• Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats, Louis Lœw (3/5)

     

     

                                                                                                

     

    La reconstruction du Pont au Change, et le Palais de Justice (photographie d’Édouard Baldus. Circa 1858-1860*. Tirage sur papier albuminé d’après calotype)

    1 La reconstruction du Pont au Change, et le Palais de Justice (photographie d’Édouard Baldus. Circa 1858-1860*. Tirage sur papier albuminé d’après calotype).

     

    * Sauf erreur, cette photographie représente les travaux de reconstruction du Pont au Change, entrepris de 1858 à 1860, sous le règne de Napoléon III. De plus, les anciennes maisons, situées à droite des deux tours circulaires, donnant sur le quai de l’Horloge, ont été détruites pour être remplacées par l’actuel bâtiment de la Cour de cassation dont la construction a été entrepris, à partir de l’année 1861, par les architectes Louis Normand et Joseph-Louis Duc, puis en partie recommencée par Georges-Ernest Coquart et Paul Blondel, après l’incendie du Palais de Justice, sous la Commune, le 24 mai 1871. 

     

         « La  République des camarades… voire des copains et des coquins ». Dans un véritable état de droit qui implique la prééminence du droit sur le pouvoir politique, il serait inconcevable que le Premier président de la Cour de cassation, plus Haut magistrat de cette cour suprême, puisse être nommé parmi des personnes n’ayant jamais été magistrats du siège ou du parquet. Et pourtant, il existe un pays qui, dans ses rapports avec la Haute administration judiciaire, rappelle par son absurdité le comique de Courteline. Il s’agit de la France qui n’hésitait pas, tout du moins au XIXème siècle, à nommer Premier président de la Cour de cassation des avocats avec ou sans cause, et des hommes politiques plus ou moins arrivistes (députés, sénateurs, ministres) bien en cour, qui, de toute leur vie, n’avaient jamais porté une robe de juge, de substitut ou de procureur (ce blog étant limité au droit en images et cartes postales anciennes, je m'abstiendrai d'évoquer la désignation récente d'une avocate, consœur du nouveau Garde des Sceaux, à la tête de l'Ecole Nationale de la Magistrature, qui n'a pas fait rigoler les magistrats du siège et du parquet, y compris les plus Hauts magistrats, dénués de sens de l'humour).

     

     

    C’est ainsi que j’ai présenté, dans un précédent chapitre, Jules Cazot et Charles Mazeaud. Sous la Troisième République, ils furent nommés en conseil des ministres, Premiers Présidents de la Cour de cassation, sur proposition du Garde des Sceaux [en fait sur ordre du Chef de l’État] après avoir été successivement avocats, députés et Gardes des Sceaux, ministres de la Justice. En particulier, Jules Cazot n’avait jamais été magistrat de toute sa vie (voir le chapitre : Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats (1/5).

     

          Mais d’autres personnes, au contraire, ayant consacré leur vie entière à la magistrature, ont pu accéder aux plus hautes fonctions judiciaires par les chemins difficiles des promotions de carrière et du mérite. Il en fut ainsi de Louis Lœw, nommé Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de 1886 à 1903,  puis  Premier président honoraire de la Cour de cassation en avril 1903, année où il prit sa retraite après cinquante et un ans consacrés à la magistrature !

     

     

     

     

     

    Louis Lœw : un Haut magistrat de carrière… traîné dans la boue (photographie tirée sur papier albuminé. nd).

    2. Louis Lœw : un Haut magistrat de carrière… traîné dans la boue (photographie tirée sur papier albuminé. nd).  

     

            Louis Lœw naquit à Strasbourg le 30 avril 1828, dans une famille protestante, étrangère au droit et à la justice (son père était propriétaire de la Brasserie du Loup). Orphelin de père à l’âge de dix ans, il suivit ses études à l’Institut Goguel puis au Gymnase protestant de Srasbourg, dit « Haute École ».

