• Du droit des écoliers de jouer aux billes

     

     

          Enfants jouant aux noix dans la Rome antique

    1 Enfants jouant aux noix dans la Rome antique (détail d’un sarcophage d’enfant, vers 270-300 apr. J.-C., Musée Pio Clementino. Vatican).  

     

       L’origine du jeu de billes reste inconnue (des billes d’argile ont été trouvées dans des tombes égyptiennes du début du IIIème millénaire avant J.-C., mais sans lien éventuel avec un jeu). 

      Les historiens en mentionnent une forme dans la Grèce antique avec le jeu de la Troppa, qui consistait pour les enfants à lancer dans un trou des objets ronds comme des glands ou des olives.  

     Une autre forme apparaît à Rome avec le Jeu de Noix, évoqué dans un poème intitulé Nux (Le Noyer), attribué à Ovide (né en 43 av. J.-C. en Italie, et mort en 17 ou 18 apr. J.-C.). Ce texte décrit les diverses variantes de ce jeu auxquelles les enfants s’adonnaient. En effet, à cette époque, les billes en marbre, en pierre (billes d’agate, les plus précieuses), en argile (billes du pauvre), en bois, en verre ou en métal n’existaient pas encore. Les enfants romains jouaient donc avec des noix ou des noisettes les plus rondes possibles.

     « Mes noix servent également aux jeux des enfants, soit que debout, et à l'aide d'une noix lancée sur les autres, ils rompent l'ordre dans lequel elles sont disposées ; soit que, baissés, ils atteignent en un ou deux coups le même but, en la poussant du doigt. Quatre noix suffisent pour ce jeu ; trois au-dessous et la quatrième au-dessus.

     

      D'autres fois on fait rouler la noix du haut d'un plan incliné, de manière à ce qu'elle rencontre une de celles qui sont à terre sur son passage.

     

      Avec elles aussi on joue à pair ou non, et le gagnant est celui qui a deviné juste.

     

      Ou bien on trace avec de la craie une figure pareille à la constellation du Delta, ou à la quatrième lettre des Grecs ; sur ce triangle, on tire des lignes, puis on y jette une baguette ; celui des joueurs dont la baguette reste dans le triangle gagne autant de noix qu'en indique l'intervalle où elle est restée. Souvent enfin on place à une certaine distance un vase dans lequel doit tomber la noix qu'y lance le joueur. » (Ovide, Nux [élégie du Noyer], vers 67-86. Traduction de Philippe Remacle [1944-2011] latiniste et helléniste belge francophone, professeur de langues anciennes, sur son site web L’ Antiquité Grecque et Latine du Moyen Âge :  https://remacle.org/).

     

     

    La partie de billes (dessin de l’année 1837, par Nicolas-Toussaint Charlet)

    2 La partie de billes (dessin de l’année 1837, par Nicolas-Toussaint Charlet, dessinateur-lithographe, né en 1792, décédé en 1845).

     

    « Li trois enfant que il ot engendrez, Jeuent et rient et tiennent pain assez ; à la billette jeuent desus le sel [les sacs de sel] » (Le charroi de Nîmes, vers décasyllabique 884. Il s'agit d'une Chanson de geste de la première moitié du XIIème siècle apr. J.C., écrite par un auteur anonyme, aussi célèbre au Moyen Âge que la Chanson de Rolland).

     

      Quant à l’origine du mot français bille (Espagn. : billa ; Ital. : biglia), cette fois encore, il y a autant de versions que d’auteurs.  

     Pour les uns, ce mot tirerait son origine des Francs et du terme francique bikkil (en flamand : bikkel), qui désignait un petit objet de jeu, comme des dés ou des osselets. Cela aurait donné, dans un premier temps, en vieux français, le mot Globille (un objet), devenu, au fil des ans, gobille (un objet rond en terre), puis bille.  

        D’autres étymologistes plaident pour une assimilation maladroite au Moyen Âge entre deux mots : bille, qui désignait alors une chose de peu de valeur, et bulla, une petite boule.

     

     

    Games of Marbles, en français Jeu de Billes (tableau de Karl Witkowski)

    3 Game of Marbles*, en français Jeu de Billes (tableau de Karl Witkowski [1860-1910], portraitiste et peintre né en Pologne puis établi en Amérique). 

