• Tirage papier albuminé: Temples de Justice néoclassique 3/15

     

     

     

     

    La Maison royale de Roanne, premier Palais de Justice de Lyon, l’ancienne capitale des Gaules

    1 La Maison royale de Roanne, premier Palais de Justice de Lyon, l’ancienne capitale des Gaules (gravure sur bois de Rogalien Le Nail, reproduite dans la thèse de doctorat de Pierre Lenail : «Notice historique sur le Parlement de Dombes : 1523-1771 », soutenue le 31 mars 1900 devant la Faculté de Lyon).

     

    « Paris pour voir, Lyon pour avoir, Bordeaux pour dispendre [dépenser] et Toulouse pour apprendre ! » (Proverbe du XVIe siècle).  

     

       Lugdunum, la Colline de la Lumière. Suite au rattachement de Lyon, l’ancienne capitale des Gaules, au Royaume de France au XIVème siècle, une sénéchaussée administrative, financière et judiciaire fut installée au cœur de la ville dans la maison dite de Roanne. Il s’agissait de l’ancienne demeure de Guillaume de Roanne, un chanoine de la cathédrale Saint-Jean, léguée par celui-ci, en 1263, au sénéchal de Lyon, Hugues de la Tour du Pin. Humbert II, dauphin de Viennois, l’un des enfants de ce dernier, après en avoir hérité, l’avait vendue au roi de France Philippe VI (1293-1350). En 1467, les juridictions royales lyonnaises s‘y installèrent définitivement.

     

            Cette première maison de justice ayant été détruite par un incendie en 1622, un nouvel édifice fut construit en 1639 pour accueillir la salle d’audience, la Chambre du Conseil, la Chambre Criminelle, le Parquet des gens du Roi, le Parquet des enquêtes, des greffes civils et criminels, la Salle des Procureurs, ainsi que des prisons (durant la Terreur, des centaines de personnes furent jugées dans ce Palais de Justice, puis guillotinées place des Terreaux).

     

         Ce Palais de Justice également dénommé Palais de Roanne, Palais de Prison et Place de Roanne, étant lui-même devenu trop étroit et vétuste, fut détruit pour permettre la construction, d’un nouvel édifice au même emplacement.  

     

     

     

     

     

    Lyon : la Saône, le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière

    2 Lyon : la Saône, le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière* (lithographie. Auteur non identifiable. Circa 1850. Source : Paris. Bibliothèque Nationale).

     

    *La Colline de Fourvière, qui culmine à 318 mètres, est le lieu de fondation de la cité romaine de Lugdunum. L'orthographe de Fourvières comportait un "s" jusqu'au 19ème siècle (Réf. : Dictionnaire historique de Lyon p. 512).

     

         Le nouveau Palais de Justice, construit entre 1835 et 1847, est l’œuvre du peintre, graveur et architecte Louis-Pierre Baltard (1764-1846), lyonnais d’adoption et père de l’architecte Victor Baltard, célèbre pour la réalisation des anciennes Halles métalliques de Paris. Il est situé, en plein cœur du Vieux-Lyon et du quartier Saint-Jean du 5ème arrondissement, quai Romain Rolland (ancien quai de la Bibliothèque), sur la rive droite de la Saône, et entouré par la cathédrale Saint-Jean et la basilique Notre-Dame de Fourvière (il accueillait à son ouverture la Cour d’appel de Lyon et le Tribunal de Première instance). 

     

         La façade principale du Palais de Justice, qui donne sur le quai bordant la Saône, est de style néoclassique inspiré des temples grecs forts à la mode dans la première moitié du XIXème siècle (un voyage en Italie dans ses jeunes années aurait éveillé chez Louis-Pierre Baltard une fascination pour l’art antique. « Il partit peindre et revint architecte » dit l’un de ses biographes). Elle est encore inspirée du Palais Brongniart, de même style néoclassique, situé dans le 2ème arrondissement de Paris et qui venait d’être achevé en 1825 pour accueillir la Bourse de Paris.

     

     

     

     

     

    Lyon : la Saône, le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière. Tirage papier albuminé:

    3 Lyon : la Saône, le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle).

     

         À la manière du Livre Guinness des records. Ce Palais de Justice est sans doute l’un des plus importants de France de par les dimensions exceptionnelles de sa façade principale : 85 mètres de longueur (soit 35 mètres de plus que la longueur d’une piscine olympique), et 24 mètres de hauteur, soit celle d’un immeuble de huit étages. Il comprend encore 4 cours intérieures, nombre qui évoque celui des éléments de la Grèce antique : le feu, l’air, l’eau et la terre, ainsi qu’un gâteau breton (quatre-quarts). Mais il est plus célèbre encore pour le nombre des colonnes corinthiennes de sa façade principale… 

     

     

     

     

     

    « Le Palais des vingt-quatre colonnes » (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle)

    4 « Le Palais des vingt-quatre colonnes » (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle).

