• Tirage papier albuminé: Temples de Justice néoclassique 4/15

     

     

     

     

    Le Pavillon Daviel, Palais de Justice de Marseille de 1747 à 1862

    1 Le Pavillon Daviel, Palais de Justice de Marseille de 1747 à 1862 (carte postale pionnière d’Émile Lacour, pseudonyme de Victor Émile Rosales [1848-1913], photographe et éditeur de cartes postales, installé 56 rue de Rome, puis rue Saint Ferréol, à Marseille. Circa 1890).

     

     

    « Le séjour à Marseille m’a formé le caractère. Je suis disposé à prendre tout en gai et je guéris de la mélancolie. »  (Stendhal).

     

     

     

          Marseille, « l’Athènes des Gaules » (Chateaubriand), est non seulement la plus ancienne ville de France, fondée, vers 600 av. J.-C, par des colons grecs originaires de Phocée, sous le nom de Massalia, et celle où naquirent Pétrone, Fernandel, Marcel Pagnol et Zinédine Zidane. Elle est encore une importante cité judiciaire dont les diverses juridictions attirent moult gens de justice : Tribunal de Grande Instance (héritier, en 1958, du Tribunal de Première Instance) et Tribunal d’Instance, tous deux fusionnés en 2020 en Tribunal Judiciaire ; Tribunal de commerce ; Conseil des Prud’hommes ; Tribunal administratif ; Cour Administrative d’Appel. Elle reste toutefois privée de la Cour d’Appel Judiciaire de Provence, héritière du Parlement de Provence, qui a toujours été dévolue à sa voisine des Bouches-du- Rhône, Aix-en-Provence.

     

     

     

     

    Le Pavillon Daviel, Palais de Justice de Marseille de 1747 à 1862

    2 Le Pavillon Daviel, Palais de Justice de Marseille de 1747 à 1862 (la même carte postale pionnière d’Émile Lacour, colorisée par des « petites mains »).

     

     

        Aussi pour accueillir les juridictions de la cité phocéenne, « la plus belle ville de France…. tellement différente de toutes les autres. » (Arthur Shopenhauer), un Premier Palais de Justice fut édifié, en 1576, au nord du Vieux Port, dans le  quartier du Panier (actuel 2ème arrondissement), sur une place qui n’a cessé de changer de nom (Place des Lois, Place du Palais, Place de l’École de Médecine, et, depuis le 5 février 1895, Place Daviel).

     

      Cet édifice étant devenu trop petit pour l’activité judiciaire, un arrêté du 18 décembre 1742 du roi Louis XV décida la construction d’un nouveau Palais de Justice. Celui-ci fut construit, entre 1743 et 1747, par les frères Charles et Joseph Ignace Gérard, sur l’emplacement de l’ancien Palais de Justice, et celui de maisons voisines rachetées à cette fin, en face du calvaire de l’église Notre-Dame-des-Accoules (pendant les travaux, les services judiciaires furent installés dans la maison du marquis de Jarente-la-Bruyère, rue des Olives).

     

      Le nouvel édifice judiciaire a été construit en pierres roses extraites des carrières de calcaire burdigalien de la Couronne, utilisées de façon continue depuis le IIème siècle avant J.-C. (remparts hellénistiques encore visibles dans le Jardin des Vestiges : tour penchée et mur de Crinas), jusqu’au XVIIIème siècle, non seulement pour les bâtiments publics mais également pour les maisons particulières.

     

     

     

     

     

    La façade nord du Pavillon Daviel, ancien Palais de justice de Marseille

    3 La façade nord du Pavillon Daviel, ancien Palais de justice de Marseille (source : © Revue Marseille).

     

     

         Le sculpteur marseillais Jean-Michel Verdiguier (1706-1796) signa le fronton de ce Palais de Justice. On y voit, aujourd’hui encore, une déesse chevauchant un lion, entouré d’un enfant présentant d’une main l’écusson de la cité phocéenne et de l’autre les Tables de la Loi, et de quatre autres enfants. Jean-Michel Verdiguier réalisa également les bas reliefs situés au-dessous des fenêtres du deuxième étage, qui représentent la main de justice et la torche de Thémis, la déesse de la justice. C’est depuis ce balcon en fer forgé que, sous la Révolution française, des centaines de jugements de condamnations à mort furent publiquement prononcés (les exécutions avaient lieu juste en face du Palais de Justice, sur la Place où la guillotine était installée).  

