• Du droit des écoliers à la paresse 4/19 (François Truffaut)

     

     

    François Truffaut en 1963

                               37. François Truffaut en 1963 (source Wikimedia)

     

      « Mais qu’est-ce qu’on va faire de ce gosse ! » (phrase répétée, à l’approche de chaque vacances, par la mère de François Truffaut). François Truffaut, l’un des plus grands cinéastes français, figure majeure de la Nouvelle vague des années 50-60, avec Les Quatre Cents Coups (1959), puis auteur de films à grand succès (Jules et Jim, La Sirène du Mississipi, L’Enfant Sauvage, L’Argent de Poche, Le Dernier Métro, Vivement Dimanche…), fut un enfant non désiré et mal aimé.  

     

      Né hors mariage. Il était né, le 6 février 1932, de père inconnu et d’une mère qui, pour cacher sa position de fille-mère, le laissa à une nourrice, puis à ses parents qui résidaient dans le Bas-Montmartre. En 1942, à la mort de sa grand-mère, François Truffaut, âgé d’une dizaine d’années, vint loger, rue de Navarin, chez sa mère alors remariée avec Roland Truffaut, lequel avait faussement reconnu être son père à l’État civil (François Truffaut retrouvera son père biologique en 1968). Faute de place, il dormait dans un couloir et sa mère, dit-il, aurait été froide et distante envers lui, tout comme son beau-père.  

       « Je haïssais maman en silence… comme ce matin où, étant resté deux heures à faire la queue pour ne ramener qu’un paquet de biscottes, jeté par terre, elle me donna des coups de pieds…Et toi je t’aimais bien tout en te méprisant… » (lettre de François Truffaut, âgé de vingt-sept ans, à son père adoptif).

     

     

    Collège/Lycée Rollin, rebaptisé Jacques Decour en 1944 (carte postale ancienne. Établissement situé à Paris, 12 avenue Trudaine, dans le 9ème arrondissement).

    38. Collège/Lycée Rollin, rebaptisé Jacques Decour en 1944 (carte postale ancienne. Établissement situé à Paris, 12 avenue Trudaine, dans le 9ème arrondissement).

     

        «… Moyen à l’école, juste ce qu’il faut… ». Quant à ses études, le jeune François Truffaut ne fut pas un élève à proprement parler paresseux ou chahuteur. Ni trop haut (premier de classe, surnommé fayot), ni trop bas (dernier dit cancre), il faisait partie de la vaste catégorie intermédiaire (moyen, peut mieux faire). Il aurait ainsi obtenu d’assez bonnes notes à l’école élémentaire du lycée Rollin, mais, non admis en classe de sixième, il dut s’inscrire à l’examen de rattrapage.

          Inscrit aux cours complémentaires de l’école communale, 5 rue Milton, puis, en septembre 1945, à l’école privée Notre Dame de Lorette, 8 rue Choron, il y devint l’ami des meilleurs cancres, dont le futur cinéaste Robert Lachenay, et il cessa d’être appliqué. Le12 juin 1946, il obtint quand même, en classe de quatrième, son certificat d’études primaires, et il arrêta aussitôt ses études.  

     

     

    Robert Lachenay et François Truffaut en 1948.

    39. Robert Lachenay et François Truffaut en 1948 (source : https://twitter.com/lecinema_/status/735505950719774721).

     

     «… Buissonnier, Fugueur, Cinéphile…  ». Privilégiant alors l’école buissonnière et les fugues à répétition (ses parents le laissaient tout seul les week-ends), il fréquenta, avec son copain Robert Lachenay, les salles de cinéma de Pigalle, de la Nouvelle Athènes et du Quartier Latin (en 1945 et 1946, il aurait vu douze fois au Cinéma Champollion, surnommé Le Champo, le film de Sacha Guitry : Le roman d’un tricheur).

         Il profitait, dit-il, de ses incursions dans les cinémas, en général sans payer, pour collectionner les photographies de cinéastes (Renoir, Gance, Cocteau, Vigo, Clair, Clouzot, Autant Lara), des actrices et des acteurs qu’il y fauchait.

     

     

     

    Poil de carotte de Julien Duvivier (André Heuzé dans le rôle de Poil de carotte. Image du film muet de 1925).

    40. Le Cercle Cinémane. Prochain film : Poil de carotte de Julien Duvivier (André Heuzé dans le rôle de Poil de carotte. Image du film muet de 1925). 

     

      Passionné de films, en octobre 1948, âgé de seize ans, François Truffaut créa, avec son ami Robert Lachenay, un ciné-club Le Cercle Cinémane, pour lequel il loua, à la séance, la salle du Cluny-Palace, boulevard Saint-Germain.

