• IX. La fondation de la Sorbonne, rue Coupe-Gueule

     

     

    Sceau et devise de la Sorbonne

    60. Devise de la Sorbonne : Hic & ubique terrarum. Cette devise latine, du XIIème siècle, se traduit ainsi : Ici et partout sur la terre. Elle exprime l’autorité des Maîtres de l’Université de la Sorbonne (ses docteurs) tant à Paris que dans le monde entier.

     

     

    Rappelons deux événements. D’une part, au XIIème siècle, des écoles de la cathédrale Notre-Dame quittèrent l’Île de la Cité et le Petit-Pont pour s’installer sur la rive gauche de la Seine, au flanc de la montagne Sainte-Geneviève, donnant naissance à notre légendaire Quartier Latin (v. le chapitre VII : L’enseignement du droit à Paris au XIIème siècle). D’autre part, en août 1215, le pouvoir royal regroupa ces écoles parisiennes en une Communauté de Maîtres et écoliers, rebaptisée Université de Paris en 1223 (v. le chapitre VIII : La promulgation des statuts de l’Université de Paris). Dans ce contexte, les écoliers pauvres de Paris, natifs de la capitale ou venus d’ailleurs, devaient demander l’aumône pour survivre et étudier (v. le chapitre VI : La naissance du Quartier Latin au XIIème siècle). Cette situation dramatique incita des personnes généreuses à fonder des collèges destinés à donner le gite et le couvert aux écoliers démunis, originaires d’une même ville, d’un même diocèse ou d’une même province.

     

     

    Le collège de la Sorbonne en 1550 (François Alexandre Pernot)

                     61. Le collège de la Sorbonne en 1550 (François Alexandre Pernot)

     

    C’est ainsi qu’à Paris, sur la rive gauche de la Seine, on dénombrait 11 collèges avant 1300, 38 en 1350 et 46 en 1400. Parmi les plus anciens : le collège des Dix-Huit (1180) ; le collège de Sorbon (vers 1255); le collège des Bons-Enfants (1257) ; le collège d’Harcourt (1280) ; le collège de Cholet (1295) ; le collège du Cardinal Lemoine (1302) ; le collège de Navarre (1305) ; et les collèges de Laon et de Montaigu (1314). Ils ont tous été démolis. Certains d’entre eux ont été rebâtis au même emplacement ou ailleurs, avant d’être de nouveau détruits puis éventuellement rebâtis. Il ne reste le plus souvent de ces collèges que leur nom, leur histoire et, parfois, quelques estampes plus ou moins fidèles.

    À défaut d’avoir pu trouver une gravure des maisons formant le collège de Sorbon à son origine, voici un tableau de François Alexandre Pernot (1793-1865), qui représente le collège de Sorbonne en 1550 avant sa démolition et sa reconstruction entière une première fois en 1635 à la demande du cardinal de Richelieu, puis une seconde fois entre 1883 et 1901 avec les bâtiments dits de la « Nouvelle Sorbonne ». Ces reconstructions ont toujours eu lieu à l’emplacement même où, en 1257, Robert de Sorbon avait accueilli ses premiers écoliers dans l’ancienne rue Coupe-Gueule (rue de la Sorbonne).

     

     

     

     

    Messire Robert Sorbon Fondateur du Collège dit de Sorbone

                       62. « Messire Robert Sorbon Fondateur du Collège dit de Sorbone »

     

     

    Le décor étant en place, partons à la découverte de Robert de Sorbon, qui est à l’origine du collège de la Sorbonne et, de façon indirecte, de l’Université de Paris, communément appelée Université de la Sorbonne. Fils de paysans, il naquit en 1201 dans un village des Ardennes du diocèse de Reims, dont il prit le nom : Sorbon. Sans fortune, recourant à l’aumône, il fit ses études à Paris à la faculté des arts puis en théologie. Reçu maître en théologie vers 1235, il devint chanoine à Cambrais (1250) puis à Notre-Dame de Paris (1258), et clerc du roi Louis IX, plus connu sous le nom de Saint Louis.