     

       Devenu lui même trop étroit, ce Palais de Justice, siège du Tribunal de Première Instance, fut à son tour remplacé par un autre édifice achevé et inauguré en 1862 sur la Place Monthyon (voir ci-après). Le Pavillon de l’ancien Palais de Justice fut alors dévolu à l’École de Médecine de 1874 à 1893. Depuis, il accueille des services annexes de la Mairie centrale de Marseille.

     

        On notera enfin que le nom de Daviel, attribué, depuis le 5 février 1895, à la Place et à l’Hôtel (ou Pavillon), siège de l’ancien Tribunal de Première Instance de Marseille, n’a aucun rapport avec le Droit et la Justice. Il s’agit de Jacques Daviel (1693-1762), un chirurgien et ophtalmologue français qui réalisa la première opération de la cataracte, le 2 avril 1745, à l’Hôtel-Dieu de Marseille. Sa statue en bronze trône également sur cette place qui porte son nom (il a encore laissé son nom à une rue du quartier de la Butte-aux-Cailles, à Paris. dans le 13ème arrondissement).

     

     

     

     

     

    Le nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon (Photographie d’Adolphe Terris [1820-1899], tirée sur papier albuminé. Circa 1865)

    4. Le nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon (Photographie d’Adolphe Terris [1820-1899], tirée sur papier albuminé. Circa 1865).

     

     

           C’est en 1839 que le Préfet des Bouches-du- Rhône, Charles-Aristide de Lacoste du Viviers, proposa au Conseil général la construction d’un nouveau Palais de Justice à l’emplacement de l’ancien. Après avoir longtemps hésité, le Conseil général décida, en 1856, la construction d’un nouveau Palais de Justice non pas sur cet emplacement mais sur des terrains cédés par la ville de Marseille place Monthyon (Jean-Baptiste de Montyon fut, au XVIIIème siècle, intendant de Provence. J’ignore pourquoi la lettre « h » a été ajoutée au nom de la place éponyme).

     

         L’inauguration de ce nouveau Palais de Justice, parfois appelé Pavillon Monthyon, eût lieu le 4 novembre 1862. M. Mourier, Procureur impérial près le Tribunal de Marseille, prononça le discours d’ouverture de l’audience inaugurale, suivi par Édouard Luce, Président du Tribunal Civil.

     

     

     

     

     

    Le nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle)

    5. Le nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle).

     

     

      Néo-classissisme antiquisant. Les plans du nouveau Palais de Justice ont été dressés par Auguste Martin (1818-1877), un architecte marseillais. Celui-ci adopta naturellement le style néoclassique, inspiré de l’antiquité gréco-romaine, alors à la mode pour la construction des Palais de Justice dans toute la France.

     

     

     

     

     

    Le nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle)

    6. Le nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle).

     

     

         Pour nous limiter à la façade extérieure de  ce « Temple de Justice », longue de 57 mètres, on retrouve sur son frontispice (façade principale), d’ordre Ionique (voir la définition page précédente), six colonnes entièrement cannelées, surmontées d’un fronton triangulaire. Ce fronton offre une sculpture d’Eugène Guillaume (1822-1905), qui représente La Justice avec, à sa droite La Force et dans l’angle Le Crime accroupi évoqué par une tête d’homme, et, à sa gauche, La Prudence et L’Innocence.

     

          On accède à l’entrée principale du Palais de Justice par un perron monumental de vingt-cinq marches (sans rampe, ça craint !).

     

     

     

     

     

    Le Palais de Justice et l’ancienne statue en bronze de l’avocat Pierre-Antoine Berryer, place Monthyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle)

    7 Le Palais de Justice et l’ancienne statue en bronze de l’avocat Pierre-Antoine Berryer, place Monthyon (photographie tirée sur papier albuminé. XIXème siècle).

