• Pierre Savigny de Belay : scènes du procès Stavisky (2/2)

     

     

     

     

    Pierre Savigny de Belay : scènes du procès Stavisky

    1 Le procès Stavisky devant la Cour d’assises de la Seine (peinture signée de Pierre de Belay, datée 1936, titrée en haut à droite. Source : catalogue en ligne de ventes aux enchères*).

     

    « Tous Pourris ». La IIIème République (4 septembre 1870-10 juillet 1940), connut nombre d’affaires impliquant des parlementaires ou ministres comme celles : du Canal de Panama en 1889 ; Boulaine en 1902 ; Henri Rochette en 1908 ; Marthe Harneau en 1928 ; Oustric en 1929, qui entraîna la chute du gouvernement Tardieu dont le garde des Sceaux, Raoul Péret, était accusé de corruption ; et Stavisky, de 1933 à 1936, qui conduisit à la démission d’Albert Dalimier, ministre des Colonies, et de Camille Chautemps, président du Conseil des ministres, en janvier 1934.

     

       * L’artiste peintre Pierre de Belay suivit le procès de cette affaire Stavisky, qui se tint, devant la Cour d’assises de la Seine, du 4 novembre 1935 au 18 janvier 1936. Il réalisa plusieurs toiles et dessins représentant les plaidoiries, les accusés et les avocats de ce procès. Il les exposa, en 1935, à la galerie Katia Granoff, quai Conty, et au Palais de Justice de Paris dans les bureaux de la presse judiciaire. Aujourd’hui, on en retrouve certains dans divers musées nationaux (Brest, Rennes, Quimper..). Toutefois, le téléchargement de ces œuvres, lorsqu’elles sont mises en ligne par les musées, étant parfois bloqué (« vous ne pouvez pas effectuer de clic droit avec la souris sur ce site »), je ne les présenterai pas dans cette page. Je me suis donc attaché à ne retenir que des peintures et croquis de Pierre de Belay, présentés dans des catalogues en ligne d’expositions ou de ventes aux enchères ces dernières années, en les complétant de quelques photographies de l’époque dont quatre extraites du journal L’Intransigeant (quotidien publié de 1840 à 1940).

     

     

     

     

     

    Alexandre Stavisky

    2 Alexandre Stavisky (Au fil des années, Stavisky, pour ne pas être reconnu, changeait d’aspect. Sur cette photographie de 1926, il a les cheveux au vent et porte une moustache).

     

     « Le beau Sacha » (surnom de Stavisky). Serge Alexandre Stavisky, qui était né, en Ukraine, le 20 novembre 1886, arriva en France, avec sa famille, à l’âge de douze ans (il sera naturalisé en 1910). Beau parleur, il séduisit non seulement de gentilles dames, mais aussi des hommes politiques naïfs et/ou complaisants, dont il se servit pour commettre des escroqueries financières et bénéficier de l’absence de zèle des autorités compétentes dans les dossiers le concernant (près d’une vingtaine de rapports établis, à partir de 1924, par la Sûreté et la Police judiciaire sur ses agissements ambigus, restèrent lettre morte).

     

     

    Bon de la Caisse du Crédit municipal de Bayonne émis en 1931 et payable en 1934

                 3 Bon de la Caisse du Crédit municipal de Bayonne émis en 1931 et payable en 1934. 

     

         « La République des avocats » (sous la IIIème République : entre 25 et 40% d’avocats à l’Assemblée nationale, et 35% parmi tous les ministres). Le dernier scandale impliquant Stavisky fut celui de l’émission de plus de 200 millions de faux bons de caisse, au nom d’une banque, le Crédit municipal de Bayonne (un bon de caisse n’est pas une valeur mobilière, mais une reconnaissance de dette de la banque émettrice). Le conseil d’administration de cette banque était présidé par son ami Joseph Garat (1872-1944). Celui-ci, après son doctorat en droit, fut avocat quelques années, puis député-maire de Bayonne (cinq mandats à la Chambre des députés de 1910 à 1936).

     

     

     

    « Stavisky se suicide d’un coup de révolver qui lui a été tiré à bout portant » (Une du Canard enchaîné du 10 janvier 1934).

    4 « Stavisky se suicide d’un coup de révolver qui lui a été tiré à bout portant » (Une du Canard enchaîné du 10 janvier 1934). 

     

     « Defunctoeo qui reus fuit criminis, et poena extincta » (la mort de l’accusé éteint la peine et par conséquent l’action. Marcien, IIIème siècle apr. J-C.). Toutefois, Stavisky ne put être jugé pour cette affaire par la Cour d’assises de la Seine. En effet, il fut retrouvé, le 9 janvier 1934, agonisant dans un chalet de Chamonix « atteint d’une balle … tirée à 3 mètres. Voilà ce que c’est que d’avoir le bras long. » (Le Canard enchaîné du 10 janvier 1934). Certains réfuteront la thèse du suicide, évoquant un assassinat commis pour l’empêcher de dénoncer des hommes politiques compromis dans ses affaires sulfureuses.