    « … et Primo-délinquant ». Malheureusement, il dut payer les dettes du cinéclub pour le maintenir en activité (les recettes des séances étaient insuffisantes pour régler la location des films et de la salle). Pour y parvenir, il vola une machine à écrire dans le bureau de son beau-père afin de la revendre. Dénoncé par celui-ci, il sera détenu, plusieurs jours durant, au poste de police. Puis, un juge des enfants le placera, à la demande de son tuteur légal (son beau-père), en vertu d’une loi du 24 juillet 1889, d’abord au Centre d’observation des mineurs délinquants de Villejuif, ensuite, jusqu‘à sa majorité, dans un foyer d’enfants dont il tentera de s’évader.

     

     

     

    Les Quatre Cent Coups, un film de François Truffaut avec Jean-Pierre Léaud dans le rôle d’Antoine Doinel (affiche ancienne)

    41. Les Quatre Cents Coups, un film de François Truffaut avec Jean-Pierre Léaud dans le rôle d’Antoine Doinel (affiche ancienne).  

     

      « Ici souffrit injustement Antoine Doinel, puni injustement par Petite Feuille pour une pin-up tombée du ciel. Entre nous ce sera dent pour dent, œil pour œil » (réplique du film). Francois Truffaut a décrit son enfance difficile dans le premier long métrage qu’il tourna en 1959 : Les Quatre Cents Coups, sous le personnage du jeune Antoine Doinel, interprété par Jean-Pierre Léaud (âgé de quatorze ans).

     

     

    image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    42. Petite Feuille et Antoine Doinel (image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut).

     

         Souvenez-vous : Antoine Doinel, vivant avec sa mère et son beau-père, froids et distants à son égard, est la tête de Turc de son instituteur Petite Feuille :

    Petite Feuille : - Ah, j’en ai connu, des crétins. Mais au moins ils étaient discrets. Ils se cachaient, ils restaient dans leur coin.

     

     

    image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    43. René Bigey et Antoine Doinel en train de faucher des affiches de films (image du film Les Quatre Cents Coups)

     

      Faisant l’école buissonnière avec son copain de classe René Bigey, il passe son temps dans les salles de cinéma. Il en profite pour y piquer les affiches des films et des acteurs ou actrices qu’il collectionne.

     

     

    image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    44. René Bigey et Antoine Doinel adeptes de l’école buissonnière et des mots d’excuses bidons (image du film Les Quatre Cents Coups).

     

      Au cours de ses écoles buissonnières, Antoine Doinel aperçoit sa mère embrasser un homme inconnu.  Puis, ayant oublié de recopier le mot d’excuse que lui avait préparé son copain René Rigey, il justifie son absence en disant à Petite Feuille que sa mère venait de mourir !

     

    Petite Feuille : - Ah, te voilà toi ! Alors, il suffit d’un devoir supplémentaire pour te rendre malade ! Et tes parents tombent dans le panneau ! J’serai curieux de savoir ce que tu leur as soutirés comme excuse, moi. Fais voir ton mot.

    Antoine Doinel : - J’en ai pas, m’sieur.

    Petite Feuille : - Ah, t’en a pas ! Et tu crois que ça va se passer comme ça ? Ce serait trop facile, mon ami !

    Antoine Doinel : - M’sieur, c’était… ma mère, elle…

    Petite Feuille : - Hé ben ta mère, ta mère, qu’est-ce qu’elle a ta mère.

    Antoine Doinel : - Elle est morte !

    Petite Feuille : -Ah… fichtre. Excuse-moi, petit, j’pouvais pas savoir ! faut toujours se confier à ses maîtres. Allez, file !

      

     

    image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    45. Antoine Doinel en pleine inspiration pour son devoir (image du film Les Quatre Cents Coups).

     

       Antoine, après avoir été giflé par son beau-père devant toute la classe pour ce mensonge, fugue et dort dans les sous-sols d’une imprimerie. Revenu chez lui, sa mère, pour arranger les choses, lui promet une récompense s’il a une bonne note en français. Aussi dévore-t-il La Recherche de l’absolu de Balzac et il s’en inspire un peu, trop, beaucoup, pour un devoir de classe l’invitant à décrire la mort d’un être cher.

     

     

    image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    46. René Bigey et Antoine Doinel (image du film Les Quatre Cents Coups).

     

    Accusé par Petite Feuille d’avoir copié des passages entiers de ce livre de Balzac, il est aussitôt défendu par son voisin de table, René Bigey :

     

    Petite Feuille : - La Recherche de l'absolu vous a conduit droit au zéro, mon ami.

    René Bigey : - M'sieur, il a pas copié. J'étais assis à côté de lui, j'l'aurais vu.

    Petite Feuille : - Ah, vous voulez être exclu, vous aussi ?

    René Bigey : - Ça m'déplairait pas.

    Petite Feuille : - Encore une insolence ? Sortez !

    René Bigey : - J'veux bien être gentil, mais j'vais pas sortir : il fait froid, dehors.

    Petite Feuille : - Foutez-moi le camp !

    René Bigey : - Ça c'est pas légal.

