furent frappés par un tavernier et des voisins de celui-ci, dont ils contestaient le prix de la chope de vin. Le lendemain, armés de bâtons, ils revinrent pour se venger non sans violence. À la demande du prieur de Saint-Marcel, la régente Blanche de Castille fit châtier les coupables par les sergents royaux et plusieurs étudiants furent tués. Les Maîtres de l'Université de Paris protestèrent auprès de la régente en exigeant l’arrestation des militaires coupables. Comme la régente ne répondait pas à cette demande, les Maîtres et les escholiers de l’Université de Paris organisèrent l’une des plus grandes grèves que connut la capitale. Sous la pression du pape, le roi Louis XI encore mineur (sa mère Blanche de Castille avait refusé de s’incliner), paya une amende et fit jurer aux bourgeois et à l’évêque de Paris de ne plus jamais molester les escholiers de l’Université. Sur ce, la grève se termina et les leçons des Maîtres reprirent avec leurs escholiers redevenus sages et studieux.

     

    D’autres exemples sont donnés avec les grèves des étudiants de Paris, en 1446, auxquelles participa François Villon, et celles de 1553, suite à l’assassinat d’un étudiant, Raymond de Mauregard, par les sergents du Châtelet (ces derniers furent condamnés).

     

     

     

     

    Émeutes étudiantes et barricades au Quartier Latin en juillet 1893 (La Lanterne. 6 juillet 1893).

    2 Émeutes étudiantes et barricades au Quartier Latin en juillet 1893 (La Lanterne. 6 juillet 1893).

     

    De la fin du XIXème siècle jusqu’au début de la Grande Guerre mondiale de 14-18, les troubles estudiantins des quatre Facultés (Droit, Lettres, Sciences et Médecines) de l’Université de Paris prirent diverses formes (chahut lors des cours, intrusion dans les locaux ; blocages de leur accès, manifestations de rue…), tout en étant désormais accompagnés d’articles de presse (v. l’image ci-dessus du journal politique quotidien, La Lanterne, en date du 6 juillet 1893).

     

      

     

     

    Intrusion de manifestants dans la Faculté de Droit de Paris par les fenêtres donnant sur la rue Soufflot.

    3. Intrusion de manifestants dans la Faculté de Droit de Paris par les fenêtres donnant sur la rue Soufflot.

     

    Plus tard, toujours sous la Troisième République (4 septembre 1870-1940), entre les deux Guerres mondiales, la Faculté de Droit de Paris fut, de nouveau, le théâtre de mouvements estudiantins. Certains avaient pour origine l’engagement politique original de leurs professeurs. Ces derniers troubles présentaient plusieurs traits communs : la participation d’étudiants de droite à des manifestations de rue ; leur intrusion dans des amphithéâtres de la Faculté de Droit pour empêcher les cours ; la fermeture provisoire de la Faculté de Droit ; et la suspension administrative ou la démission du Doyen de la Faculté. Je consacrerai un chapitre propre à deux d’entre eux dans les prochaines semaines : chapitre LIV (ou 54) : L’affaire Georges Scelle en 1925 ; chapitre LV (ou 55) : L’affaire Gaston Jèze et François Mitterrand en 1935-1936.

     

     

     

     

     

    Manifestations étudiantes entre 1909 et 1912

    4  « Manifestation des étudiants. Un manifestant conduit au poste de police » (photographie de presse non datée. L’étudiant arrêté est vêtu comme les membres des Camelots du Roi).

     

    Pour l’heure, je vous invite à suivre diverses manifestations des étudiants de la Faculté de Droit de Paris entre 1909 et 1912.

     

    Certains de ces troubles étaient organisés ou accompagnés par des membres, étudiants ou non, d’associations politisées. La plus active d’entre elles fut L’Action française, un mouvement royaliste d’extrême droite, fondé en 1898, en pleine affaire Dreyfus. Non seulement, ce mouvement luttait pour restaurer une monarchie orléaniste « traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire, et décentralisée », mais il était profondément nationaliste (d’où ses combats contre « les Rouges »), anti « métèques » (étrangers domiciliés en France, selon le dictionnaire d’Émile Littré), et antisémite (d’où son hostilité à l’égard  du capitaine Dreyfus, du président de la République Léon Blum, et de Charles Lyon-Caen, le premier Doyen Juif de la Faculté de Droit de Paris).