     

     

     

     

    Le Conseiller Albert Prince

                5. Le Conseiller Albert Prince (source : Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE).

     

        « Il y a deux cents fripouilles qui sont protégés par des politicards » (Albert Prince). Plus étrange, un mois plus tard, le 20 février 1934, fut retrouvé sur une voie de chemin de fer près de Dijon, le corps déchiqueté d’Albert Prince, Conseiller à la Cour d’appel de Paris, devenu chef de la section financière du Tribunal de la Seine chargé de l’affaire Stavisky. Albert Prince, un ancien héros de la Première guerre mondiale redouté pour sa droiture, devait témoigner devant une commission d’enquête parlementaire, mise en place en février 1934, concernant les reports successifs dont Stavisky avait pu bénéficier pour son procès (Albert Prince aurait mis en cause le procureur général près du parquet de la Seine, Georges Pressard, beau-frère de Camille Chautemps, président du Conseil). Il avait alors déclaré quelques temps auparavant : « Il y a deux cents fripouilles qui sont protégés par des politicards. Ça va barder. Soyez tranquille. Je les tiens. »

     

     

     

     

    Portrait de Charles Barnaud, président des débats du procès Stavisky (dessin de Pierre de Belay

    6 Portrait de Charles Barnaud, président des débats du procès Stavisky (dessin de Pierre de Belay, novembre ou décembre 1935, titrée en bas à droite. Source : catalogue en ligne de ventes aux enchères).  

     

        Stavisky étant décédé, l’affaire du Crédit municipal de Bayonne, jugée par la Cour d’assises de la Seine, entre le 4 novembre 1935 et le 18 janvier 1936, ne put concerner qu’une vingtaine d’inculpés, « seconds rôles » (les poursuites furent abandonnées à l’égard de plusieurs députés : Edmond Boyer, Louis Proust…). Les débats furent présidés par Charles Barnaud (1869-1937), docteur en droit, entré dans la magistrature en 1894 (il finira conseiller à la Cour de cassation).

     

     

     

    Pierre Savigny de Belay : scènes du procès Stavisky (2/2)

    7 Un homme de robe (magistrat ou avocat ?) lors du procès Stavisky (croquis de Pierre de Belay, esquissé en 1936, et achevé en 1937. Source : catalogue en ligne de ventes aux enchères. Quimper). 

     

        Pendant près de trois mois, les inculpés et les parties civiles furent défendus par une cinquantaine d’avocats parmi les plus notoires de l’époque. 280 témoins, cités à la requête du ministère public ou de la défense, furent entendus, lors d’audiences interminables, par les jurés. Ces derniers épuisés exigèrent, à la vingt-huitième audience, une augmentation de leur indemnité journalière, sous peine de faire grève (commerçants et salariés pour la plupart, ils étaient privés de leurs revenus professionnels pendant les assises).

          

         Le 16 janvier 1936, cinquante-troisième audience, fut la journée des délibérations du jury, qui s’achevèrent vers 21 h. Trop tard pour énoncer à la Cour leur verdict, les membres du jury dormirent sur des lits de camp installés dans la salle des délibérations. À leur réveil, ils rejoignirent la salle d’assises et le chef du jury donna lecture du verdict avec les peines envisagées. Puis, la parole fut donnée aux avocats des parties civiles.

     

           En fin d’après-midi, la cour et le jury se retirèrent de nouveau pour délibérer, cette fois, sur l’application des peines. Ils revinrent à 18 h, et le président Charles Barnaud donna lecture de l’arrêt aux termes duquel onze des vingt inculpés furent acquittés, et neuf condamnés.

     

     

     

    Le procès Stavisky : Maître Appleton, l’un des avocats des parties civiles, s’adresse aux jurés (Photo Intransigeant).

    8 Paris. – Le procès Stavisky : Maître Appleton, l’un des avocats des parties civiles, s’adresse aux jurés (Photo Intransigeant).

     

       Pour la plupart, ces bons de caisse avaient été souscrits par des compagnies d’assurances en 1932, sur les recommandations du ministre des Colonies, et ancien ministre de la Justice et du Travail, Albert Dalimier. Curieusement, la plupart des compagnies d’assurance victimes de l’escroquerie montée par Stavisky s’abstinrent de se constituer partie civile lors du procès de ses complices supposés. Ne furent donc représentées que des associations mutuelles et la Caisse d’assurances sociales, lesquelles étaient défendues notamment par Jean Appleton (1868-1942), un ancien professeur agrégé de la Faculté de droit de Lyon (de 1893 à 1927), auteur d’un Traité élémentaire du contentieux administratif (édition originale 1927 ; réédité par Hachette et la Bibliothèque nationale de France en 2021). Ce juriste, après s’être mis en congé de l’Université, se consacra exclusivement au métier d’avocat au barreau de Paris jusqu’en 1942 (il serait à l’origine de la création du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat par une loi de 1941).

