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    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                 1 Enfants et leur perruche (photographie, circa 1930) 

     

        Je suis toujours en train de préparer la 5ème édition de mon manuel d'Introduction au Droit qui doit paraître en 2018, chez Ellipses.

     La dernière édition datant de 2010, il y a du "boulot". Par exemple, j'avais illustré, dans la dernière édition, les développements théoriques relatifs, d'une part au mécanisme du pourvoi en cassation, d'autre part à la non rétroactivité des lois, avec la célèbre affaire Perruche. Cette affaire a agité les prétoires de nos plus grandes juridictions, le Parlement, la presse spécialisée et nos Facultés de Droit pendant plus d'une dizaine d'années (de 1992 à 2002).      

       " Pas de bol "  pour moi, cette première série du feuilleton Perruche a tellement plu que ses producteurs ont tourné une seconde série allant, cette fois, jusqu'à l'année 2011 comprise !  Je suis donc en train d'intégrer le long scénario de cette seconde série dans l'actualisation de mon manuel.

     Voici la synthèse de ce scénario, illustrée, par fidélité à la thématique de ce blog, de photos et images anciennes de perruches. Sans trait d'humour car les faits de l'espèce sont tristes. Et sans les développements préliminaires théoriques de mon manuel relatifs au mécanisme du pourvoi en cassation et à la règle de la non-rétroactivité des lois car mon éditeur pourrait me gronder !

     Je rappelle au préalable à tous ceux qui, comme moi, l'ignoraient que la perruche est le nom vernaculaire donné à plusieurs espèces d'oiseaux appartenant à l'Ordre non pas des avocats mais des psittaciformes (en un seul mot s'il vous plaît).

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                          Perruche à collier rose (Bengale et Ceylan)

     

     Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes.         Le célèbre arrêt Perruche, rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 17 novembre 2000, illustre le déroulement d’un procès ayant fait l’objet de deux pourvois successifs pendant plus d'une décennie (Cass. ass. plén., 17 nov. 2000 : Bull. civ. 2000, n° 9). Seulement, cet arrêt n'a pas mis un terme à cette affaire qui, pendant une nouvelle décennie, s'est invitée devant  la Cour européenne des Droits de l'Homme et nos plus hautes juridictions nationales (Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Conseil d'État).

             En voici les faits. Pendant sa grossesse, une femme consulte un médecin et subit des analyses. Le médecin commet une erreur de diagnostic, et le laboratoire une erreur d’analyse d’un résultat sanguin. En raison de ces fautes, la femme n’a pu être informée de la rubéole qu’elle avait contractée, et elle a donné naissance à un enfant affecté d’un grave handicap. Or, si elle avait eu connaissance de sa maladie, cette femme aurait pu décider d’avorter, puisque la loi autorise l’interruption volontaire de grossesse pour des raisons thérapeutiques (CSP, art. L. 2213-1). La mère réclamait donc, au nom de l’enfant, la réparation du préjudice résultant du handicap de celui-ci.

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                          Perruche à col vert (Argentine et, depuis cette année Paris !)

     

    1. Le tribunal de grande instance d’Évry, le 13 janvier 1992, a condamné le médecin et le laboratoire à indemniser le préjudice causé à l’enfant en raison de leurs fautes respectives.

     

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

               Perruche Catherine (Mexique, Panama, Colombie, Venezuela et Pérou)  

      

    2. La cour d’appel de Paris, le 17 décembre 1993, a réformé ce jugement, considérant que le handicap de l’enfant avait pour cause directe la rubéole que lui avait transmise sa mère in utero et non les fautes relevées contre le médecin et le laboratoire. En effet, en droit de la responsabilité, une personne n’est responsable que de ses fautes qui sont la cause directe du dommage de la victime. Or, pour les juges d’appel, rien ne permettait de préjuger que si la mère avait été correctement informée, elle aurait décidé d’avorter. La causalité étant réduite à une simple hypothèse, elle n’était pas directe.