     

         Reçu bachelier en 1944, à l’âge de seize ans, Louis Lœw s’inscrivit à la Faculté de Droit de Strasbourg. Il y obtint sa licence en 1848, et son doctorat en 1851 avec une thèse consacrée à diverses institutions du droit romain. Les membres du jury, notamment les professeurs Aubry et Roy, lui décernèrent à cette occasion les éloges. Après avoir été un bref moment avocat en 1850, Louis Lœw consacra sa vie entière à la magistrature, sans jamais bifurquer vers la voie politique qui lui aurait pourtant permis, grâce à des relations amicales opportunes, d’accéder plus rapidement aux plus hautes fonctions judiciaires.

     

           C’est ainsi que, le 19 avril 1852, Louis Lœw entra dans la magistrature comme simple substitut à Altkirch, et fut muté à Colmar en 1853 puis à Strasbourg. Le 22 janvier 1859, il revint à Altkirch comme procureur impérial, et assuma cette fonction à Mulhouse, suite au transfert du siège du Tribunal d’Altkirch à Mulhouse. Il devint ensuite président du Tribunal de Mulhouse le 1er juin 1864. Mais lors de la Guerre Franco-prussienne de 1870 à 1873, après la cession de l’Alsace et de la Moselle au Reich, Louis Lœw refusa de conserver sa fonction sous l’autorité allemande, et opta pour la nationalité française. Il quitta en conséquence l’Alsace, et fut successivement président du Tribunal du Havre le 8 janvier 1872, juge au Tribunal de la Seine en 1875, vice-président de ce même Tribunal le 17 novembre 1879, Conseiller à la Cour d’appel de Paris le 26 mai 1880, Procureur de la République le 27 juillet de la même année,  et Procureur général le 23 avril 1883.

     

     

     

     

    Louis Lœw, Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de 1886 à 1903 (photographie tirée sur papier albuminé. Circa 1890).

    3. Louis Lœw, Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de 1886 à 1903 (photographie tirée sur papier albuminé. Circa 1890). 

     

        Le 11 mai 1886, à l’âge de cinquante-huit ans, Louis Lœw fut nommé Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, fonction qu’il exerça pendant dix-sept années, jusqu’à sa retraite en 1903. En cette qualité, il lui revint de diriger, une dizaine d’années plus tard, l’instruction de la requête en révision, par la Chambre criminelle, du jugement du Conseil de Guerre de Paris du 22 décembre 1894 qui avait condamné le capitaine Alfred Dreyfus, pour trahison, à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle (voir les précédents chapitres : Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats.1/5 et 2/5), et dont la Cour de cassation avait été saisie le 22 septembre 1898.

     

     

     

    Quatre âges d’Alfred Dreyfus en photographies tirées sur papier albuminé

     

    Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats, Louis Lœw  (3/4)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    4-1 : enfance en Alsace (c. 1870)

     

     

    Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats, Louis Lœw  (3/4)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    4. Quatre âges d’Alfred Dreyfus en photographies tirées sur papier albuminé. 4-1 : enfance en Alsace (c. 1870) ; 4-2 : élève à l’École polytechnique dite l’ « X » (1878-1880) ; 4-3 : capitaine à l’État-major de l’Armée (1er janvier 1893) ; 4-4 : après sa dégradation (janvier 1895).

     

          Je m’abstiendrai de raconter dans le détail cette célèbre affaire militaire, judiciaire, politique et populaire, car il existe sur Internet des dizaines de blogs et/ou de sites de grande qualité, qui l’exposent parfaitement. Tout au plus, je mets en ligne ces quatre photographies sur papier ou carton albuminé, que j’ai dénichées dans l’immense fourre-tout d’Internet. Elles représentent Alfred Dreyfus aux quatre âges de sa vie : l’enfance (4-1), l’âge adulte, d’abord comme élève à l’École polytechnique (4-2) ; puis comme capitaine à l’État-Major de l’Armée (4-3) ; et après sa dégradation en janvier 1895 (4-4).

