• Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                 1 Enfants et leur perruche (photographie, circa 1930) 

     

        Je suis toujours en train de préparer la 5ème édition de mon manuel d'Introduction au Droit qui doit paraître en 2018, chez Ellipses.

     La dernière édition datant de 2010, il y a du "boulot". Par exemple, j'avais illustré, dans la dernière édition, les développements théoriques relatifs, d'une part au mécanisme du pourvoi en cassation, d'autre part à la non rétroactivité des lois, avec la célèbre affaire Perruche. Cette affaire a agité les prétoires de nos plus grandes juridictions, le Parlement, la presse spécialisée et nos Facultés de Droit pendant plus d'une dizaine d'années (de 1992 à 2002).      

       " Pas de bol "  pour moi, cette première série du feuilleton Perruche a tellement plu que ses producteurs ont tourné une seconde série allant, cette fois, jusqu'à l'année 2011 comprise !  Je suis donc en train d'intégrer le long scénario de cette seconde série dans l'actualisation de mon manuel.

     Voici la synthèse de ce scénario, illustrée, par fidélité à la thématique de ce blog, de photos et images anciennes de perruches. Sans trait d'humour car les faits de l'espèce sont tristes. Et sans les développements préliminaires théoriques de mon manuel relatifs au mécanisme du pourvoi en cassation et à la règle de la non-rétroactivité des lois car mon éditeur pourrait me gronder !

     Je rappelle au préalable à tous ceux qui, comme moi, l'ignoraient que la perruche est le nom vernaculaire donné à plusieurs espèces d'oiseaux appartenant à l'Ordre non pas des avocats mais des psittaciformes (en un seul mot s'il vous plaît).

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                          Perruche à collier rose (Bengale et Ceylan)

     

     Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes.         Le célèbre arrêt Perruche, rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 17 novembre 2000, illustre le déroulement d’un procès ayant fait l’objet de deux pourvois successifs pendant plus d'une décennie (Cass. ass. plén., 17 nov. 2000 : Bull. civ. 2000, n° 9). Seulement, cet arrêt n'a pas mis un terme à cette affaire qui, pendant une nouvelle décennie, s'est invitée devant  la Cour européenne des Droits de l'Homme et nos plus hautes juridictions nationales (Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Conseil d'État).

             En voici les faits. Pendant sa grossesse, une femme consulte un médecin et subit des analyses. Le médecin commet une erreur de diagnostic, et le laboratoire une erreur d’analyse d’un résultat sanguin. En raison de ces fautes, la femme n’a pu être informée de la rubéole qu’elle avait contractée, et elle a donné naissance à un enfant affecté d’un grave handicap. Or, si elle avait eu connaissance de sa maladie, cette femme aurait pu décider d’avorter, puisque la loi autorise l’interruption volontaire de grossesse pour des raisons thérapeutiques (CSP, art. L. 2213-1). La mère réclamait donc, au nom de l’enfant, la réparation du préjudice résultant du handicap de celui-ci.

     

     

     

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                          Perruche à col vert (Argentine et, depuis cette année Paris !)

     

    1. Le tribunal de grande instance d’Évry, le 13 janvier 1992, a condamné le médecin et le laboratoire à indemniser le préjudice causé à l’enfant en raison de leurs fautes respectives.

     

     

     

     

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               Perruche Catherine (Mexique, Panama, Colombie, Venezuela et Pérou)  

      

    2. La cour d’appel de Paris, le 17 décembre 1993, a réformé ce jugement, considérant que le handicap de l’enfant avait pour cause directe la rubéole que lui avait transmise sa mère in utero et non les fautes relevées contre le médecin et le laboratoire. En effet, en droit de la responsabilité, une personne n’est responsable que de ses fautes qui sont la cause directe du dommage de la victime. Or, pour les juges d’appel, rien ne permettait de préjuger que si la mère avait été correctement informée, elle aurait décidé d’avorter. La causalité étant réduite à une simple hypothèse, elle n’était pas directe.