     

     

           Le 25 avril 1875 a été inaugurée à Marseille, sur la place Monthion, devant le Palais de Justice, une statue en bronze représentant Pierre-Antoine Berryer. Cette statue de Jean-Auguste Barre, dit Auguste Barre (1811-1896), avait été exposée en 1874, au Salon de Paris, dans le cadre de la Première Exposition de l’Impressionnisme.

     

         Pas de chance, cette  statue en bronze fut fondue sous l’Occupation allemande de la zone libre, en application, sauf erreur de ma part, d’une loi du 11 octobre 1941 aux termes de laquelle : « Il sera procédé à l’enlèvement des statues et monuments en alliages cuivreux dans les lieux publics… qui ne présentent pas un intérêt artistique ou historique ».

     

         Mais, fort heureusement pour le barreau de… Paris !!!, la statue en bronze en hommage à Pierre-Antoine Berryer fut remplacée, en 1948, par une statue, cette fois en marbre, due au ciseau du sculpteur marseillais Élie-Jean Vézien (1890-1982). 

     

     

     

     

     

    Pierre-Antoine Berryer (photographie en portrait carte-de-visite, tirée sur papier ou carton albuminé, par Charles Reutlinger. Circa 1870)

    8 Pierre-Antoine Berryer (photographie en portrait carte-de-visite, tirée sur papier ou carton albuminé, par Charles Reutlinger. Circa 1870).

     

     

            Qui donc était ce Pierre-Antoine Berryer (1790-1868), aussi célèbre pour les Marseillais que Fernandel, Marcel Pagnol et Zinédine Zidane, tous trois nés dans la cité phocéenne ? Pour le savoir, je vous invite à lire l’excellente biographie que lui ont consacrée les contributeurs anonymes de Wikipedia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Antoine_Berryer).

     

            Vous y découvrirez qu’il s’agit d’un des plus grands avocats de son temps : sous la Seconde Restauration (1815-1830), où il a plaidé en faveur de personnalités de l’Empire comme le maréchal Ney, les généraux Devbelle et Cambronne, et le père Lamennais ; sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), où il a défendu notamment l’écrivain Chateaubriand ; et, sous le Second Empire (1852-1870), où il a défendu Élisabeth de Jeufosse, l’une des protagonistes de la ténébreuse affaire dite de Jeufosse (https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_de_Jeufosse), ainsi que le comte Charles de Montalembert, poursuivi pour avoir écrit un article dans lequel il critiquait le pouvoir politique français (condamné, il sera en définitive gracié par l’Empereur Napoléon III).

     

        Mais, me direz-vous quel rapport avec la ville de Marseille étrangère aux lieux de naissance et de décès de Pierre-Antoine Berryer, et plus encore de son cabinet d’avocat sis à Paris. Tout simplement parce que, comme nombre d'avocats, il a été happé par le démon de la politique (voir dans les prochains mois, sur ce blog, les articles que je suis en train de préparer intitulés : Du Droit au Démon de la Politique). C’est ainsi que nous retrouvons l’avocat Pierre-Antoine Berryer, légitimiste convaincu, favorable au rétablissement de la royauté dans la personne du chef de la maison de Bourbon, à l’assaut de sièges politiques opportunément offerts par cette cité de Provence méditerranéenne, à l’origine de la bouillabaisse. Qu’on en juge… de droit :

     

    -  Il fut élu, le 23 avril 1848, à l’Assemblée nationale Constituante de la Deuxième République (1848-1852), par le département des Bouches-du-Rhône (capitale Marseille) ;

     

    -  Il fut réélu par ce même département, le 13 mai 1849, au sein de l’Assemblée nationale législative de la Deuxième République ;

     

    -   Et, après une pose pour gérer au mieux son cabinet d’avocat à Paris, il se sacrifia de nouveau pour la vie publique, sous le Second Empire, en se portant candidat aux élections législatives dans la 1ère  circonscription des Bouches-du-Rhône (celle de Marseille). Il fut alors élu, pour six années, au Corps législatif, institué par la Constitution du 14 janvier 1852, au suffrage universel direct, avec 14 425 voix sur 22 513 votants et 40 960 inscrits, contre 7 818 à Louis-Philippe Lagarde, maire de Marseille.

