• L’Huître et les Plaideurs. La Fontaine et le Droit 1

     

     

     

     

    Jean de La Fontaine (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900)

    1. Jean de La Fontaine (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900).

     

     

        La Fontaine, un étudiant en droit, devenu avocat au Parlement de Paris... Bien peu de gens savent que Jean de La Fontaine, le plus célèbre fabuliste du XVIIème siècle, se rendit à Paris, pour étudier le droit, entre 1645 et 1647, en compagnie de deux autres jeunes gens : François de Maucroix (1619-1708), et Antoine Furetière (1619-1688). Tous trois, parallèlement à leurs études, fréquentaient un cercle de jeunes poètes juristes, les « Chevaliers de la Table Ronde », du nom d’un cabaret du Quartier Latin où ils aimaient se retrouver (ils y composèrent leurs premiers vers). Une fois diplômés de droit, ils débutèrent une carrière d’hommes de lois qu’ils abandonnèrent, les uns après les autres, pour la littérature.

     

       C’est ainsi que La Fontaine acquit, en 1649, le titre « d’avocat en la cour de Parlement », puis en 1652, il acheta une charge de maître particulier triennal des Eaux et Forêts du duché de Château-Thierry, avant d’hériter, à la mort de son père, en 1658, de deux charges, maître ancien et capitaine des chasses, qu’il exerça sans enthousiasme. Étant entré au service de Nicolas Fouquet (1615-1680), surintendant des Finances de Louis XIV, il obtint de celui-ci une « pension poétique », qui lui permit de donner libre cours à sa vocation littéraire (lorsque Fouquet tombera en disgrâce royal, La Fontaine sera entretenu par diverses dames de Paris). 

     

     … auteur de fables juridico-judiciaires ! Je retiendrai 8 fables de La Fontaine (sur plus de 243 publiées en 1668, 1678 et 1679), qui évoquent son scepticisme à l’égard du droit et des gens de justice (juges, avocats…). Bien moins connues que « Le Corbeau et le Renard », ou la « Cigale et la Fourmi », ces fables sont parfois difficiles à comprendre pour tous ceux qui ne sont pas diplômés de Normal Sup’. C’est pourquoi je les accompagnerai d’un bref mode d’emploi (Dis, Pourquoi ?), accompagné d’illustrations anciennes (Jean-Jacques Grandville, Jean-Baptiste Oudry, François Chauveau, Gustave Doré …). Je les mettrai en ligne, une tous les trois jours, jusqu'au 25 janvier inclus.

     

              L’Huître et les Plaideurs (1/8)

               L’âne portant des reliques (2/8)

               Les animaux malades de la peste (3/8) 

               Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (4/8)

               Les Frelons et les Mouches à miel (5 /8) 

               Le Chat, la Belette, et le petit Lapin (6/8) 

              Testament expliqué par Esope (7/8)

     

               Le Juge arbitre, l'Hospitalier, et le Solitaire (8/8) 

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine; illustrée par  J.J. Granville

    2 L'Huître et les Plaideurs (Livre IX, fable 9). Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Editeur Garnier frères (Paris, impr.). Source : Bibliothèque nationale de France, http://gallica.bnf.fr/ 

     

     

    L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS

     

    Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent
    Une Huître, que le flot y venait d'apporter :
    Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
    A l'égard de la dent il fallut contester.
    L'un se baissait déjà pour amasser la proie ;
    L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
    Qui de nous en aura la joie.
    Celui qui le premier a pu l'apercevoir
    En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
    — Si par là l'on juge l'affaire,
    Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
    — Je ne l'ai pas mauvais aussi,
    Dit l'autre ; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
    — Eh bien! vous l'avez vue ; et moi je l'ai sentie. »
    Pendant tout ce bel incident,
    Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
    Perrin, fort gravement, ouvre l'Huître, et la gruge,
    Nos deux Messieurs le regardant.
    Ce repas fait, il dit d'un ton de président :
    « Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
    Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. »

    Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
    Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles,
    Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
    Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.
     

     

     

     

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs d’après une gravure de Gustave Doré

    3. L’Huître et les Plaideurs (chromo Solution Pautauberge d'après une gravure de Gustave Doré).

     

     

      Dis, Pourquoi ? La fable « L’Huître et les Plaideurs » met en scène deux pèlerins qui trouvent une huître au bord de la mer. Ils se disputent pour savoir qui va la déguster. C’est alors que survient Perrin Dandin qu’ils prennent pour juger leur différend. Celui-ci avale l’huître et donne à chacun des pèlerins une simple écaille avant de les congédier (donner à quelqu’un son sac et ses quilles signifie l’inviter à prendre ses cliques et ses claques). Ainsi cette fable présente-t-elle une satire à la fois des hommes et de la justice : les hommes qui se chicanent pour des futilités ; la justice qui se moque des hommes en prenant leur argent et en rendant des décisions injustes.