    Petite Feuille : - C'est pas lé… ? J'vais vous montrer qui fait la loi ici ! C'est pas légal, hein, c'est pas légal !

     

     

    image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    47. Julien Doinel, Antoine Doinel et le commissaire de police (image du film Les Quatre Cents Coups).

     

      Antoine Doinel fugue de nouveau et vole une machine à écrire dans le bureau de son beau-père, Julien Doinel. Ne parvenant pas à la revendre, il la rapporte et se fait prendre par un gardien. Son beau-père l’emmène alors au commissariat de police.  Ses parents ne voulant plus de lui, il est placé par un juge des enfants dans un centre de détention, après avoir été interrogé par une psychologue :

    La psychologue : -Tes parents disent que tu mens tout le temps.

    Antoine Doinel : - Ben, je mens… je mens de temps en temps, quoi ! Des fois je leur dirais des choses qui seraient le vérité ils me croiraient pas, alors je préfère dire des mensonges.

     

     

    image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    48. Julien Doinel au centré de détention (image du film Les Quatre Cents Coups).

    Un jeune du centre : - Ici, c'est pas interdit de s'évader, c'est interdit de se faire prendre.

       Il profite alors d’une partie de football pour s’enfuir du centre et voir la mer pour la première fois de sa vie.

     

     

     

    Dernière image du film Les Quatre Cents Coups de François Truffaut

    49. Antoine Doinel regarde fixement la caméra (image de fin du film Les Quatre Cents Coups).

      Dernière scène du film : Antoine Doinel, après avoir regardé la mer, se retourne et fixe longuement la caméra en train de le filmer.

     

     

    Les Mistons, premier film de François Truffaut (image du film).

                 50. Les Mistons, premier film de François Truffaut (image du film).

      Plusieurs années après, c’est François Truffaut, alias Antoine Doinel, qui, cette fois, derrière la caméra, filmera les enfants.    

         D’abord, dans son court métrage réalisé en 1957 : Les Mistons, avec Bernadette Lafont et Gérard Blain jouant deux jeunes amoureux harcelés par plusieurs mômes. Dans la scène représentée par cette image (n°50), les enfants, après avoir quitté la salle de cinéma où ils avaient suivi les deux amoureux, déchirent l’affiche du film de Jean Delannoy Chiens perdus sans colliers, dans lequel Jean Gabin jouait un juge des enfants.

      Puis avec plusieurs longs métrages comme : Les Quatre Cents Coups, en 1959 ; L’Enfant Sauvage, en 1970 ; L’Argent de Poche, en 1976).

    « La compagnie des enfants me plaît énormément, je m'amuse toujours avec eux et je fais en sorte qu'ils s'amusent avec moi. En tant que cinéaste, les filmer est une chose qui ne me lasse pas. On ne s'ennuie jamais quand on tourne avec des enfants. Leur sensibilité, leur pudeur vous interdit d'en abuser pour les besoins d'un tournage… Je suis beaucoup plus sensible au malheur des enfants qu'à celui des adultes. Parce que les gosses ne peuvent pas se défendre. Mes films qui traitent de l'enfance et de l'adolescence ont un aspect autobiographique dont je peux vérifier la vérité dans mes propres expériences d'enfant mal aimé » (François Truffaut). 

     

     

    Du droit des écoliers à la paresse 4/11 (François Truffaut)

    51. François Truffaut au lycée Rollin (photographie de classe non datée du Studio Pierre Petit. Source : Wikimedia Common).

     

     « De deux choses lune, l’autre c’est le soleil » (Jacques Prévert. Paroles).

    - Élève Truffaut, vous avez encore la tête dans les nuages ! Réveillez-vous, mon jeune ami, et donnez-moi le nom de cinq étoiles les plus brillantes du ciel.

    - Euh, Jeanne Moreau ; Isabelle Adjani ; Brigitte Fossey ; Catherine Deneuve ; Fanny Ardent*. (réplique imaginaire). 

    * Toutes ces actrices ont joué dans des films de François Truffaut, surnommé « L’homme qui était aimé des femmes » (titre récurrent de ses biographies). Jeanne Moreau (Catherine dans son Jules et Jim. 1962 ; et Julie dans La mariée était en noir. 1968) ; Isabelle Adjani (Adèle dans L’histoire d’Adèle H. 1975) ; Brigitte Fossey (Geneviève Bigey dans L’Homme qui aimait les femmes. 1977) ; Catherine Deneuve (Marion dans Le dernier métro. 1980) ; Fanny Ardent (Barbara dans Vivement Dimanche. 1983).

     

    La suite, dans une semaine :

    Du droit des écoliers à la paresse 5/19 (peintures anciennes de Jean-Baptiste Greuze, Carl Waltzelhan, William Henry Hunt, Hanne Tartter, Jean Béraud, Harold Copping et Jean Geoffroy dit Géo).