     

     

     

     

     

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                                                  Perruche à tête de prune (Asie)

     

    3. Sur un premier pourvoi, la Cour de cassation, le 26 mars 1996, a cassé l'arrêt de la cour d’appel de Paris. Pour la Cour de cassation, il existait un lien de causalité entre le dommage subi par l’enfant et les fautes du médecin et du laboratoire, car si la mère avait été informée de sa maladie elle aurait pu avorter, empêchant par là même l’enfant de naître. Ainsi la Cour de cassation admettait-elle que le lien de causalité entre la faute et le dommage ne soit pas toujours direct.

     

     

     

     

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     Perruche ondulée (originaire d'Australie, il s'en vend plus de 100 000 chaque année en France) 

     

    4. Sur renvoi de cassation, la cour d’appel d’Orléans, le 5 février 1999, a refusé de s’incliner, considérant que l’enfant n’avait pas subi de préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises.

     

     

     

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                                             Perruche à croupion rouge (Australie)

     

    5. Un nouveau pourvoi ayant été formé, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 17 novembre 2000, sous le visa des articles 1165 (1199 nouveau) et 1382 (1240 nouveau) du Code civil, a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Orléans, et renvoyé l’affaire devant cette même cour d’appel dans une formation autrement composée (Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, Bull. civ. 2000, n° 9, p. 15).

      Le principe de l’indemnisation du préjudice personnel subi par un enfant né handicapé est alors formulé par la Cour de cassation, en ces termes : « Dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire […] avaient empêché Mme Perruche d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues. »

     

                                           Cour de Cassation. Assemblée Plénière. 17 novembre 2000

     

     

    6. La seconde cour d’appel de renvoi aurait dû appliquer l'interprétation de la règle de droit posée par la Cour de cassation aux faits de l’espèce, et condamner le médecin et le laboratoire à indemniser le préjudice résultant du handicap de l’enfant.

             Mais la procédure a été suspendue en raison de l’entrée en vigueur de la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, devenu l’article L. 144-5 du Code de l’action sociale et des familles, qui énonce : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance […] Lorsque la responsabilité d’un professionnel […] est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité de leur seul préjudice. » 

                  Cette loi, dite anti-Perruche, avait été votée en catastrophe par le Parlement pour qui, la Cour de cassation, en autorisant les victimes à se prévaloir d’un préjudice du fait de leurs naissances, incitait à l’euthanasie prénatale. Et, pour mettre un terme à la jurisprudence Perruche, le Parlement avait prévu l’application immédiate de ses dispositions aux instances en cours, donc au procès Perruche, condamnant les parties à courir, de nouveau, les prétoires.

     

     

     

     

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     Perruche à Tête d'Or ou Kakariki à Front Jaune (Nouvelle-Zélande, Cayenne, et dans tous nos élevages. Gravure Oiseaux de Buffon. Pl. 35).

     

    7. La Cour EDH, le 6 octobre 2005, à l'unanimité des 17 juges formant sa Grande Chambre, a condamné ce caractère rétroactif de la loi Kouchner aux instances en cours (Cour EDH, 6 oct. 2005, Aff. Draon c. France et Maurice c. France, req. n° 1513/03 et 11810/03). Elle s'est fondée sur le protocole n° 1 de la Conv. EDH aux termes duquel « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». Pour la Cour EDH, en supprimant, avec effet rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation que les parents auraient pu faire valoir, le législateur les a privés d’une valeur patrimoniale préexistante et faisant partie de leurs biens, à savoir une créance en réparation reconnue par la Cour de cassation française, dont ils pouvaient légitimement voir déterminer le montant.

     

     

     

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                      Perruche Ara de Cayenne (Gravures Oiseaux de Buffon. Pl. 864)

     

    8. Le Conseil d'État, le 24 février 2006, qui connaît du contentieux de la responsabilité médicale des établissements publics, a condamné le caractère rétroactif de la loi du 4 mars 2002, en reprenant pour l’essentiel les motifs de la Cour EDH (C.E., 24 févr. 2006, n° 250704, Publié au recueil Lebon).

