• Nos députés dans le journal satirique Cyrano

     

     

    Nos députés dans le journal satirique Cyrano

                                                         1- Comme à Charenton ! Agités dangereux. 

      « Ils sont six cents, là dedans, qui gueulent toute la journée et toute la nuit »

        (Cyrano, 19 février 1934, page de couverture).

     

     Petite explication. Depuis 1804, l’asile de Charenton, situé sur la commune de Saint Maurice, dans le Val-de-Marne, accueillait des aliénés souvent incurables (le sulfureux marquis de Sade y fut interné de 1803 jusqu’à sa mort en 1814). 

     

       Cyrano, journal satirique hebdomadaire (rédacteur en chef Léo Marchès).  Près d’un millier de numéros de ce journal furent publiés dans les années 1920 et 1930. Comme beaucoup de journaux satiriques de l’entre-deux-guerres, Cyrano s’attachait à rapporter des événements d’actualité politique qu’il blâmait et tournait en dérision. Parmi ses nombreux contributeurs, on citera Clément Vautel (1876-1954), aujourd’hui tombé dans l’oubli, qui fut l’auteur de grands succès de librairie comme Mon curé chez les riches (1923), et Mon curé chez les pauvres (1925), tirés à plus d’un million d’exemplaires. Pour le redécouvrir, je vous invite à lire son amusante contribution à la reconnaissance du droit de grève des écoliers que j’ai mise en ligne le 15 mai dernier dans la rubrique enfants de jure :

    http://droiticpa.eklablog.com/du-droit-de-greve-des-ecoliers-a214136633

     

        Toutefois, à l’instar de son prédécesseur, Le Cri de Paris (voir page précédente), Cyrano n’est pas mentionné par les contributeurs de Wikipedia qui ont consacré une excellente étude à la Presse satirique, complétée d’un article connexe Liste des journaux satiriques :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Presse_satirique

    //fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_journaux_satiriques

     

      Fort heureusement, le site Gallica de la Bibliothèque Nationale publie, de son côté, plusieurs dizaines de numéros entiers de ces deux journaux (et non la totalité de leurs numéros).

    Cyrano : 17 années disponibles. 590 numéros :

      https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327537623/date

     

    L’on retrouve également sur divers sites, marchands ou non, quelques couvertures de ces deux revues satiriques.

     

      Quant aux dessins de cette nouvelle page, ils mettent en scène nos députés (du bas latin deputatus, délégué), membres élus de la première des deux Assemblées détenant le pouvoir législatif (Chambre des députés ou Assemblée nationale, et Sénat), qui composent le Parlement. Selon les dictionnaires d’étymologie, ce dernier mot est composé de parler, avec le suffixe [e] ment. (vers 1100 apr. J.-C.), d’où la plaisanterie devenue culte (Victor Hugo, Léo Campion..): « dans parlement, il y a parle et ment ».

     

     

    Nos députés dans le journal satirique Cyrano

                                               2 MAURICE SARRAULT ?... OU FRANKLIN-BOUILLON ?...

                                      - Gauche… Droite… Gauche… Droite !...

                                    - C’est l’école du piéton ?...

                                    - Non, c’est l’école du parfait député radical !

                                                     (Cyrano, 21 août 1927, page de couverture).

     

       Maurice Sarrault (1869-1943), fut avocat, journaliste et homme politique notamment député et Président du Parti-Radical-Socialiste en 1926-1927 (il sera assassiné, le 2 décembre 1943, par un membre de la Milice du régime de Vichy). Henri Franklin-Bouillon (1870-1937), quant à lui, professeur agrégé d’anglais, fut ministre d’État en 1917, et, de 1910 à 1936, maintes fois député, d’abord du Parti-Radical-Socialiste (à l’aile droite de ce parti, hostile au communisme et au socialisme), puis de la Gauche-sociale et radicale (ou Gauche unioniste et sociale), dont il fut le créateur.  

