• Drôles d’avocats en chromos

     

     

     

    Maître Chicanceau* contre Maître Blaguenville** (chromo Chocolat Grondard)

    1. Maître Chicanceau* contre Maître Blaguenville** (chromo Chocolat Grondard. Il est possible que ce dessin soit de Jean Geoffroy, dit Géo [1853-1924], l’un des illustrateurs porte-bonheur de la Maison Grondard, la plus ancienne fabrique de chocolat en France, créée en 1760). 

     

        *Maître Chicanceau. Selon le dictionnaire d’Emile Littré paru entre1873 et 1876, donc sous la Troisième République, le mot chicane désigne, par dénigrement, un procès en général, ainsi que tous les gens qui vivent des procès et des procédures, notamment les avocats.

     

    **Maître Blaguenville. Selon ce même dictionnaire, le mot blague se dit, figurément et populairement, pour se moquer de quelqu’un (« Cet homme n’a que de la blague »).

     

     

     

     

    La Chicane (chromo Chocolat Félix Potin)

                                                 2. La Chicane (chromo Chocolat Félix Potin).

     

    Je défie votre chicane de Rouen d’être plus chicane que celle de Bruxelles (Voltaire, Lettres en vers et en prose, 74. 1785-1787).

     

    Quoi ! vous poussez cette chicane [vous poursuivez ce procès] ? (Madame de Sévigné, Lettres, 536).

     

    Lui souffle avec ces mots l'ardeur de la chicane (Boileau, Lutr. I).

     

    Et dans l'amas confus des chicanes énormes, Ce qui fut blanc au fond, rendu noir par les formes (Boileau, Sat. I).

     

    La Chicane en fureur mugit dans la grand'salle (Boileau, Sat. VIII).

     

     

     

     

     

    La Chicane (chromo Chocolat Félix Potin)

    3. Mr. Blaguefort, avocat (chromo Dupuy. Portrait inspiré de la scène d’un procès décrite par Émile Souvestre dans son roman sarcastique publié en 1846 : le Monde tel qu’il sera).

     

           Dans son sens premier, la blague désigne le petit sac dans lequel les fumeurs mettent leur tabac (blague à tabac, dérivé du mot néerlandais balg qui signifie enveloppe). Aussi est-il possible que les noms « Blaguenville » et « Blaguefort » utilisés pour désigner des avocats représentés dans ces images enfantines, tirées selon le procédé de la chromolithographie, soient en relation avec les sacs de toile à procès dont se servaient, avant la Révolution, les avocats et les procureurs (les deux professions se sont séparées à la fin du XVème siècle).

     

         Ils y rangeaient toutes les pièces concernant des affaires soumises à la justice (dépositions et requêtes, copies signées des procureurs des pièces, pièces à conviction).  Puis, les sacs étaient suspendus par des crochets au plafond ou aux murs de leurs cabinets (origine des expressions : L’affaire est dans le sac ; Affaire pendante). Lors des audiences, les sacs étaient descendus, et les avocats en sortaient les pièces nécessaires aux plaidoiries (origine des expressions : Vider son sac ; Avoir plus d’un tour dans son sac).

     

     

     

     

     

    Les Plaideurs de Racine (chromo Liebig

    4. Les Plaideurs de Racine (chromo Liebig, fin du XIXème siècle. Acte III. Scène 3 : La scène des petits chiens avec Dandin, Léandre, L’Intimé, Petit-Jean [en robe], et Le Souffleur).

     

      « Petit Jean, traînant un gros sac de procès » (titre de la scène 1 de l’acte 1 de la pièce de Racine : Les Plaideurs. 1668).

     

     

     

     

     

    Maître Chapotard lisant dans un journal judiciaire l’éloge de lui-même par lui-même (Honoré Daumier. Les Gens de Justice)

    5. Maître Chapotard lisant dans un journal judiciaire l’éloge de lui-même par lui-même (Honoré Daumier. Les Gens de Justice) 

     

        Honoré Daumier (1808-1879), dans sa caricature au vitriol des Gens de justice (avocats, juges…), publiés dans le « Charivari » entre 1845 et 1848, désigne l’un de ses personnages, avocat, sous le nom de Maître Chapotard. Il s’agit d’un nom patronymique ordinaire dont je n’ai pas très bien pigé le sens humoristique (bienvenu pour un commentaire !). Cela dit, je présenterai bientôt sur ce blog l’ensemble des dessins de ce merveilleux ouvrage dans la rubrique « Droit artistique. »

     

     

     

    Démosthène (chromo enfantine didactique non datée).

                                                      6. Démosthène (chromo enfantine didactique).

     

     

     Parfois encore, on trouve, dans la littérature populaire de la Troisième République, le nom de Démosthène pour nommer par moquerie un avocat sans le moindre talent oratoire. En effet, Démosthène (384-322 av. J.-C.), pourtant célèbre pour avoir été le plus grand orateur de la Grèce antique, cité par Cicéron comme le modèle même de l’éloquence, était, à ses débuts, bien malheureux, lorsqu’il prenait la parole en public (la profession d’avocat n’existait pas dans l’Athènes antique; elle se fit jour chez les romains, sous la forme d’une institution purement libérale). Il était atteint d’une part d’un trouble de la parole, le bégaiement, d’autre part d’un trac le conduisant à soulever sans cesse une épaule. Aussi était-il hué par le public lors de ses premiers discours (« Il fut en butte aux clameurs et aux moqueries à cause de son style insolite […]. Il avait d’ailleurs, semble-t-il une voix faible, une élocution confuse et un souffle court, qui rendait difficile à saisir le sens de ses paroles, obligé qu’il était de morceler ses périodes. » Plutarque, Vie de Démosthène).

     

      Au demeurant, Démosthène put, grâce à divers « trucs », corriger ses défauts. Par exemple, en s’entraînant à parler avec des petits galets dans la bouche, en faisant de la course à pied pour renforcer son souffle et le timbre de sa voix, en travaillant devant un miroir, la pointe d’une épée coincée sous l’aisselle qui le piquait lorsqu’il bougeait l’épaule ; et en s’isolant dans une cave pour s’entraîner à parler.

     

      Pour en savoir plus sur Démosthène, voici un article en accès libre intitulé : « Démosthène, de l’enfant bègue à l’orateur en puissance » de Charles Gardou, Professeur des universités.

    https://www.cairn.info/revue-reliance-2005-1-page-101.htm

     

     

        À très bientôt pour découvrir, dans la rubrique « Droit artistique » de ce blog, plusieurs peintures, eaux fortes ou dessins anciens d’avocats et de procureurs avec leurs sacs à procès que j’ai évoqués sous l’image n° 3.