     

     

     

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     Femelle de la Perruche à Front Jaune (Nouvelle-Zélande, et dans tous nos élevages) 

     

    9. La Cour de cassation, le 8 juillet 2008, qui connaît du contentieux de la responsabilité médicale privée, a réduit davantage encore la portée de la loi de 2002 considérant qu’elle ne pouvait s’appliquer rétroactivement aux dommages causés avant son entrée en vigueur, peu important la date de l’introduction de la demande en justice (Civ. 1re, 8, juill. 2008 : Bull. 190).

     

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

     Perruche à Tête d’Or ou Kakariki à Front Jaune (Nouvelle-Zélande, et dans tous nos élevages)

     

    10. Le Conseil constitutionnel, le 11 juin 2010, par le biais d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité est, à son tour, entré dans ce feuilleton judiciaire (Cons. const. 11 juin 2010, Décision n° 2010-2 QPC).

          Certes, il a jugé conforme à la Constitution la règle selon laquelle « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».

        Mais, il a jugé contraire à la Constitution son application aux instances en cours au moment du vote de la loi, se référant en particulier à l'article 16 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel : «  Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminés, n'a point de Constitution ». Pour le Conseil, si des motifs d'intérêt général peuvent justifier que les nouvelles règles soient rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne peuvent justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui ont, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice.

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                             Perruche Lori (Australie, Nouvelle-Zélande et Indonésie)

     

     

    11. Le Conseil d'État, le 13 mai 2011, a toutefois considéré que cette annulation par le Conseil constitutionnel n’avait pas eu pour conséquence de rendre indemnisable le préjudice personnel subi par un enfant avant l’entrée en vigueur de la loi de 2002, selon la jurisprudence antérieure (C.E., 13 mai 2011, Mme L., n° 329290). Pour le Conseil d'État, les enfants concernés ne peuvent être indemnisés de leur préjudice personnel que si une action en réparation a été engagée avant l’entrée en vigueur de cette loi. Dans le cas contraire, ils relèvent du dispositif de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et de la famille, issu de l’article 1er de la loi Kouchner, qui interdit à quiconque de se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.

     

     

     

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    Perruche Amazonine (l’auteur de ce dessin ancien a qualifié de ce nom l’une des 1300 espèces d’oiseaux d’Amazonie qui ressemble plutôt à un ara ou à un perroquet !)

     

    12. La Cour de cassation, le 15 décembre 2011, a adopté, au contraire, une interprétation plus large de la décision du Conseil constitutionnel (Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-27473, PB). Elle a considéré que l'article 1er de la loi de 2002 n’était pas applicable aux dommages causés aux enfants avant son entrée en vigueur, indépendamment de la date de l’introduction des demandes en justice. Pour justifier cette solution favorable aux victimes, la Cour de cassation s’est appuyée sur l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel qui doit s’attacher non seulement au dispositif, mais également aux motifs dès lors qu’ils en sont le support nécessaire.

     

     

    Le feuilleton judiciaire de l’affaire Perruche en 13 épisodes

                                                       Perruche à Moustache (Asie)

     

    13. Quant à la Cour EDH, le 30 août 2011, elle avait, concomitamment à nos plus hautes juridictions nationales, considéré que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacraient pas un droit acquis à une jurisprudence constante et qu’une évolution de la jurisprudence n’était pas en soi contraire à une bonne administration de la justice (Cour EDH, 30 août 2011, Boumaraf c. France, n° 32820/08).

        Toutefois, elle précisait qu’en présence d’une jurisprudence bien établie la juridiction suprême avait l’obligation de donner des raisons substantielles pour expliquer son revirement de jurisprudence, sauf à violer les droits du justiciable d’obtenir une décision suffisamment motivée.

                                Feuilleton judiciaire : sans suite ?