       En 1924, les élections législatives avaient été remportées par la coalition du Cartel des Gauches constitué des radicaux-indépendants, du Parti radical et radical-socialiste, du Parti républicain-socialiste, de la SFIO et de quelques socialistes indépendants. La crise financière des années 1924-1927 entraîna la chute de cette coalition et du gouvernement d’Aristide Briand. De retour à la présidence du Conseil des ministres, Raymond Poincaré forma alors un cabinet d’Union nationale réunissant la droite et les divers partis radicaux, à l’exception des socialistes. Aux élections législatives des 22 et 29 avril 1928, la droite l’emporta avec 329 députés contre 285 pour la gauche.

     

     

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    3 - ÉNERGIQUE MANIFESTATION DE MM. LES DÉPUTÉS CONTRE L’IMPÔT DE 10% SUR L’INDEMNITÉ PARLEMENTAIRE.

                                                        « Continuez, messieurs ! » 

                                                       (Cyrano, 26 février 1933, page de couverture).

     

     Petite explication. En ce mois de février de l’année 1933, deux commissions des Finances du Parlement planchaient sur des amendements destinés à appliquer une taxe spéciale de 10% aux revenus et bénéfices des grandes sociétés d’assurances et de pétroles, en particulier, de sorte que la répartition des charges fiscales n’accable pas seulement les contribuables et les petits rentiers. En effet, ces gros monopoles privés échappaient à l’impôt sur leurs bénéfices. Seulement, comme le laisse supposer l’auteur de ce dessin, les députés ne se sont pas bousculés en séance pour proposer également un impôt de 10% sur leur propre indemnité parlementaire !

     

     

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                                                                4- On a beau garder la Chambre…

                                              « Vos gueules !… On en a marre !… » 

                                                        (Cyrano, 27 octobre 1933, page de couverture).

     

      « Donner sa langue au chat ». Ayant consulté l’ensemble des pages de ce numéro du 27 octobre 1933, je n’ai pas trouvé, compris ou deviné l’événement politique de l’année 1933 qui a inspiré l’auteur de ce dessin. 

        En revanche, la légende du dessin « On a beau garder la Chambre » m’est plus accessible. Il s’agit d’une plaisanterie pour se moquer des députés par emprunt de l’expression familière « garder la chambre » lorsqu’une personne reste chez elle dans son lit pour s’y reposer le temps de se remettre d’une maladie. Des dessins satiriques anciens jouent alors sur le double sens des mots :

     

                                  « - Et qu’est-ce qu’il fait ton papa ?

                                     - Il dort tout le temps à la Chambre !

                                     - Il est malade, le pauvre ?

                                     - Non, il est député ».

     

                             « -Oui, cher ami, j’ai parlé pendant deux heures à la Chambre.

                                -Vraiment et qu’a-t-on répondu ?

                                - Rien, la moitié dormait à la Chambre.

                                -Et l’autre moitié ?

                               -L’autre moitié n’assistait pas à la séance ! » 

     

     

     

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                                                                            5 Le député en vacances

    « Oui… citoyens ! Ah ! cette nuit du 6 !... Nous avons été des héros !... Nous avons couvert la Chambre de nos poitrines !... Nous avons sauvé la République, etc. »

                                                       (Cyrano, 23 mars 1934, page de couverture).

     

     « Ah ! cette nuit du 6 ». Ces mots font référence à la manifestation antiparlementaire organisée, le 6 février 1934, à Paris, place de la Concorde, devant la Chambre des députés par l’extrême droite (l’Action française, les Jeunesses patriotes et leurs Phalanges universitaires*, la Solidarité française…) et des organisations d’anciens combattants. En effet, ce jour, le second gouvernement d’Édouard Daladier, constitué le 30 janvier, devait être présenté à la Chambre. Les manifestants, en se réunissant devant la Chambre, entendaient ainsi protester contre le limogeage, à la suite de l’affaire Stavisky, du préfet de police Jean Chiappe, respecté de l’extrême droite et honni de la gauche.