     

      * Au Moyen Âge, les billes rondes étaient parfois taillées et polies dans du marbre, marble en anglais. Depuis, ce mot marble est utilisé par les anglais et les américains pour désigner les jeux de billes des enfants même lorsque leurs billes rondes proviennent d’autres matières (bois, verre, métal…). Plus encore, les anglais ont ouvert, dans le Devon, un musée des billes sous le nom : The House of Marbles.

     

     « Si un homme d'un âge mûr s'amusait comme un enfant à construire des petits châteaux, à atteler des souris à un chariot, à jouer Pair ou non, à aller à cheval sur un bâton, ne dirait-on pas qu'il a perdu l'esprit ? » (Horace). Depuis des siècles, le jeu de billes, jeu préféré des écoliers, suscite l’indifférence des hommes politiques, promoteurs ou auteurs de nos lois (Président de la République, Premier ministre, ministre, député, sénateur…). Ainsi, aucun d’entre eux, au sortir d’une séance de travail, ne joue-t-il aux billes. Pourquoi ? Sans doute par peur d’être déconsidéré « Aux yeux de tous… (leurs électeurs) »  En revanche, beaucoup d’hommes politiques croient briller en se faisant photographier ou filmer en train de pratiquer ou de regarder un sport noble comme l’équitation, le golf, l’escrime, le tir, le polo ou le yachting, voire le tennis dans un club huppé ou le ski dans une station luxueuse, sans oublier la chasse d’animaux innocents, détestée des enfants.  

     « J’ai le droit de jouer ? ». Quant au droit essentiel de jouer des écoliers, notamment aux billes, aux osselets, aux p'tits soldats, à la marelle, à la corde à sauter, à la balle aux prisonniers, aux voitures de pompiers, etc., il n’est reconnu par aucun de nos textes de lois.  

     

      Seule la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), adoptée le 20 novembre 1989 par 192 États dont la France (les États-Unis ne l’ont pas ratifiée), évoque le droit de tous les enfants de moins de 18 ans d’avoir des loisirs pour jouer : 

    Article. 31, al. 1 : « Les États parties reconnaissent à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique ». 

      Article. 31, al. 2 : « Les États respectent et favorisent le droit de l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique et encouragent l’organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d’égalité ».  

     

     « Le silence est le plus grand de tous les mépris » (dicton populaire). Mais encore faut-il rappeler que la simple signature d’un État ne fait pas entrer la Convention Internationale des Droits de l’Enfant dans son droit interne ! C’est ainsi que la France n’a jamais intégré dans ses lois constitutionnelles ou ordinaires les dispositions relatives aux droits aux loisirs des enfants qui y sont prévues et plus spécialement le droit des écoliers de jouer aux billes.  

     

     De l’immatérialité des billes ? Tout au plus, notre ministère de la Culture et de la Communication a mis en ligne un fichier PDF d’une vingtaine de pages, intitulé « Jeux de billes », dans sa catégorie « Fiche type d’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France » (immatériel car c’est un fichier informatique m’a soufflé Internet). Ce ministère n’en est que le simple rapporteur, son véritable auteur étant Jean-Paul Benoit, Président de l’association Billes du Val de Drôme. Pour y accéder et le télécharger gratuitement, il vous suffit de mettre dans votre moteur de recherche ces mots :

    Ministère de la culture. Les jeux de billes.

    ou ce lien : 

    Ministère de la Culture. Les jeux de billes

     

     

    Jeux de billes. 1939

                               5 Jeux de billes en 1939 (illustration pour enfants).  

     

      Ce dessin des années d’avant-guerre de jeunes garçons jouant aux billes, sous le regard de filles présentes dans leur cour de récréation voisine, nous rappelle deux choses. 

      D’une part, le jeu des billes est un jeu de garçons, les filles préférant plutôt jouer à la corde à sauter ou à la marelle.  

      D’autre part, avant les années 1960/1970, les filles et les garçons étaient séparés dans les écoles. Depuis, la mixité à l’école a été instituée par étape : en 1959, il fut décidé de ne plus construire que des lycées mixtes ; en 1963, un décret institua la mixité dans tous les collèges d’enseignement secondaire ; enfin, le 28 décembre 1976, les décrets d’application de la loi Haby du 11 juillet 1975 ont rendu obligatoire la mixité dans tous les établissements publics d’enseignement.  

     

    Enfants jouant à la bloquette (dessin extrait du livre Sports & jeux d’adresse d’Henry d’Allemagne, publié chez Hachette & Cie, vers 1900).