      

     

     

     

     

    La façade du nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon

    9 La façade du nouveau Palais de Justice de Marseille, place Monthyon (carte postale ancienne colorisée, sous la marque « L.L. », des frères Léon & Lévy [plus tard Lévy & fils], les plus grands éditeurs de cartes postales après les frères Neurdein [« ND »] avec lesquels ils fusionnèrent  en 1922 [« Lévy et Neurdein réunis »]). 

     

     

       De notre temps. Le Palais de Justice de Marseille, construit dans la deuxième moitié du XIXème siècle, étant devenu trop étroit, un autre Palais  de Justice dit Annexe a été construit par l’architecte Gaston Castel, en 1930 et 1931, rue Fortia (depuis devenue rue Émile Pollak du nom du célèbre avocat marseillais mort en 1978). Il fut inauguré, le 16 juillet 1933, par le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Eugène Penancier. Sa façade principale Art-Déco est inspirée de l’architecture classique grecque avec quatre colonnes cannelées (la façade a été restaurée en 2017 et 2018).

     

       Aujourd’hui, ces deux Palais de Justice, à proximité l’un de l’autre, se partagent encore les juridictions et services judiciaires de Marseille. Celui principal, place Monthyon (accès du public par la rue Joseph Autran), rénové de 2013 à 2015, accueille le Tribunal Judiciaire issu de la fusion des Tribunaux d’instance et de grande instance, le Tribunal de Police, le centre de médiation, ainsi que les archives et les scellés de ces juridictions. Celui Annexe de la rue Émile Pollack accueille notamment le Tribunal de commerce et des dépendances du Tribunal Judiciaire.

     

         Quant à la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, héritière du Parlement de Provence, elle compte, dans son ressort, le Tribunal Judiciaire de Marseille, ainsi que ceux d’Aix-en-Provence, Digne-les-Bains, Draguignan, Grasse, Nice, Tarascon, et Toulon. Elle couvre, de la sorte, quatre départements : celui des Bouches-du-Rhône dont Marseille est la préfecture, et ceux du Var, des Alpes-Maritimes et des Alpes de Haute Provence. 

     

     

     

     

     

    Les nounous au Cours Pierre Puget, devant la statue de l’avocat Pierre-Antoine Berryer et le nouveau Palais de Justice (carte postale colorisée par de « petites mains ». Non datée).

    10 Les nounous au Cours Pierre Puget, devant la statue de l’avocat Pierre-Antoine Berryer et le nouveau Palais de Justice (carte postale colorisée par de « petites mains ». Non datée).

     

     

    CÉSAR : Bagasse ? Pour moi, c'est le seul mot d'anglais qu'il connaisse, alors, il le dit tout le temps pour étonner le monde.

    M. BRUN : Eh bien, c'est bizarre, mais je le croyais Marseillais.

    CÉSAR : Marseillais ?

    PANISSE : Oh ! dites vous êtes pas fada ?

    M. BRUN : Dans le monde entier, mon cher Panisse, tout le monde croit que les Marseillais ont le casque et la barbe à deux pointes, et qu'ils se nourrissent de bouillabaisse et d'aïoli, en disant " bagasse " toute la journée.

    CÉSAR : Eh bien ! Monsieur Brun, à Marseille, on ne dit jamais bagasse, on ne porte pas la barbe à deux pointes, on ne mange pas très souvent d'aïoli et on laisse les casques pour les explorateurs — et on fait le tunnel du Rove, et on construit vingt kilomètres de quai, pour nourrir toute l'Europe avec la force de l'Afrique. Et en plus, monsieur Brun, en plus, on emmerde tout l'univers. L'univers tout entier, monsieur Brun. De haut en bas, de long en large, à pied, à cheval, en voiture, en bateau et vice versa. Salutations. Vous avez bien le bonjour, Gnafron.

     

    (Marcel Pagnol. Fanny. Acte I, Premier tableau, Scène VII. 1931).