     

     

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                                  Perruche à tête de prune (Asie)

     

    3. Sur un premier pourvoi, la Cour de cassation, le 26 mars 1996, a cassé l'arrêt de la cour d’appel de Paris. Pour la Cour de cassation, il existait un lien de causalité entre le dommage subi par l’enfant et les fautes du médecin et du laboratoire, car si la mère avait été informée de sa maladie elle aurait pu avorter, empêchant par là même l’enfant de naître. Ainsi la Cour de cassation admettait-elle que le lien de causalité entre la faute et le dommage ne soit pas toujours direct.

     

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

     Perruche ondulée (originaire d'Australie, il s'en vend plus de 100 000 chaque année en France) 

     

    4. Sur renvoi de cassation, la cour d’appel d’Orléans, le 5 février 1999, a refusé de s’incliner, considérant que l’enfant n’avait pas subi de préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises.

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                             Perruche à croupion rouge (Australie)

     

    5. Un nouveau pourvoi ayant été formé, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 17 novembre 2000, sous le visa des articles 1165 (1199 nouveau) et 1382 (1240 nouveau) du Code civil, a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Orléans, et renvoyé l’affaire devant cette même cour d’appel dans une formation autrement composée (Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, Bull. civ. 2000, n° 9, p. 15).

      Le principe de l’indemnisation du préjudice personnel subi par un enfant né handicapé est alors formulé par la Cour de cassation, en ces termes : « Dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire […] avaient empêché Mme Perruche d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues. »

     

                                           Cour de Cassation. Assemblée Plénière. 17 novembre 2000

     

     

    6. La seconde cour d’appel de renvoi aurait dû appliquer l'interprétation de la règle de droit posée par la Cour de cassation aux faits de l’espèce, et condamner le médecin et le laboratoire à indemniser le préjudice résultant du handicap de l’enfant.

             Mais la procédure a été suspendue en raison de l’entrée en vigueur de la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, devenu l’article L. 144-5 du Code de l’action sociale et des familles, qui énonce : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance […] Lorsque la responsabilité d’un professionnel […] est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité de leur seul préjudice. » 

                  Cette loi, dite anti-Perruche, avait été votée en catastrophe par le Parlement pour qui, la Cour de cassation, en autorisant les victimes à se prévaloir d’un préjudice du fait de leurs naissances, incitait à l’euthanasie prénatale. Et, pour mettre un terme à la jurisprudence Perruche, le Parlement avait prévu l’application immédiate de ses dispositions aux instances en cours, donc au procès Perruche, condamnant les parties à courir, de nouveau, les prétoires.

     

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

     

     Perruche à Tête d'Or ou Kakariki à Front Jaune (Nouvelle-Zélande, Cayenne, et dans tous nos élevages. Gravure Oiseaux de Buffon. Pl. 35).

     

    7. La Cour EDH, le 6 octobre 2005, à l'unanimité des 17 juges formant sa Grande Chambre, a condamné ce caractère rétroactif de la loi Kouchner aux instances en cours (Cour EDH, 6 oct. 2005, Aff. Draon c. France et Maurice c. France, req. n° 1513/03 et 11810/03). Elle s'est fondée sur le protocole n° 1 de la Conv. EDH aux termes duquel « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». Pour la Cour EDH, en supprimant, avec effet rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation que les parents auraient pu faire valoir, le législateur les a privés d’une valeur patrimoniale préexistante et faisant partie de leurs biens, à savoir une créance en réparation reconnue par la Cour de cassation française, dont ils pouvaient légitimement voir déterminer le montant.

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                      Perruche Ara de Cayenne (Gravures Oiseaux de Buffon. Pl. 864)

     

    8. Le Conseil d'État, le 24 février 2006, qui connaît du contentieux de la responsabilité médicale des établissements publics, a condamné le caractère rétroactif de la loi du 4 mars 2002, en reprenant pour l’essentiel les motifs de la Cour EDH (C.E., 24 févr. 2006, n° 250704, Publié au recueil Lebon).