     

    Je rappellerai seulement que cet officier français, de famille juive, avait été victime, en 1894, d’une machination judiciaire, préparée secrètement par un autre officier, Ferdinand Walsin Esterhazy, auteur d’un faux bordereau le mettant en cause. Condamné, le 22 décembre 1894, pour trahison, à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle au bagne par le Conseil de Guerre de Paris, son jugement fut annulé par l’arrêt des trois Chambres de la Cour de cassation du 3 juin 1899, réunies sous la présidence de Charles Mazeau. Cet arrêt renvoya Alfred Dreyfus devant le Conseil de Guerre de Rennes, lequel, le 9 septembre 1899, le condamna à dix ans de détention et à la dégradation militaire « avec circonstances atténuantes ! ». Il sera gracié, le 19 septembre 1899, par le président de la République Émile Loubet, avant d’être innocenté à jamais par un nouvel arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation du 12 juillet 1906, présidées par Alexis Ballot-Beaupré, qui annula sans renvoi le jugement de Rennes (voir le précédent article. Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats, 1/5). Alfred Dreyfus réintégra l’Armée le 20 juillet 1906. Puis, pendant la Première Guerre mondiale, il participa aux combats du Chemin des Dames et de Verdun, sera élevé au grade de lieutenant-colonel en septembre 1918, et promu officier de la Légion d’honneur le 9 juillet 1919. Il mourut le 12 juillet 1935, à Paris, à l’âge de 75 ans.

     

     

     

     

     

     

    La campagne de calomnie contre Louis Lœw, chargé de l’instruction par la Cour de cassation de la révision du jugement du Conseil de Guerre du 22 décembre 1894 de condamnation du capitaine Dreyfus (couverture du journal des caricatures La Silhouette, du 1er février 1899. Dessin de Bobb)

     5. La campagne de calomnie contre Louis Loew (journal de caricatures La Silhouette, du 1er février 1899. Dessin de Bobb. Sur la toque rouge du Haut magistrat en première ligne est inscrit le nom de Loew). 

     

       

       Aussitôt en charge de l’instruction du procès Dreyfus, Louis Lœw et plusieurs de ses collègues, dont Alphonse Bard, Conseiller rapporteur devant la Chambre criminelle, et Jean-Pierre Manau, Procureur général près la Cour de cassation, suspectés d’être partiaux et de manœuvrer pour faire innocenter par la Chambre réunie de la Cour de cassation le capitaine Dreyfus, furent victimes d’une campagne de calomnie dans la presse, accusés par les antidreyfusards d'être « à la solde de l'Allemagne et du Syndicat juif » (ils croyaient à tord que Lœw était un nom de famille juif). Plus encore, dans l’hémicycle même de la Chambre des députés, un député parlera d’un « trio de coquins », et, dans la Grande galerie de la Cour de cassation, leur propre collègue Jules Quesnay de Beaurepaire, président de la Chambre civile, les traitera de « vendus ».

     

             Charles Mazeaud, Premier président de la Cour de cassation, demanda alors à Louis Lœw de se récuser, ce que celui-ci refusa de faire. Aussi une loi de circonstance, promulguée le 1er mars 1899, dessaisit-elle la Chambre criminelle de l’instruction pour la confier aux Chambres réunies, présidées par Charles Mazeaud. Toutefois, les Chambres réunies validèrent l’instruction menée par Louis Lœw et Alphonse Bard, et cassèrent le jugement de condamnation du capitaine Dreyfus, ayant été convaincues par leur propre rapporteur, Alexis Ballot-Beaupré, que le bordereau l’incriminant était un faux qui avait  été écrit par Ferdinand Walsin Esterhazy (après la nouvelle condamnation du capitaine Dreyfus, prononcée par le Conseil de Guerre de Rennes, en 1899, Alexis Ballot-Beaupré présida, en juillet 1906, en qualité de Premier président de la Cour de cassation, le procès en révision du jugement de Rennes. L’arrêt rendu le 12 juillet 1906 par la Cour de cassation, toutes Chambres réunies, annula sans renvoi le jugement de Rennes, innocentant à jamais le capitaine Dreyfus). 