    6 Enfants jouant à la bloquette (dessin extrait du livre Sports & jeux d’adresse d’Henry d’Allemagne, publié chez Hachette & Cie, vers 1900). 

     

     Il existe plus d’une dizaine de sortes de jeux de billes inventés par les enfants au fil des siècles, comme le triangle, le trou, le pot, le conquérant, le tir, la tic (ou la tique), le parcours, le serpent, la bille à 9 trous, la pyramide, le viaduc, le rapprochement… 

     

       L’un d’eux, la bloquette, est représenté par ce dessin des années 1900. Les joueurs, en général au nombre de deux, se placent sur la ligne de tire distante de 2 à 5 mètres. À tour de rôle, chacun d’entre eux lance le même nombre de billes (2, 4 ou 6), dans un petit trou, appelé bloquette, creusé dans le sol contre un mur ou un arbre. Le premier d’entre eux, sous réserve que toutes ses billes soient rentrées dans la bloquette, reçoit de son adversaire autant de billes. Si aucune de ses billes n’est entrée dans la bloquette, il les perd toutes. Puis, le second joueur lance sa poignée de billes dans la bloquette aux mêmes conditions*  

     

    * Dézolé, chers visiteurs, z’ai pas tout compris, sur les sites qui détaillent les règles du jeu de la bloquette ! De plus, ni le dictionnaire d’Émile Littré, ni celui de l’Académie française, édités au XIXème siècle, que j’utilise constamment pour vous faire croire que je suis cultivé, ne mentionnent le mot bloquette ! Enfin, ce sont les enfants qui réinventent les règles des jeux de billes à tout instant et les modifient quand ça les arrangent. Pas besoin donc de recueils des règles des jeux de billes car ces règles évoluent sans cesse et elles se transmettent par mimétisme aux plus jeunes qui commencent leur apprentissage en regardant les plus grands jouer et parfois tricher.

     

     

    Nos lunettes de vue pour enfants jouant au triangle (carte postale publicitaire illustrée par Francisque Poulbot

    7 Nos lunettes de vue pour enfants jouant au triangle (carte postale publicitaire illustrée par Francisque Poulbot [1879-1946], le célèbre auteur de dessins des gamins de Montmartre et de Paris, depuis surnommés poulbots). 

     

     Chers visiteurs, si vous ajustez bien vos lunettes de vue, vous constaterez que ces poulbots jouent à un jeu de billes connu par eux sous le nom de triangle. Manque de chance, pour moi et pour vous, il existerait plusieurs variantes de ce jeu du triangle selon les régions et l’imagination des joueurs ! En voici la plus simple d’entre elles :

     Les enfants tracent sur le sol un triangle (trois points dits sommets et trois lignes les reliant appelées côtés !). Puis, ceux qui ne sont pas partis pour goûter placent dans ce triangle leurs billes (une quinzaine). À tour de rôle, les enfants tirent sur les billes du triangle pour les en faire sortir. Chaque bille sortie est gagnée par le bon tireur. Si un enfant lance une bille qui reste dans le triangle sans avoir pu en faire sortir une autre, il la perd et même, selon certains auteurs, il doit remettre dans le triangle toutes les billes qu’il avait déjà gagnées. La partie est finie lorsqu’il n’y a plus aucune bille dans le triangle ou lorsque le maître siffle la fin de la récréation ou le gardien du square sa fermeture. 

     

     

    Jeunes campagnards jouant aux billes (photographie ancienne).

                8 Jeunes campagnards jouant aux billes (photographie ancienne). 

     

     Mini-Musée de la Bille Drômoise. Les jeux de billes ne sont pas réservés aux seuls écoliers de Paris. Les enfants des campagnes s’y adonnent d’autant plus que, pendant des décennies, les billes ont été fabriquées dans des usines implantées dans leurs terroirs comme la fabrique de Billes du sieur Barral installée en 1876 à Mirabel-et-Blacons dans le département de la Drôme (région Auvergne-Rhône-Alpes). Cette usine qui fabriquait, en 1980, plus de 50 millions de billes par an, a été contrainte de fermer en 1984 en raison de la concurrence asiatique et américaine. Cependant, elle a cédé la place, dans ses bâtiments, au « Mini-musée de la Bille Drômoise » (Hameau des Berthalais. 26400 Mirabel-et-Blacons). 

    https://histoire-et-patrimoine-aoustois.fr/fr/rb/1282374/la-fabrique-de-billes-barral

     

     

    Jeunes parigots jouant au triangle sur les boulevards (photographie ancienne).