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

     Femelle de la Perruche à Front Jaune (Nouvelle-Zélande, et dans tous nos élevages) 

     

    9. La Cour de cassation, le 8 juillet 2008, qui connaît du contentieux de la responsabilité médicale privée, a réduit davantage encore la portée de la loi de 2002 considérant qu’elle ne pouvait s’appliquer rétroactivement aux dommages causés avant son entrée en vigueur, peu important la date de l’introduction de la demande en justice (Civ. 1re, 8, juill. 2008 : Bull. 190).

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

     Perruche à Tête d’Or ou Kakariki à Front Jaune (Nouvelle-Zélande, et dans tous nos élevages)

     

    10. Le Conseil constitutionnel, le 11 juin 2010, par le biais d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité est, à son tour, entré dans ce feuilleton judiciaire (Cons. const. 11 juin 2010, Décision n° 2010-2 QPC).

          Certes, il a jugé conforme à la Constitution la règle selon laquelle « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».

        Mais, il a jugé contraire à la Constitution son application aux instances en cours au moment du vote de la loi, se référant en particulier à l'article 16 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel : «  Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminés, n'a point de Constitution ». Pour le Conseil, si des motifs d'intérêt général peuvent justifier que les nouvelles règles soient rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne peuvent justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui ont, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice.

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                             Perruche Lori (Australie, Nouvelle-Zélande et Indonésie)

     

     

    11. Le Conseil d'État, le 13 mai 2011, a toutefois considéré que cette annulation par le Conseil constitutionnel n’avait pas eu pour conséquence de rendre indemnisable le préjudice personnel subi par un enfant avant l’entrée en vigueur de la loi de 2002, selon la jurisprudence antérieure (C.E., 13 mai 2011, Mme L., n° 329290). Pour le Conseil d'État, les enfants concernés ne peuvent être indemnisés de leur préjudice personnel que si une action en réparation a été engagée avant l’entrée en vigueur de cette loi. Dans le cas contraire, ils relèvent du dispositif de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et de la famille, issu de l’article 1er de la loi Kouchner, qui interdit à quiconque de se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

    Perruche Amazonine (l’auteur de ce dessin ancien a qualifié de ce nom l’une des 1300 espèces d’oiseaux d’Amazonie qui ressemble plutôt à un ara ou à un perroquet !)

     

    12. La Cour de cassation, le 15 décembre 2011, a adopté, au contraire, une interprétation plus large de la décision du Conseil constitutionnel (Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-27473, PB). Elle a considéré que l'article 1er de la loi de 2002 n’était pas applicable aux dommages causés aux enfants avant son entrée en vigueur, indépendamment de la date de l’introduction des demandes en justice. Pour justifier cette solution favorable aux victimes, la Cour de cassation s’est appuyée sur l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel qui doit s’attacher non seulement au dispositif, mais également aux motifs dès lors qu’ils en sont le support nécessaire.

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                                       Perruche à Moustache (Asie)

     

    13. Quant à la Cour EDH, le 30 août 2011, elle avait, concomitamment à nos plus hautes juridictions nationales, considéré que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacraient pas un droit acquis à une jurisprudence constante et qu’une évolution de la jurisprudence n’était pas en soi contraire à une bonne administration de la justice (Cour EDH, 30 août 2011, Boumaraf c. France, n° 32820/08).

        Toutefois, elle précisait qu’en présence d’une jurisprudence bien établie la juridiction suprême avait l’obligation de donner des raisons substantielles pour expliquer son revirement de jurisprudence, sauf à violer les droits du justiciable d’obtenir une décision suffisamment motivée.

                                Feuilleton judiciaire : sans suite ?

     

     

     


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               Le naufrage de la France des Droits de l'Homme (Cour EDH)

     

    26 août 1789 : adoption à Versailles, par l’Assemblée constituante, de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (gravure d’Helman, d’après Charles Monnet. Bibliothèque nationale. Paris).

     

     

    En ce qui concerne les sources directes du droit et la primauté de la Convention européenne des Droits de l’Homme, aussi appelée Conv. EDH, voire CEDH, pour aller plus vite, je suis pour le moins atterré de constater le nombre de condamnations dont la France, pays légendaire des Droits de l’Homme, est aujourd’hui l’objet, et les sortes d'atteintes aux Droits humains fondamentaux qui lui sont reprochées !