     

     

     

     

     

    Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats, Louis Lœw  (3/4)

    6. Louis Lœw, après sa « réhabilitation sociale » (photographie tirée sur papier albuminé. nd).   

     

       Le capitaine Dreyfus fut réhabilité judiciairement par l’arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation du 12 juillet 1906, présidées par Alexis Ballot-Beaupré, qui annula sans renvoi son jugement de condamnation de Rennes (voir le texte intégral de cet arrêt dans le précédent chapitre. Tirage sur papier albuminé : Hauts magistrats, 1860 et s. (1/5). 

     

           Quant au Président de la Chambre criminelle, Louis Lœw, il fut, d’une autre manière, rétabli dans l’estime et la considération de ses pairs et du Gouvernement, lorsqu’il fit valoir ses droits à la retraite, en 1903, après cinquante et un ans de services. Il fut en effet nommé Premier président honoraire de la Cour de cassation en avril 1903, et élevé à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur, le 22 mai suivant. Lors de la dernière audience qu’il présida, le 9 mai 1903, ses collègues de la Chambre criminelle lui témoignèrent leur estime avec éloquence. Louis Lœw leur répondit en ces mots :

     

      « Pardonnez-moi, Messieurs, de m'être étendu sur ces souvenirs, mais c'est la dernière fois que je puis vous en entretenir et je ne vous aurais pas ouvert tout mon cœur si je m'étais borné aux paroles de circonstance que comportent ordinairement de tels adieux. Les épreuves, dit-on, unissent plus que les succès; nous avons trop vécu, travaillé, souffert ensemble pour que notre séparation ne m'apparaisse pas comme un déchirement. Menacés par le torrent de boue que l'on déversait sur nous, nous avons dû nous raidir dans notre solidarité pour ne pas être submergés. L'union a fait notre force, mais cette union est aujourd'hui aussi ma faiblesse, car elle me rend doublement pénible la rupture. Dans la retraite où je vais m'ensevelir, jusqu'au jour où j'irai là-bas faire de la poussière française qui y fécondera de nouveaux dévouements à la France, je garderai pieusement la mémoire reconnaissante de ce que vous avez été pour moi, de votre confiance, de votre amitié, du soutien que j'ai trouvé près de vous contre les défaillances, des encouragements que vous m'avez prodigués dans le devoir ».

     

     

     

     

    Louis Lœw. Affaire Dreyfus. La loi de dessaisissement par un dessaisi, Sa genèse, sa gestation, son vote, son abrogation (Paris. librairie Fischbacher, 1910)

    7. Louis Lœw. Affaire Dreyfus. La loi de dessaisissement par un dessaisi, Sa genèse, sa gestation, son vote, son abrogation (Paris. librairie Fischbacher, 1910). 

     

         Rentré dans la vie privée, Louis Lœw ordonna les multiples documents qu’il avait réunis tout au long de sa carrière. Il publia ainsi, en 1910, un ouvrage, intitulé « La loi de dessaisissement par un dessaisi », où il relatait les « cent jours » de calomnies dont il fut victime lors de son instruction du procès Dreyfus dans les années 1899/1899. Retiré en Suisse depuis le mois d’août 1914, il décéda à Bâle, le 23 avril 1917, après avoir choisi cette phrase d’annonce de ses obsèques : « Bienheureux ceux qui ont souffert pour la justice ».

     

           Le 22 avril 2016, le parvis de la Faculté de Droit de l’Université de Haute-Alsace, à Mulhouse (FSES : Faculté des Sciences Économiques, Sociales et Juridiques), a reçu le nom de Louis Lœw.