    9 Jeunes parigots jouant au triangle sur les boulevards (photographie ancienne). 

     

     Sur le jeu de billes dit du Triangle, voyez mes élucubrations sous l’image n° 7. 

     

     

    Jeunes parigots jouant aux billes dans un square (photographie ancienne).

    10 Jeunes parigots jouant aux billes dans un square (photographie ancienne). 

     

                     Le soir est une grande plaine

                     Où les anges jouent aux billes

                     Avec les étoiles…

    (Poèmes de gosses. Maurice Carême, instituteur belge né en 1899, décédé en 1978).

     

     

    Jeunes marocains jouant aux billes (photographie ancienne).

                 11 Jeunes marocains jouant aux billes (photographie ancienne). 

     

     Aujourd’hui encore, les enfants de tous les pays du monde jouent aux billes, au grand avantage financier des grandes personnes à la tête de firmes multinationales de fabriques de billes (chaque semaine, plusieurs millions de billes sont produites rapportant plusieurs dizaines de millions d'euros tirées de l'argent de poches des enfants !). 

     

     

     Jeunes parigots jouant au cercle glouton (photographie ancienne).

              12 Jeunes parigots jouant au cercle glouton (photographie ancienne). 

     

      Pas de panique, chers visiteurs, le jeu de billes dit du cercle glouton, ou du cercle tout court, n’est rien d’autre que le jeu dit du triangle (sur celui-ci, voir mes explications embarrassées sous l’image n°7), avec pour seule particularité que le triangle est remplacé par un cercle dessiné par les enfants sur le sol. 

     

     

    Billes et Calots (photographie ancienne).

                                     13 Billes et Calots (photographie ancienne). 

     

    « 20 billes et 1 calot pour 1,09 € » ; « 10 calots pour 10,95 € »… (publicités en ligne. Novembre 2023). Bon, prenez note, je ne répéterai pas deux fois : 

       Une bille de 8 mm de diamètre a pour nom «mini bille » ; une bille de 16 mm s’appelle « bille », « bélier » ou « normale » ; une bille de 20 mm « mini calot » ; une bille de 25 mm « calot », « boulet », ou « berlon » ; une bille de 35 mm « boulard » ; une bille de 45 mm : « mammouth » ou « aigle » ; et une bille plus grosse encore « triard ». 

       Ceci dit, à l’instar de la pétanque, jeu de boules réservé aux grandes personnes, le calot du jeu de billes des enfants peut également faire office de cochonnet. Ainsi le joueur, qui lance ses billes le plus près possible du calot, l’empochera-t-il, sauf si un grand le lui pique. 

       Quant à l’origine du mot calot, inconnu du dictionnaire de l’Académie française de 1835, mais reconnu par celui d’Émile Littré de 1873 (« Calot : bille de grosse dimension qui sert à certains jeux d’enfants »), certains étymologistes (à ne pas confondre avec les entomologistes qui ont trois O et pas d’Y) évoquent le mot écale. Ce mot désignait, dans les temps anciens (et aujourd’hui encore), l’enveloppe recouvrant la coque des noix, des noisettes, des châtaignes et des amandes. 

     

     

    Un sac de billes (Affiche du film éponyme de Jacques Doillon, sorti en 1975, d’après le roman autobiographique de Joseph Joffo paru en 1973).

    14 Un sac de billes (Affiche du film de Jacques Doillon, sorti en 1975, d’après le roman autobiographique de Joseph Joffo paru en 1973 sous le titre Un sac de billes). 

     

    « La bille roule entre mes doigts au fond de ma poche.
    C’est celle que je préfère, je la garde toujours celle-là. Le plus marrant c’est que c’est la plus moche de toutes : rien à voir avec les agates ou les grosses plombées que j’admire dans la devanture de la boutique du père Ruben au coin de la rue Ramey, c’est une bille en terre et le vernis est parti par morceaux, cela fait des aspérités sur la surface, des dessins, on dirait le planisphère de la classe en réduction.
     

    Je l’aime bien, il est bon d’avoir la Terre dans sa poche, les montagnes, les mers, tout ça bien enfoui. 