     

     

    Le naufrage de la France des Droits de l'Homme (Cour EDH)

     

    Le sous chef du bureau de la logistique de la Direction des affaires juridiques d’un ministère quelconque, en phase de réflexion sur le texte d’un règlement d’application d'une loi discriminatoire à l’égard des retraités hébergés en EPHAD, soumis à l’augmentation de la CSG et exclus de la mesure compensatoire de suppression de l’impôt sur la taxe d’habitation (aquarelle de Sem. Messieurs les   Ronds-de-Cuir de Georges Courteline. Paris. Javal et Bourdeaux éditeurs. 1927). L’article 14 de la Conv. EDH interdit toute discrimination entre individus ou groupes d’individus d’après l'appartenance à une minorité nationale ou toute autre situation, conduisant à une inégalité (art. 14). 

     

    Au moins, aujourd’hui, étant un « prof de fac »  à la retraite n’ai-je plus à affronter les questions de mes jeunes étudiants de première année les plus sensibles ou boutefeux :

    « M’sieur, M’sieur ! - Comment des centaines de lois aussi inhumaines ont-elles pu être préparées, rédigées et votées par la multitude de parlementaires de la Vème République grassement appointés qui polluent chaque jour le quotidien des mortels « sans dents », « illettrés » et autres « fainéants » de la basse France ? »

    « M’sieur, M’sieur ! - Comment des centaines de textes réglementaires aussi immondes ont-ils pu être concoctés et rédigés par des Ronds de Cuir des ministères et approuvés par des ministres et autres chefs de gouvernement ? »

    « M’sieur, M’sieur ! - Comment de tels textes aussi sordides ont-ils pu obtenir la bénédiction du Conseil d’État ? »

     

     

     

     

    Le naufrage de la France des Droits de l'Homme (Cour EDH)

     

    Un Prof’ de Droit, « Senor Legal Counsel » du cabinet Timesismoney.com, implanté dans l’un des villages de NAP (Neuilly-Auteuil-Passy), en pleine réflexion sur un projet d’article sur Les Droits de l’Homme et les Libertés Fondamentales à paraître dans la revue Le Rire Juridique (aquarelle de Sem. Messieurs les Ronds-de-Cuir de Georges Courteline. Paris. Javal et Bourdeaux éditeurs. 1927). 

     

    « C. difficile » pour un prof’ de droit de répondre à ce genre de questions (avec un s, s'il vous plaît, car genre est une catégorie comportant plusieurs éléments !), avant d’être sauvé in extremis par une panne volontaire de micro, l’irruption dans l'amphi d’un collectif d’étudiants pour la suppression des notes inférieures à la moyenne, ou la fin du cours !

     

     

     

     

    Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, aussi appelée Convention Européenne des Droits de l'Homme (source : Conseil de l'Europe).

     

    Prolifération des droits de l’homme. Les multiples condamnations, prononcées, chaque année, par la Cour EDH contre les États, au nom du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, donnent lieu à un sentiment de malaise. Ainsi, en 2016, environ 95% des arrêts prononcés constataient-ils au moins une violation des droits humains par les États signataires y compris la France. À leur décharge, ces décisions sont parfois la conséquence d’un champ d’intervention de la Cour EDH quasiment illimité, et elles ne concernent pas nécessairement des violations du droit à la vie ou des traitements humains dégradants. Beaucoup sont relatives au droit à un procès équitable et à la durée des procédures.

     

     

    Le naufrage de la France des Droits de l'Homme (Cour EDH)

     

    La Convention européenne des Droits de l’Homme, entrée en vigueur en 1953, se réfère à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (Universal Declaration of Human Rights) adoptée, à Paris, le 10 décembre 1948, par l’Assemblée générale des Nations Unies. La philosophie des Droits de l’Homme est née avec le siècle des Lumières et s’est inscrite dans la Déclaration des droits américaine de 1776 (United States Bill of Rights), et la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens de la Révolution française, décrétée par l’Assemblée Nationale dans les séances des 20, 21, 23, 24 et 26 août 1789, puis acceptée par le Roi.