     

         … En effet, bien que privé du traditionnel fronton triangulaire de divers temples antiques, on retrouve sur son frontispice (façade principale d’un édifice ou d’un temple) pas moins de 24 colonnes identiques de 12 mères de haut. C’est la raison pour laquelle ce Palais de Justice est souvent dénommé par les lyonnais, boulistes en quadrette compris, le « Palais des vingt-quatre colonnes ».

     

        Pourquoi ce nombre de 24, identique à celui du record de hauteur d’une vague pour l’hémisphère Sud établi en 2018 ? Pour certains, ce nombre aurait été retenu par l’architecte Louis-Pierre Baltard car il correspond aux 24 heures de la journée. Situées à l’Est, les colonnes du Palais de Justice se développent ainsi le long de la Saône et reçoivent tour à tour les rayons du soleil quand il ne pleut pas.

     

     

     

     

     

     

    La Saône, la Passerelle du Palais de Justice*, le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière (image extraite d’une photographie stéréoscopique datée 1880).

    5 La Saône, la Passerelle du Palais de Justice*, le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière (image extraite d’une photographie stéréoscopique datée 1880).

     

    * Sur cette « Passerelle du Palais de Justice », voir mes badinages sous la dernière image de la page.

       

       On ajoutera que la pensée unique d’aujourd’hui qui magnifie sans réserve le Palais historique de Justice de Lyon, « l’un des plus beaux édifices néoclassiques français » selon une formule en vogue, ne reflète guère celle, beaucoup plus ouverte, de l’époque de son inauguration.

     

         Par exemple, Léopold Niepce (1813-1893), historien, archéologue, Conseiller à la Cour d’appel de Lyon, et Président de la société historique, archéologique et littéraire de Lyon, évoquait alors « l’imprévoyance de l’architecte Baltard, constructeur du Palais, qui a tout sacrifié à la prétentieuse colonnade de la façade et à la salle des Pas-Perdus, où il a mis du grec partout, croyant sans doute que Lyon était une ville assise au pied de l’Acropole, sous le beau climat de la Grèce. » (voir l’étude très complète consacrée au Palais de Justice de Lyon, en libre accès, sous ce lien : http://www.linflux.com/lyon-et-region/24/). 

     

     

     

     

     

    Les colonnes corinthiennes de la façade principale du Palais de Justice de Lyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle).

    6 Les colonnes corinthiennes de la façade principale du Palais de Justice de Lyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle).

     

          Les vingt-quatre colonnes identiques du frontispice du Palais de Justice de Lyon ont encore la particularité d’être d’ordre Corinthien, à l’instar du temple de Zeus à Athènes. Cet ordre, inventé aux alentours de 380 av. J.-C, se caractérise par une grande richesse d’éléments des colonnes et de leur chapiteau (partie supérieure d’une colonne) décoré de deux rangées de feuilles d'acanthe stylisée ainsi que des frises. Il s’oppose aux deux autres ordres architecturaux grecs antiques : l’ordre Dorique (chapiteau à échine plate, nue, sans décor), fût* orné de 20 cannelures et absence de base…); et l’ordre Ionique (chapiteau à volutes, fût* orné de 24 cannelures et base moulurée).

     

    *Le fût d’une colonne désigne la partie qui se situe entre sa base et son chapiteau. 

     

     

     

     

     

    Les colonnes corinthiennes de la façade principale du Palais de Justice de Lyon (carte postale selon un procédé en phototype monochrome aquarellé. Éditeur : Léopold Verger, installé à Paris, 161 boulevard d’Ornano. Sigle : L. V. & Cie.)

    7 Les colonnes corinthiennes de la façade principale du Palais de Justice de Lyon (carte postale selon un procédé en phototype monochrome aquarellé. Éditeur : Léopold Verger, installé à Paris, 161 boulevard d’Ornano. Sigle : L. V. & Cie.).

     

          Les fûts (voir la définition au dessus de l’image) cannelés de ces vingt-quatre colonnes sont en pierre de Villebois, et  les chapiteaux en  pierre jaune de Cruas et de Rocheret, assurant ainsi une bichromie (deux couleurs) de l’ensemble. Ils reposent sur un grand soubassement de pierre à l’appareillage cyclopéen (mur de pierre d’apparence rustique) et sont surmontés d’un entablement (partie supérieure surmontant une colonne et qui comprend l'architrave, la frise, en l’espèce à têtes de lions, et la corniche), puis d’un haut bandeau d’attique (partie supérieure qui couronne l’édifice).