     

    L’Action Française pouvait notamment s’appuyer sur deux soutiens « logistiques » :

     

     

     

     

    L’Étudiant Français, journal de la Fédération nationale des Étudiants d’Action Française (source : gallica.bnf.fr.).

    5 L’Étudiant Français, journal de la Fédération nationale des Étudiants d’Action Française (source : gallica.bnf.fr.).

     

    -  D’une part, le groupe des Étudiants de l’Action Française, fondé le 8 décembre 1905. Lors de cette journée inaugurale, en présence de Charles Maurras, Eugène Gaignart de Mailly, un étudiant de la Faculté de Droit de Paris, y énonça les deux objectifs poursuivis :

     

    « Nous voulons exposer, discuter les doctrines de l’Action française, et cela pour convaincre, pour déterminer des adhésions libres et réfléchies […] Notre devise sera « la propagande par l’étude ». « En deuxième lieu, nous voulons exclure de nos réunions toute préoccupation électorale ». 

     

     

     

     

    Sur le Boul' Mich'. Un étudiant français (Journal Le Rire du 20 mars 1909, dessin de Markous)

             6       Sur le Boul’ Mich’ (boulevard Saint Michel au Quartier Latin)…

    -         Qu’est-ce qu’il y a ?... 

    -         C’est un étudiant français !...  

    (Journal Le Rire du 20 mars 1909, dessin de Markous. Source : gallica.bnf.fr.). 

      

               Le groupe des Étudiants de l’Action Française militait notamment contre l’envahissement des nos Facultés par les étrangers à qui des équivalences d’études étaient parfois trop facilement accordées par leurs professeurs. Il s’infiltrait alors dans d’autres associations d’étudiants bien représentées dans les Facultés de la capitale comme l’Association générale des Étudiants, dite « A », pour y créer des incidents ou influencer leurs décisions. C’est ainsi qu’André Becheyras, membre des Étudiants d’Action française, parvint à se faire désigner comme délégué de l’ « A » de la Faculté de Droit de Paris où il put notamment faire interdire le vote des étudiants étrangers au sein de son comité directeur.

     

     

     

     

    Défilé des Camelots du Roi dans les rues de Paris

                        7 Défilé des Camelots du Roi dans les rues de Paris.

     

    - D’autre part, le groupe des Camelots du Roi (ou du Roy), grand admirateur de Jeanne d’Arc et de Charles Maurras, créé en  novembre 1908. Leurs membres, constitués d’étudiants des classes supérieures (Droit, Lettres, Sciences) et d’hommes de classes plus humbles (employés et ouvriers), vendaient dans les rues de la capitale le journal de L’Action Française. Ils participaient également à des opérations plus violentes et musclées, notamment en s’introduisant dans les diverses Facultés de la capitale pour y chahuter ou molester les professeurs et les étudiants aux cris de « métèques dehors », ainsi que les professeurs connus pour être hostiles aux thèses maurrassiennes ou trop favorables aux étudiants étrangers.

     

     

     

     

     

    Camelots du Roi (Le Rire, 6 mars 1909)

    8  Épreuve nocturne de nos Jeunes Messieurs, étudiants de Paris : le lit de leur camelote ou le poste de police pour avoir manifesté avec les Camelots du Roy (dessin extrait du journal Le Rire du 6 mars 1909. Source : gallica.bnf.fr.).

     

    Vive les Camelots du Roi, ma mère,
    Vive les Camelots du Roi...
    Ce sont des gens qui s'foutent des lois,
    Vive les Camelots du Roi !
    Et l'on s'en fout, à bas la République !
    Et l'on s'en fout d'la Gueuse et d'ses voyous !
     

     

    Vive la royauté ma mère,
    Vive la royauté,
    Il nous la faut pour cet été,
    Vive la royauté !
    Et vive le roi, A bas la République 
    Et vive le roi, la France y va tout droit.
     

     

    Vive Charles Maurras ma mère,
    Vive Charles Maurras !
    C'est notre maître et c'est un as,
    Vive Charles Maurras !
    Il disait vrai, il prévoyait la guerre,
    Il disait vrai, la Gueuse nous désarmait !
     