     

     

     

     

     Rue Coupe-Gueule

    63. La rue Coupe-Gueule du collège de Sorbon (plan de Paris au XVIème siècle, Dheulland, 1756. Gallica BNF).

     

    Dans les années 1255, Robert de Sorbon, se souvenant de ses années d’écolier pauvre, conçut le projet de fonder un collège pour nourrir et héberger des étudiants démunis, maîtres ès-arts, désireux de suivre des enseignements menant au grade de maître en théologie. À cette fin, il acquit une première maison (il s’agissait d’une grange), en plein quartier des écoles, dans la rue Coupe-Gueule qui descendait de la rue des Poirées à la rue des Mathurins (son nom évoquait les brigandages nocturnes qui y avaient lieu). La rue Coupe-Gueule fut renommée, trois siècles plus tard, rue de la Sorbonne (actuellement, dans le 5ème arrondissement, entre la rue Cujas et la rue des Écoles, elle-même bordée par les bâtiments de l’université Paris Sorbonne).

    Les premiers boursiers purent s’installer en 1257 dans ce collège dont Robert de Sorbon assurait les fonctions de maître-régent et de proviseur. À l’origine, il comprenait des salles communes, une bibliothèque (plus de 1000 volumes en 1290), trente six chambres individuelles (non chauffées et sans vitres), ainsi qu’une chapelle (dès leur réveil, à cinq heures du matin, les écoliers devaient s’y rendre pour entendre la messe). La chapelle fut rebâtie en 1326 et de nouveau en 1347. De style  gothique en croix latine, elle était dédiée, semble-t-il, à Marie, à sainte Ursule et aux Onze Mille Vierges (ses fondations ont été retrouvées lors de la reconstruction de la Sorbonne sous la Troisième République).

     

     

     

     

    Un cours au collège de la Sorbonne

    64. Un cours au collège de la Sorbonne (enluminure du XVème siècle, Bibliothèque de Troyes).

     

    À l’origine, le collège de Robert de Sorbon, comme tous ceux de Paris au XIIIème siècle, se limitait au rôle d’hospitia, autrement dit de gite ou maison de charité, sans dispense de cours. Les écoliers hébergés, appelés boursiers, continuaient de suivre leurs enseignements supérieurs, dans la rue, comme la légendaire rue du Fouarre (v. le chapitre VI : La naissance du Quartier Latin au XIIème siècle), ou au domicile de leurs maîtres, par exemple, dans la rue du Clos-Bruneau, renommée plus tard rue Saint-Jean de Beauvais (v. le chapitre XII à venir : La Faculté de Décret, Rue Saint-Jean de Beauvais). Ce n’est qu’à la fin du XIVème siècle que les collèges se dotèrent de chaires d’enseignement leur permettant de dispenser eux mêmes des leçons à leurs boursiers ou à des écoliers du dehors.

     

     

     

    en 1257, Saint Louis remet à Robert de Sorbon la charte de fondation de la Sorbonne

     

    65. Côté gauche : en 1257, Saint Louis remet à Robert de Sorbon la charte de fondation de la Sorbonne. Côté droit : en 1469, le prieur du collège de la Sorbonne Jean Heynlin et le bibliothécaire du roi Louis XI installent dans les caves de la Sorbonne la première imprimerie de France (journal L’illustration. 30 avril 1887).

     

    Selon l’intitulé du journal L’Illustration du 30 avril 1887, cette peinture de François Flameng (1856-1923), qui décore, aujourd’hui encore, le péristyle du Gand Escalier de la Sorbonne, représente Robert de Sorbon recevant de Saint-Louis « la Charte de fondation de son collège ». Les termes sont impropres. Il s’agit plutôt de l’acte de donation par Saint-Louis de deux maisons au collège de Robert de Sorbon, ledit acte contenant une clause stipulant qu’elles devaient servir pour les écoliers y demeurant (« ad opus scolarium qui inibi moraturi sunt »). La fondation du collège de Sorbon correspond à l’accueil des premiers boursiers, quelques mois plus tard, sans doute, le 1er septembre 1257.