     

         Entre chaque colonne se trouvent des fenêtres et des bas reliefs qui représentent des  faisceaux de licteur surmontés d’une tête de lion symbolisant la force. Dans la Rome antique, le faisceau de licteur était un objet de nature symbolique porté par un licteur, officier au service d’un Magistrat, représentant deux instruments de punition : en l’espèce, un faisceau de verges pour la flagellation, surmonté d’une hache pour la peine de mort, elle-même décorée, d’une tête de lion.

     

         Un escalier monumental permet d’accéder à l’entrée principale du Palais de Justice. De part et d’autre de cet escalier se trouvent deux piédestaux en attente de statues depuis 1847, et recouverts de fientes d’oiseaux du Rhône.

     

     

     

    Lyon : le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière (carte postale ancienne colorisée à la main, éditée par les frères Neurdein, sous le sigle « ND Photos »).

    8 Lyon : le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière (carte postale ancienne colorisée à la main, éditée par les frères Neurdein, sous le sigle « ND Photos »).

     

    De notre temps. Le Palais de Justice de Lyon, construit au XIXème siècle, est actuellement le siège de la Cour d’appel de Lyon, de la Cour d’Assises du Rhône, et de divers services du Conseil Général.

       Quant au nouveau Tribunal judiciaire, issu en 2000, de la fusion du Tribunal de Grande Instance et du Tribunal d’Instance de Lyon, il siège, avec le Tribunal de commerce, dans un autre Palais de Justice construit en 1995 dans le quartier de la Part-Dieu (entrée des piétons au 67 rue Servient).

     

       Aussi, pour distinguer ces deux Palais de Justice en activité, le plus ancien construit entre 1835 et 1847, est dénommé « Palais de Justice  Historique », et celui achevé en 1995 « Nouveau Palais de Justice ». 

     

     

     

     

     

     

    Lyon : le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière. La Tour* et le Restaurant Gay** (carte postale ancienne colorisée, sous la marque « L.L. », des frères Léon & Lévy [plus tard Lévy & fils]

    9 Lyon : le Palais de Justice et le Coteau de Fourvière. La Tour* et le Restaurant Gay** (carte postale ancienne colorisée, sous la marque « L.L. », des frères Léon & Lévy [plus tard Lévy & fils], les plus grands éditeurs de cartes postales après les frères Neurdein [« ND »]). 

     

        * La Tour métallique de Fourvière, qui culmine à 372 mètres d’altitude, a été construite de 1892 à 1894, sur le modèle du troisième étage de la Tour Eiffel, pour servir d’observatoire.

     

        ** En  1914, année de l'Exposition universelle à Lyon, se trouvait, près de cette Tour, le Restaurant Gay, ainsi qu’un ascenseur hydraulique permettant d’emmener une vingtaine de visiteurs au sommet de l’observatoire.

     

     

     

     

    Les Dames de la Belle Époque en manteau de sortie sur la Passerelle du Palais de Justice de Lyon (photographie tirée sur papier albuminé. Octobre 1894).

    10 Les Dames de la Belle Époque en manteau de sortie sur la Passerelle du Palais de Justice de Lyon (photographie tirée sur papier albuminé. Octobre 1894).

     

        « Lyon est une ville arrosée par trois grands fleuves: le Rhône, la Saône et le beaujolais, qui n'est jamais limoneux, ni à sec », disait l'écrivain Léon Daudet (1867-1942), fils d'Alphonse Daudet (1840-1897).  La Saône, appelée Arar dans l’antiquité, qui seule nous intéresse en ce qu’elle longe le quai des Célestins sur lequel donne l’actuelle place Paul Duquaire, devant la façade principale du Palais de Justice, est aujourd’hui encore dénommée « Passerelle du Palais de Justice ».

     

          Son histoire débuta en 1778 avec la construction d’un pont constitué de douze bateaux reliés entre eux par des amarres et des cordes rattachées sur chaque rive à des pilotis enfoncés dans le lit de la Saône. Emporté par les eaux glacées en 1795, il fut remplacé par un pont de bois à péage, lui-même remplacé, en 1833 par un pont suspendu de 90 mètres de portée, lequel sera à son tour emporté par une crue en 1840. Il sera reconstruit tel qu’on le découvre sur les diverses photographies de cette page, prises dans la seconde moitié du XIXème siècle.

     

         Démoli en 1972, ce dernier pont sera remplacé, en 1982, par une passerelle au pylône unique auquel sont rattachés les câbles de soutien du tablier. Longue de 126 mètres et large de 4 mètre, cette passerelle est réservée aux piétons qui ne peuvent y jouer aux boules lyonnaises, ainsi qu’aux plaideurs et hommes de justice résidant sur la rive gauche, pour leur permettre d’accéder plus facilement à l’entrée principale du Palais de Justice, sur la rive droite, sans avoir à faire un détour par le Pont routier Alphonse-Juin, ou le Pont Bonaparte.