         Mais cette journée de manifestation tourna à l’émeute entraînant la mort de 19 personnes et faisant plus de 2 000 blessés. Dès le lendemain, Édouard Daladier, chef du gouvernement, démissionna et, le 9 février, l’ancien président de la République (1923-1931), Gaston Doumergue, constitua un gouvernement d’Union nationale.

     

         « Nous avons été des héros !... Nous avons couvert la Chambre de nos poitrines !... Nous avons sauvé la République, etc. » Quant aux députés lors de cette nuit tragique du 6 février, la légende du dessin laisse supposer qu’ils devaient être aux « abonnés absents », bien à l’abri dans l’enceinte du Palais Bourbon, lequel était protégé par les forces de l’ordre (gardes mobiles, gendarmes départementaux, gardes républicains, policiers). En revanche, 1 664 des gendarmes et policiers furent blessés et l’un d’entre eux tué (acculés devant le palais Bourbon, sans plus pouvoir reculer, privés de boucliers, les gardes avaient ouvert le feu sur les manifestants dont plus d’une dizaine perdirent la vie).  

     

    *Message du Front universitaire (Phalanges Universitaires) « Étudiants, en dehors et au-dessus des partis, indépendants de toutes les organisations de droite ou de gauche, nous venons faire appel à ceux de nos camarades qui se sont toujours refusés, comme nous-mêmes à faire de la politique. La France est en péril. Demain, les organisations révolutionnaires essaieront de s'emparer du pouvoir et livreront sans défense notre pays à l'envahisseur. Il n'est pas nécessaire d'être inscrit à un groupe pour se révolter devant les effroyables scandales qui condamnent aujourd'hui le système de ceux qui en vivent. Pour l'honneur de notre génération, les étudiants doivent se dresser et prendre la tête du grand mouvement national qui se dessine. »

     

     

    Nos députés dans le journal satirique Cyrano

                                                                       6 Seront-ils mobilisables ?

    « Dis donc, le Député, tu ne sais plus tenir le crachoir ! » (Tenir, conserver le crachoir : expression familière signifiant garder la parole sans la laisser aux autres).

     (Cyrano, n° 634, 7 août 1934, page de couverture)

     

           Petite explication. Le rôle du Parlement de l’entre-deux-guerres a souvent été moqué dans la presse satirique, non seulement pour n’avoir su prévoir la guerre de 1940, mais aussi pour le faible engagement des députés et sénateurs sur le front lors de la Première Guerre mondiale. Certes, durant cette guerre, les parlementaires étaient mobilisables comme tous les Français âgés de 22 à 47 ans. Mais aucun ne pouvait relever de l’armée active (par opposition aux armées territoriales et de réserve), car depuis une loi de 1895, il fallait avoir satisfait à ses obligations militaires pour se présenter à l’élection. De plus, aucun militaire en activité n’était éligible, donc ne pouvait siéger au Parlement. En définitive, 213 parlementaires, membres de la réserve militaire territoriale, furent appelés sous les drapeaux en août 1914, dont 190 députés (les sénateurs dépassaient pour la plupart la limite d’âge). Ces parlementaires, trop âgés pour relever de l’armée active combattante, rejoignirent l’armée territoriale ou l’armée de réserve. En général, affectés, dans leur propre circonscription d’élection, aux dépôts de l'arrière où à des tâches modestes, ils suscitaient la perplexité des officiers de carrière sous les ordres desquels ils étaient censés obéir !

        Par justice, on rappellera que seize membres de la Chambre des députés, et un sénateur, engagés dans les forces armées ou bien civils, furent tués au cours de la Première Guerre mondiale, et reconnus comme morts pour la France.

    Liste de parlementaires français morts à la Première Guerre mondiale: 

            https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_parlementaires_fran%C3%A7ais_morts_%C3%A0_la_Premi%C3  %A8re_Guerre_mondiale

     

    Prochaine page, dans une semaine : Nos  députés en anciens dessins humoristiques de presse 1/4