     

     

    D’un côté, les droits et libertés contenus dans la Convention EDH sont évoqués en termes très généraux et difficiles à définir. Par exemple, sont garantis : le droit à la vie (art. 2) ; le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5) ; le droit à un procès équitable, public, dans un délai raisonnable, et par un tribunal indépendant et impartial (art. 6 ); le droit au respect de la vie privée (art. 8) ; la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9) ; le droit à la liberté d’expression (art. 10) ; et l’interdiction de toute discrimination entre individus ou groupes d’après certains caractères particuliers (origine, sexe…), conduisant à une inégalité (art. 14).

     

    Par exemple, en 2009, la Cour EDH a condamné la Turquie au motif qu’un suspect n’avait pu être assisté par un avocat, dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire (Cour EDH, 13 oct. 2009, Dayanan c. Turquie, n° 7377/03). La Cour de Strasbourg s’est notamment fondée sur l’article 6 de la Conv. EDH qui garantit le droit à un procès équitable. En 2016, au regard du droit respect du droit de la vie privée ou familiale elle a condamné, d'une part, le Portugal pour des mesures de placement aux fins d'adoption des enfants d'une mère en situation de précarité (Cour EDH, 16 févr. 2016, Soares de Melo c. Portugal, n° 72850/14), d’autre part, la Lituanie pour l'interdiction du port de la barbe dans ses prisons (Cour EDH, 14 juin 2016, Birzietis c. Lituanie, n° 49304/09).

     

     De l'autre, la Cour EDH n’hésite pas à interpréter les droits subjectifs contenus dans la Convention et ses protocoles additionnels de manière très extensive, voire à dégager de nouveaux droits et à les faire évoluer au gré des circonstances, sans se préoccuper d’assurer une certaine continuité à sa propre jurisprudence.

     

    Un premier exemple concerne la présence de crucifix dans des classes d’écoles italiennes. Dans un premier temps, la formation de Chambre de la Cour EDH avait jugé cette pratique contraire à la liberté de religion, garantie par l’article 9 de la Conv. EDH, en ce qu’elle restreignait le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions, ainsi que le droit des enfants de croire ou de ne pas croire (Cour EDH, 3 nov. 2009, Lautsi c/Italie, n° 30814/06). Dans un deuxième temps, la Grande Chambre de la Cour EDH, sur renvoi de l’affaire à la demande de l’Italie, renvoi prévu par l’article 43 de la Conv. EDH, s’est prononcée en sens contraire, considérant que la décision de perpétuer ou non cette tradition relevait en principe de la marge d’appréciation dont dispose chaque État (Cour EDH, G.C. 18 mars 2011, Lautsi c/Italie, n° 30814/06).

    Un autre exemple est donné avec la question de la surveillance par l’employeur des courriels privés des salariés dans l’entreprise. En 2016, la formation de Chambre de la Cour EDH considérait que cette pratique ne transgressait pas l'article 8 de la Conv. EDH qui protège le droit à la vie privée et les correspondances (Cour EDH, 12 janvier 2016, Barbulescu v. Romania, n° 61496/08). Puis, en 2017, la Grande Chambre de la Cour EDH, sur renvoi de l’affaire à la demande de la Roumanie, a jugé qu'il y avait, au contraire, violation de cet article 8, l'Etat roumain n'ayant pas protégé de manière adéquate le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance (Cour EDH, 5 sept. 2017, Barbulescu v. Romania, n° 61496/08).

     

     

     

    Le naufrage de la France des Droits de l'Homme (Cour EDH)

     

    Le vaisseau de ligne français de 74 canons « Les Droits de l’Homme » échoua, en baie d’Audierne, lors d’une bataille navale avec les frégates anglaises, les 13 et 14 janvier 1797, entraînant la mort d’environ 300 marins (la Baie d’Audierne correspond à la portion du littoral de la pointe Finistère, délimitée au Nord par la pointe du raz et au sud par celle de Penmarc).  

     

     

    Condamnation de la France. La France n’est pas épargnée. Il existe un abondant contentieux destiné à apprécier la conformité des lois et des pratiques françaises aux droits affirmés par la Conv. EDH (une vingtaine de condamnations de la France par la Cour de Strasbourg chaque année, la plaçant, en 2017, au rang de 12ème État le plus condamné sur les 47 que comptent le Conseil de l'Europe).