     

    Vive Léon Daudet ma mère,
    Vive Léon Daudet !
    Il pend les tueurs au collet,
    Vive Léon Daudet !
    Les égorgeurs de la police politique,
    Tremblent de peur à sa juste fureur !
     

     

    Vive Maurice Pujo* ma mère,
    Vive Maurice Pujo !
    Il est la terreur des sergos,
    Vive Maurice Pujo !
     

     

    Et vive le roi, A bas la République 
    Et vive le roi, La gueuse on la pendra. A la lanterne
    Et si on ne la pend pas, on lui cassera la gueule,
    Et si on ne la pend pas, la gueule on lui cassera !
     

     

    Ah ça ira ça ira ça ira !
    Tous les députés à la lanterne,
    Ah ça ira ça ira ça ira !
    Tous les députés on les pendra !
     

     

    Vive le duc de Guise ma mère,
    Vive le duc de Guise!
    Servir la France est sa devise,
    Vive le duc de Guise !
     

     

    Et vive le roi, A bas la République 
    Et vive le roi, qui défendra nos droits !
     

     

    *Maurice Pujo était un étudiant membre des Camelots du Roi, qui participaient avec Georges Bernanos, et d’autres étudiants de l’Université de Paris (les trois frères Real del Sarte, Théodore de Fallois, Armand du Tertre…), tous très « costauds » à diverses opérations « coups de poing » au Quartier Latin et dans les diverses Facultés de la capitale.

     

     

     

     

               Étudiants devant l’entrée de la Faculté de Droit de Paris, rue Saint-Jacques (photographie de presse datée 1910)

    9  Étudiants devant l’entrée de la Faculté de Droit de Paris, rue Saint-Jacques (photographie de presse datée 1910).

     

    En très grande partie issus de la bourgeoisie catholique « intransigeante » aisée de Paris ou de province, les étudiants de la Faculté de Droit de la place du Panthéon étaient sans doute davantage intéressés par la lecture du journal de L’Action Française, tiré à plus de 60 000 exemplaires en 1920, que par celle du journal L’Humanité créé en 1904 par Jean Jaurès (d’abord socialiste, ce journal devint communiste en 1920). Cette boutade étant dite, il m’est bien difficile de chiffrer, pour les années d’avant la Grande Guerre, le nombre des étudiants de Droit de Paris qui étaient membres, affiliés ou sympathisants de l’Action Française et de ses deux composantes, les Étudiants de l’Action Française et les Camelots du Roi.

     

    Tout au plus, retrouve-t-on, sous diverses plumes, la même litanie : « Ce mouvement connaissait une forte implantation dans les Facultés de Droit » (Stéphane Boiron : « L’Action Française et les juristes catholiques ». Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, 2008/2, n° 28, pages 337 à 367) ; « La doctrine de l’Action Française attire alors […] une partie de la jeunesse française de droite, en particulier dans le Quartier Latin, à Paris, comme en témoigne le contingent important de sympathie que fournit l’Ecole nationale des Chartes, de même que l’Institut catholique, la Faculté de Droit de la capitale et plus modérément les Facultés de Médecine et de Pharmacie » (wikipedia : Action française) ; « Lors d’une manifestation de l’Action Française, en 1912, à Paris, un indicateur dénombre près de 80 étudiants, dont les trois quarts sont inscrits en Droit, environ 10 % en Médecine, quelques-uns suivant des études à l’Ecole des Chartes, et aux Beaux-Arts. » (Rosemonde Sanson, « Les jeunesses d’Action française avant la Grande Guerre », p. 205-215).

     

     

     

     

    Manifestation des étudiants de la Faculté de Droit à travers Paris, le 8 novembre 1909 (photographie de presse. Agence Roll).

    11 Manifestation des étudiants de la Faculté de Droit à travers Paris, le 8 novembre 1909 (photographie de presse. Agence Roll). Les manifestants en tête devaient être membres des Camelots du Roi en raison de leur canne, coiffe et long manteau.

     

            Dans ce contexte, en novembre et décembre 1909, des manifestations du groupe parisien des Étudiants d’Action Française, épaulé par les Camelots du Roi, visèrent personnellement le Doyen de la Faculté de Droit, Charles Lyon-Caen (sur celui-ci : voir le précédent chapitre XLIX, ou 49 : Quatre Doyens de 1899 à 1922).