     

     

     

     

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine

                  4 Couverture du cahier appartenant à l’élève Tropdanslalune (année 1912)

     

     

      Dis, comment ça s’écrit huître ?  En orthographe, il faut mettre un accent circonflexe (petit chapeau pointu) sur le « i ». Cet accent remplace le « s » des anciens mots oistre (fin du XIIème siècle), puis huistre (du XVème au XVIIème siècle), issus du latin ostrea ou ostreum, qui vient du grec ὄστρεον.

     

     

     

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine

                                            5 L’huître et les plaideurs (Blédine et Blécao).

     

     

     

      En images, c’est encore mieux ! De nombreux commerces, à la Belle Epoque, ont fait éditer par des imprimeurs lithographes des images pour enfants représentant la fable L’Huître et les Plaideurs, tantôt avec le texte complet de celle-ci au verso,…

     

     

     

     

     

       Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent Une Huître, que le flot y venait d'apporter : Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ; A l'égard de la dent il fallut contester. L'un se baissait déjà pour amasser la proie ; L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie. Celui qui le premier a pu l'apercevoir En sera le gobeur ; l'autre le verra faire. — Si par là l'on juge l'affaire, Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci. — Je ne l'ai pas mauvais aussi, Dit l'autre ; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie. — Eh bien! vous l'avez vue ; et moi je l'ai sentie. » Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge. Perrin, fort gravement, ouvre l'Huître, et la gruge, Nos deux Messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit d'un ton de président : « Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. »  Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ; Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles, Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui, Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

     

     

     

     

     L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine

     

     

     

     

     

     

     

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    6.1 et 6.2. L’huître et les plaideurs (chromo or, Vieillemard et fils, imprimeurs lithographes, 16 rue de la Glacière à Paris. 1887).

     

    … tantôt avec le texte de la fable au verso pour permettre une plus grande illustration au recto,…

     

     

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

                               7. L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

     

     

     

    …tantôt en une série de six chromolithographies. Dans la mesure où une seule des images de la série était remise gratuitement lors du passage des clientes à la caisse des magasins, celles-ci, harcelées par leurs enfants, plus amateurs de chocolats que de soupes, étaient obligées de revenir faire leurs courses dans le même magasin pour espérer réunir la série complète.

     

     Voici donc la série complète de six chromos édités, dans les années1900, par la célèbre Cie Liebig spécialiste des bouillons en cube à l’extrait de viande.

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).          

           7.1. Deux pèlerins rencontrent une huître sur le sable

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

              7.2. Chacun des deux pèlerins la désire avidement

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

              7.3. Une discussion s'engage à ce propos

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

               7.4. Perrin Dandin survient pendant cet incident

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

               7.5. Pris pour juge, Perrin gravement ouvre l'huitre et la gruge

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

              7.6. Après ce repas, Perrin donne une écaille* à chacun.

     

    *Ecaille se dit de la coque dure qui couvre l’huître, d’où le mot écailler pour désigner celui qui ouvre et vend des huîtres.

     

     

     

     

     

    Boileau, dit Despréaux (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900).

    8. Boileau, dit Despréaux (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900).

     

           

             Pour conclure, je rappellerai que la fable L'Huître et les Plaideurs de La Fontaine a été écrite, en 1671, donc deux années après le texte de Boileau également appelé L'Huître et les Plaideurs que l'on trouve dans son Epitre II dédié à l'abbé des Roches : 

     

     

    … Retiens bien la leçon que je te vais rimer.
    Un jour, dit un auteur, n’importe en quel chapitre,
    Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une huître.
    Tous deux la contestaient, lorsque dans leur chemin
    La Justice passa, la balance à la main.
    Devant elle à grand bruit ils expliquent la chose,
    Tous deux avec dépens veulent gagner leur cause.
    La Justice, pesant ce droit litigieux,
    Demande l’huître, l’ouvre, et l’avale à leurs yeux,
    Et par ce bel arrêt terminant la bataille :
    Tenez, voilà, dit-elle, à chacun une écaille.
    Des sottises d’autrui nous vivons au Palais.
    Messieurs, l’huître était bonne. Adieu. Vivez en paix.