     

    Décisions notables. La France a été condamnée pour torture à la suite de sévices infligés par des policiers sur une personne gardée à vue, sur le fondement de l’article 3 de la Conv. EDH selon lequel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » (Cour EDH, 28 juill. 1999, Selmouni c. France, n° 25803/94). Elle a été jugée coupable d’avoir enfreint l’article 5 § 3 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Conv. EDH pour avoir maintenu des prévenus en détention provisoire pendant 6 ans (Cour EDH, 8 oct. 2009, N. c. France, n° 35469/06). Elle a été condamnée parce que l’ancien article 760 du Code civil réduisait la part successorale de l’enfant adultérin par rapport aux enfants légitimes ou naturels en violation de l’article 14 de la Conv. EDH, qui interdit de traiter de manière différente, sauf justification, objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (Cour EDH, 1er février 2000, Mazurek c. France, n° 34406/97). Elle a également été condamnée, d'une part,  pour violation de l’art. 6 de la Conv. EDH (procès équitable), en raison de ses procédures de garde à vue sans garantie du droit de se taire ni d’être assisté d’un avocat (Cour EDH, 14 oct. 2010, Brusco c. France, n° 1466/07), d’autre part, sur le fondement des articles 3 et 13 de la Conv. EDH, pour des conditions de détention en quartier disciplinaire contraires à la dignité humaine, et à l’impossibilité pour le détenu de pouvoir contester en temps utile la sanction infligée (Cour EDH, 20 janv. 2011, Payet c. France, 19606/08).

     

     

     

    Le naufrage de la France des Droits de l'Homme (Cour EDH)

     

    Patins à roulettes sur la Dalle du Trocadéro scellée, le 17 octobre 1987, par le père Joseph Wresinsky fondateur du Mouvement International ATD Quart Monde, en présence de 100 000 défenseurs des Droits de l’Homme de tous pays, en l’honneur des victimes de la misère (photographie prise le lendemain, le 18 octobre 1987). 

     

     

    Plus récemment, la France a été condamnée pour son interdiction absolue des syndicats dans l’armée (Cour EDH, 2 oct. 2014, Matelly c. France, n° 10609/10) ; pour des défauts de soins d’un détenu lourdement handicapé (Cour EDH, 19 févr. 2015, Helhal c. France, n° 10401/12) ; et pour l’inexécution d’une décision ayant octroyé un droit au logement à une famille dans le cadre de la loi du 5 mars 2007 instituant un droit au logement opposable, dite loi DALO (Cour EDH, 9 avr. 2015, T.H. c. France, n° 65829). La France a encore été condamnée pour sa pratique de placements dans des centres de rétention administrative de familles étrangères avec des enfants en bas-âge, lesquels subissent de ce fait un traitement allant à l’encontre des articles 3, 5 et 8 de la Conv. EDH relatifs à la torture, à la liberté et au respect de la vie familiale (CEDH, 12 juill. 2016, cinq arrêts : n° 33201/11 ; n° 11593/12 ; n° 24587/12 ; n° 68264/14 ; n° 76491/14). Et, en 2017, elle a été une énième fois condamnée pour son refus de transcrire sur les registres de l’état civil les actes de naissance d’enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) pratiquée à l’étranger, constitutif d’une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée de ces enfants, garanti par l’article 8 de la Conv. EDH (Cour EDH, 19 janv. 2017, Laborie c. France,  n° 44024/13). 

     

     

     

                 

     


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    Réforme du Code de travail : la revanche du patronat

    Publication dans la nuit du 23 septembre 2017 des cinq ordonnances réformant le Code du travail, signées le 22 décembre par le président de la République. Illustration de Jean Jacques Grandville (1803-1847) intitulée : descente dans les ateliers du Journal Officiel...

     

     

    Notes de droit : La procédure des ordonnances « estivales » prévue à l’article 38 de la Constitution : rapidité, efficacité et discrétion garanties.