    Je suis un géant et j’ai sur moi toutes les planètes. 

    -         Alors merde, tu te décides ?

    Maurice attend assis par terre sur le trottoir juste devant la charcuterie. Ses chaussettes tirebouchonnent toujours, papa l’appelle l’accordéoniste. 

    Entre ses jambes il y a le petit tas de quatre billes : une au dessus des trois autres groupées en triangle… 

    -         Mais, bon Dieu, qu’est-ce que tu fous ?  

    Bien sûr, j’hésite ! Il est chouette, Maurice, j’ai tiré sept fois déjà et j’ai tout loupé. Avec ce qu’il a empoché à la récré, ça lui fait des poches comme des ballons. Il peut à peine marcher, il grouille de billes et moi j’ai mon ultime, ma bien-aimée. 

    Maurice râle : 

    -         Je vais pas rester le cul par terre jusqu’à demain…

    J’y vais. 

    La bille au creux de ma paume tremblote un peu. Je tire les yeux ouverts. À côté… 

    -      Arrête de chialer, dit Maurice. 

    -      Je chiale pas...

    -      Tiens, rigolo.

    Je le regarde et prends la bille qu’il me rend. 

    Un frère est quelqu’un à qui on rend la dernière bille qu’on vient de lui gagner. 

    Je récupère ma planète miniature ; demain sous le préau, j’en gagnerai un tas grâce à elle et je lui piquerai les siennes. Faut pas qu’il croie que c’est parce qu’il a ces foutus vingt-quatre mois en plus qu’il va me faire la loi. 

    J’ai dix ans après tout… » (Joseph Joffo, Un sac de billes. Début du chapitre 1).  

     

     

    Un sac de billes… contre mon étoile jaune (image d’une scène du film Un sac de billes de Jacques Doillon. 1973).

    15 Mon sac de billes… contre ton étoile jaune (image d’une scène du film précité de Jacques Doillon. 1973). 

     

    « - À ton tour, Jo. 

    Je m’approche mon veston à la main. Il est huit heures et c’est encore la nuit complète dehors. Maman est assise sur la chaise derrière la table. Elle a un dé, du fil noir et ses mains tremblent. Elle sourit avec les lèvres seulement. 

    Je me retourne. Sous l’abat-jour de la lampe, Maurice est immobile. Du plat de la paume il lisse sur son revers gauche l’étoile jaune cousue à gros points : 

                                                                 JUIF 

    Maurice me regarde. 

    -      Pleure pas, tu vas l’avoir aussi ta médaille.

    Bien sûr que je vais l’avoir, tout le quartier va l’avoir…. 

    Quand on a ça, il n’y a plus grand-chose que l’on peut faire : on entre plus dans les cinémas, ni dans les trains, peut-être qu’on aura plus le droit de jouer aux billes non plus, peut-être qu’on aura plus le droit d’aller à l’école. Ça serait pas mal comme loi raciale, ça.

    Maman tire sur le fil. Un coup de dents au ras du tissu et ça y est, me voilà estampillé…

    J’ai ramassé mon cartable…

    À moins de deux cent mètres, c’est la grille de l’école…

    -      Hé, Joffo !

    C’est Zérati qui m’appelle. C’est mon copain depuis le préparatoire, à trois culottes l’année on en a usé deux bonnes douzaines à nous deux sur ces sacrés bancs.

    Il court pour me rattraper… 

    -    Salut. 

    -    Salut. 

    Il me regarde, fixe ma poitrine et ses yeux s’arrondissent… 

    - Bon Dieu, murmure-t-il, t’as vachement du pot, ça fait chouette 

    Dans sa main, il a un sac de toile qui ferme avec un lacet. Il me le tend. 

    -   Je te fais l’échange. 

    Je n’ai pas compris tout de suite. 

    -      Contre quoi ?

    D’un doigt éloquent, il désigne le revers de mon manteau. 

    -      Contre ton étoile…

    -      D’accord.

    C’est cousu à gros points et le fil n’est pas très solide. Je passe un doigt, puis deux et d’un coup sec je l’arrache. 

    -      Voilà.

    Les yeux de Zérati brillent. 

    Mon étoile. Pour un sac de billes. 

    Ce fut ma première affaire… » (Joseph Joffo, Un sac de billes. Chapitre 3). 

              Un sac de billes. Bandes annonces du film de Jacques Doillon. 1973