     

     

     

    Le Doyen Charles Lyon-Caen

    12 Le Doyen Charles Lyon-Caen (illustration de Mme Favrot-Houllevigue, extraite de l’ouvrage Nos Maîtres de la Faculté de Droit de Paris. LGDJ, 1931. En libre accès sur gallica.bnf.fr.).

     

    Premier professeur de confession juive de cette Faculté, Charles Lyon-Caen avait été, sans doute pour cette raison, élu difficilement puis réélu plus difficilement encore par ses collègues à la charge décanale (en 1906 : 23 voix seulement sur 41 suffrages ;  le 13 février 1909 : 19 voix pour 44 votants dont 21 bulletins blancs. En général, les Doyens de la Faculté de Droit étaient élus à la quasi unanimité des votes de leurs collègues).

     

     

     

     

     

    Incidents à la sortie de la Faculté de Droit, devant les portes d’entrée donnant sur la rue Saint-Jacques, le 7 décembre 1909 (photographie de presse. Agence Roll)

    13 Incidents à la sortie de la Faculté de Droit, devant les portes d’entrée donnant sur la rue Saint-Jacques, le 7 décembre 1909 (photographie de presse. Agence Roll).

     

         Dans un premier temps, le Doyen Charles Lyon-Caen s’abstint d’appeler la police pour faire cesser les troubles. Selon ses propres mots « à cause de cette croyance enracinée chez les étudiants qu’ils sont chez eux dans leurs facultés comme sur une terre d’asile et que la police n’y saurait pénétrer ».

     

     

     

     

               Fermeture de la Faculté de Droit, en décembre 1909. La police devant les portes d’entrée donnant sur la rue Saint-Jacques

     14  Fermeture de la Faculté de Droit, en décembre 1909. La police devant les portes d’entrée donnant sur la rue Saint-Jacques (photographie de presse). 

     

    Mais, dans un second temps, le Doyen Charles Lyon-Caen se résolut à appeler la police et il fut contraint de fermer la Faculté de Droit du 10 au 30 décembre. 

     

    Et, en raison de l’opposition hostile d’une partie de ses collègues, le Doyen Charles Lyon-Caen démissionna de ses fonctions le 23 février 1910. Il laissa la charge décanale à un protestant : le professeur Paul Cauwès (sur celui-ci : voir le chapitre XLIX, ou 49 : Quatre Doyens de 1899 à 1922).

     

     

     

     

    Le Professeur Albert Wahl « plus sévère que les lois »

    15  Le Professeur Albert Wahl « plus sévère que les lois » (illustration de Mme Favrot-Houllevigue, extraite de l’ouvrage Nos Maîtres de la Faculté de Droit de Paris. LGDJ, 1931. En libre accès sur gallica.bnf.fr.).

     

    Les années suivantes, la Faculté de Droit de Paris fut le théâtre de nouveaux troubles estudiantins.

     

     

     

     

    Manifestation et expulsion musclée des étudiants de la Faculté de Droit de Paris, le 3 février 1911

    16 Manifestation et expulsion musclée des étudiants de la Faculté de Droit de Paris, le 3 février 1911 (source de l'illustration: journal Excelsior, du 5 février 1911, p. 5). N° 1: le Doyen Paul Cawès. N° 2: le Professeur Albert Wahl. N° 3: expulsion des étudiants par la police. N° 4: arrestation d'un étudiant en Droit.

     

    - D’abord, en 1910, le cours de Droit civil de première année de licence du Professeur Albert Wahl fut perturbé par des étudiants qui jugeaient ce prof' beaucoup trop sévère dans ses notations, et critiquaient l’absence de choix entre deux cours de Droit civil en deuxième année de licence (celui qu’assurait précisément Albert Wahl, et celui qu’assurait un autre professeur bien plus indulgent dans ses notations!). Le 3 février 1911, le cours de Droit civil du Professeur Albert Wahl fut de nouveau perturbé par les étudiants, et la Faculté de Droit fut fermée jusqu’au 1er mars de la même année !

     

    - Ensuite, en novembre 1912, les cours de deuxième année de licence des professeurs Bartin, Allix et Bernard furent perturbés par des étudiants qui réclamaient qu’ils soient assurés dans un amphithéâtre moins incommode. Les cours furent alors suspendus pendant près d’une semaine !