     

       Aux lois ordinaires, il convient d’assimiler les ordonnances de l’article 38 de la Constitution, à partir du moment où, après avoir été prises en conseil des ministres, elles ont été ratifiées par le Parlement. Avec ces ordonnances, le pouvoir exécutif légifère dans des matières qui, selon l’article 34 de la Constitution, sont normalement du domaine de la loi, c’est-à-dire réservées au Parlement. Toutefois, lorsque le Gouvernement demande au Parlement la permission d’empiéter sur son domaine, le Parlement peut l’autoriser en votant une loi dite d’habilitation. Une fois l’ordonnance prise en conseil des ministres, après avis du Conseil d’État, cette ordonnance doit être ratifiée de manière expresse par le Parlement. Dès qu’elle est ratifiée, elle acquiert valeur de loi. Dans le cas contraire, elle n’a que valeur réglementaire.

     

       À l’origine, l’élaboration des codes faisait l’objet d’une loi votée par le Parlement. Cependant, le recours à la procédure législative ordinaire soulevait des difficultés. Il fallait d’abord obtenir l’aval du Parlement, alors même que son ordre du jour, très chargé, ne lui permettait guère de discuter et d’examiner une multitude de lois portant codification de l’ensemble d’une branche du droit français. Ensuite, les parlementaires, qui disposent d’un droit d’amendement, pouvaient l’exercer pour modifier le contenu même des textes, contrairement aux souhaits du Gouvernement et au caractère en général constant du code. Aussi, pour contourner ces obstacles, le Gouvernement recourt-il, depuis 1999, à la procédure des ordonnances prévue à l’article 38 de la Constitution. Ce procédé a été validé par le Conseil constitutionnel (Cons. const., no 99-421, 16 déc. 1999, J.O. du 22 déc.). La codification est donc désormais effectuée par le Gouvernement, sur habilitation du Parlement, et les ordonnances reçoivent une valeur législative après avoir été approuvées par une loi de ratification.

     

     

     

    Réforme du Code du travail : la revanche du patronat

    - De l’augmentation ? Vous n’y pensez pas, vous qui n’avez plus que dix ans à attendre pour la médaille du mérite de la France en Marche ! (L’Assiette au Beurre : Les classes dirigeantes, par Louis Malteste, n° 205 du 24 novembre 1906, page 2).

     

     

    Notes de droit : « Les ordonnances réformant le Code du travail regroupent une série de mesures, saluées par le patronat » (Le Monde, 23 septembre 2017).

     

     Droit du travail.  Cette autre branche du droit privé régit les relations entre les employeurs et les salariés. Ce n’est qu’à partir du siècle dernier, avec le développement de la législation protectrice des salariés, que le droit du travail s’est progressivement émancipé du droit civil. Auparavant, il se trouvait réduit à deux modestes articles du Code civil relatifs au contrat dit de louage de services, les articles 1780 et 1781. Il va sans dire que ces articles, rédigés en 1804, étaient loin d’être progressistes et égalitaires. Ainsi l’article 1781 disposait-il : Le maître est cru sur son affirmation, pour la quotité des gages ; pour le paiement des salaires de l’année échue ; et pour les acomptes donnés pour l’année courante. Autrement dit, en cas de litige entre un employeur et un salarié sur le versement de salaires, on ne donnait foi qu’à la parole de l’employeur !

     

     

    CHAPITRE III.
    du louage d’ouvrage et d’industrie.

    1779.

    Il y a trois espèces principales de louage d’ouvrage et d’industrie :

    1.° Le louage des gens de travail qui s’engagent au service de quelqu’un ; 2.° Celui des voituriers, tant par terre que par eau, qui se chargent du transport des personnes ou des marchandises ;

    3.° Celui des entrepreneurs d’ouvrages par suite de devis ou marchés.

     

    Section 1
    Du Louage des Domestiques et Ouvriers.

    1780.

    On ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée.

    1781.

    Le maître est cru sur son affirmation ;

    Pour la quotité des gages ;

    Pour le paiement du salaire, de l’année échue ;

     

    Et pour les à-comptes donnés pour l’année courante.





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