     

     

     

     

    Le procès Stavisky : une attitude de Mme Arlette Stavisky pendant son interrogatoire (Photo Intransigeant)

    9 Paris. – Le procès Stavisky : une attitude de Mme Arlette Stavisky pendant son interrogatoire (Photo Intransigeant).

     

       Parmi les onze inculpés acquittés par la Cour d’assises, Arlette Stavisky (1904-1988), surnommée « la belle Arlette », un ex-mannequin de Coco Chanel, qui avait épousé Stavisky le 20 janvier 1928. Il lui était reproché d’avoir fort bien vécue grâce au produit des escroqueries de son époux. Après son acquittement, elle partit aux États-Unis, puis à Porto Rico dans les Grandes Antilles, et revint finir ses jours en France où elle mourut en 1988. 

     

     

     

     

    Plaidoirie de Maître Vincent de Moro-Giafferi (peinture de Pierre de Belay

    10 Plaidoirie de Maître Vincent de Moro-Giafferi (peinture de Pierre de Belay. Cette toile, datée 1934, et non 1935/1936 années du procès Stavisky, doit concerner une autre affaire sans doute antérieurement plaidée par Maître Moro-Giafferi).

     

      Lors du procès, Arlette Stavisky fut défendue par Vincent de Moro-Giafferri (1878-1956), le célèbre avocat des affaires Bonnot (il y défendit Eugène Dieudonné), Landru, Charles Humbert, Joseph Caillaux et Eugène Weidmann, un tueur en série allemand. Comme moult avocats, il était loin d’être étranger à la vie politique : député de la Corse en 1919 ; sous-secrétaire d’Etat à l’Enseignement technique en 1924/1925 dans le Gouvernement d’Édouard Herriot ; député de Paris de 1946 à 1956. 

     

     Les articles de presse de l’époque relèvent qu’après l’énoncé du verdict relaxant Arlette Stavisky, celle-ci tomba dans les bras de Vincent de Moro-Giafferri, et qu’ils pleurèrent longuement tous deux. 

     

     

     

     

    Plaidoirie de Maître Pierre Lœwel, avocat d’Albert Dubarry (peinture de Pierre de Belay

    11 Plaidoirie de Maître Pierre Lœwel, avocat d’Albert Dubarry (peinture de Pierre de Belay sur carton, datée 1936 et titrée en bas à droite). 

     

          Furent également acquittés plusieurs inspecteurs et commissaires de police.

       Il en fut de même de directeurs de journaux soupçonnés d’avoir gardé le silence sur l’affaire Stavisky en échange de sommes versées par celui-ci de manière occulte (recels de fonds provenant d’escroquerie), ou sous forme de contrats de publicité. L’un d’entre eux, Albert Dubarry, directeur du journal « La Volonté », avait été défendu par Pierre Lœwel qui exerçait, entre les deux guerres, une double carrière d’avocat et de critique littéraire (Albert Dubarry avait subi 22 mois d’incarcération avant le procès prononçant son acquittement).

     

     

     

     

    Le procès Stavisky : la salle des Assises pendant la déposition de Darius (Photo Intransigeant).

    12 Paris. – Le procès Stavisky : la salle des Assises pendant la déposition de Darius (Photo Intransigeant).  

     

        Pierre Darius, un autre directeur de presse (revue La peinture, quotidien Midi ; journal Becs et Ongles), qui avait également été écroué quelques mois, fut, lui aussi, relaxé par la Cour d’assises de la Seine.

     

     

     

    Le procès Stavisky : debout, Hatot répond aux questions du président (Photo Intransigeant).

    13 Paris. – Le procès Stavisky : debout, Hatot répond aux questions du président (Photo Intransigeant).  

     

      Quant aux neuf autres inculpés non relaxés, ils furent condamnés à des peines plus ou moins lourdes pour complicité et usage de faux. Parmi ceux-ci : le député-maire de Bayonne, Joseph Garat (deux ans de prison) ; Gustave Tissier, directeur du Crédit municipal de Bayonne et le seul a avoir tout avoué (sept ans de travaux forcés) ; Gaston Bonnaure, un avocat député de la Seine (un an de prison avec sursis) ; Henri Hayotte, ami et factotum de Stavisky (sept ans de réclusion), et Georges Hatot, un réalisateur, scénariste et producteur du cinéma muet qui avait été engagé un mois durant comme secrétaire général de la SIMA, une société à l’origine des faux (deux ans de prison, avec circonstances atténuantes).  

     

     

     

     

    Procès Stavisky, la plaidoirie (gouache de Pierre de Belay

    14 Procès Stavisky, la plaidoirie (gouache de Pierre de Belay, datée 1936. Source : catalogue en ligne de ventes aux enchères, Auction.fr, 23 juillet 2016). 

     

      Et voici, pour clore cette page juridico-judiciaire artistique, une gouache réalisée par Pierre de Bellay représentant un autre des avocats plaidant lors du procès Stavisky. Désolé, chers visiteurs, mais j’ignore de qui il s’agit et j’ai la flemme de rechercher sur la toile les photographies de la cinquantaine des avocats du procès Stavisky pour l’identifier !