     

     

     

     

    Acte de la donation de Saint-Louis de maisons au collège de Robert de Sorbon

     

    66. Acte de la donation de Saint-Louis de maisons au collège de Robert de Sorbon (1257)

     

    Il n’en demeure pas moins que Saint Louis contribua amplement à l’œuvre de Robert de Sorbon. D’abord, en lui offrant, en février 1257, ces deux maisons qu’il avait récemment acquises dans la rue Coupe-Gueule devant le palais des Thermes (aujourd’hui musée nationale du Moyen Âge, aussi appelé musée de Cluny). Ensuite, en 1258, en permettant à Robert de Sorbon de poser des portes à chaque extrémité de la rue Coupe-Gueule (d’où son autre appellation : rue des Deux-Portes). Et, en 1259, en offrant à Robert de Sorbon un nouveau lot d’une dizaine de maisons qu’il possédait toujours dans la rue Coupe-Gueule. Avec l’aide d’autres généreux donateurs, comme Guillaume de Chartres, Robert de Sorbon put encore acquérir d’autres bâtiments et terrains aux abords de la rue Coupe-Gueule.

     

     

    Réunion des docteurs de l’Université de Paris au Moyen Âge

                67. Réunion des docteurs de l’Université de Paris au Moyen Âge (BNF).

     

    Robert de Sorbon bénéficia également du soutien moral des plus hautes autorités de l’Église désireuses de voir les jeunes maîtres ès arts de Paris poursuivre des études supérieures de théologie sans être arrêtés par leur pauvreté. Ainsi, en août 1259, son collège bénéficia de l’approbation du pape Alexandre IV. Puis, en 1262, le pape Urbain IV le recommanda à la générosité des fidèles en accordant cent jours d’indulgence à tous ceux qui lui viendraient en aide. Et, dans une lettre du 3 mars 1268, le pape Clément IV prit le collège sous sa protection tout en lui octroyant les garanties canoniques.

    Ces lettres papales emploient systématiquement les mots Université de Paris pour évoquer le seul collège de Sorbon alors même que celui-ci n’était que l’un des nombreux collèges formant l’Université des Maîtres et écoliers de Paris (il y aurait eu, au Moyen Âge, 3 000 à 4 000 étudiants accueillis dans les collèges et les écoles de la montagne Sainte-Geneviève, du faubourg Saint-Germain et du Quartier Latin). Il en est ainsi de la lettre du pape Clément IV, adressée en 1268 « aux proviseurs des pauvres maîtres et à ces maîtres eux-mêmes, étudiants à la faculté de théologie et vivant ensemble, en vie commune, dans la rue aux portes, devant le palais des Termes à Paris ». Dans cette lettre, le pape, après avoir rappelé le but poursuivi par Robert de Sorbon et renouvelé ses encouragements et approbations, détermine les relations entre l’autorité papale et l’Université de Paris dans son ensemble, et le fonctionnement de celle-ci. Le pape fixe notamment les modalités de désignation des successeurs de Robert de Sorbon « par un collège électoral composé de l’archidiacre, du chancelier de Paris, des maîtres régents de la faculté de théologie, des doyens de droit et de médecine, du recteur de l’Université et des procureurs des quatre nations ». En somme, dès la constitution du collège de Robert de Sorbon, les mots Sorbon ou Sorbone (Sorbonne plus tardivement) évoquaient la faculté de théologie de Paris et, plus largement encore, l’Université de Paris avec tous ses collèges et les quatre disciplines enseignées : Arts libéraux, Théologie, Médecine, et Décret, c’est-à-dire le droit canon (v. le chapitre X : La Faculté de Décret de la Sorbonne).

    Depuis, cet usage s’est perpétué sans interruption et, aujourd’hui, les universités de Paris s’attachent à intégrer à leur appellation officielle le nom « Sorbonne » connu dans toute l’Europe depuis le Moyen Âge lorsque l’Université de Paris était aussi célèbre que les universités de Bologne, d’Oxford, de Cambridge ou de Salamanque. Ainsi en est-il de l’université Paris I Panthéon Sorbonne et, depuis un décret n° 2017-596 du 21 avril 2017, de l’université Sorbonne Université :

     

    Article 1.  L'université Sorbonne Université est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel constitué sous la forme d'une université au sens de l'article L. 711-2 du code de l'éducation… Article 2. L'université Sorbonne Université assure l'ensemble des activités exercées par les universités Paris-IV et Paris-VI qu'elle regroupe… Les étudiants inscrits dans les universités Paris-IV et Paris-VI sont inscrits à l'université Sorbonne Université…