• VI. La naissance du Quartier Latin au XIIème siècle

     

     39. Plan de Paris de Braun & Hogenberg (1572)

                       39. Plan de Paris de Braun & Hogenberg (1572)

     

     Au début du XIIème siècle, plusieurs écoles de la cathédrale de Paris quittèrent l’Île de la Cité pour s’établir, d’abord, sur le Petit-Pont enjambant un bras de la Seine (sur ce plan de Braun et Hogenberg de 1572, il s’agit du plus haut des deux ponts à droite de l’Île de la Cité), ensuite, sur la Rive gauche, en contrebas de la Montagne Sainte-Geneviève (sur ce même plan, à droite de l’Île de la Cité).

     

     

     

    40. Le Petit-Pont sur le plan de Vassalieu (1609)

                    40. Le Petit-Pont sur le plan de Vassalieu (1609)

     

    Le Petit-Pont, ainsi dénommé car étant le plus petit de tous les ponts de Paris (une centaine de mètres), reliait l’Île de la Cité à la place du Petit-Pont sur la Rive gauche de la Seine où donnaient l’ancienne rue du Marché-Palu (du nom du premier marché existant à Paris sur un terrain humide et boueux), et, aujourd’hui encore, la rue Saint Jacques. D’origine gallo-romaine, il a été plusieurs fois détruit en raison des crues de la Seine et des incendies (il était fait de bois). Il a été reconstruit en pierre, une première fois, en 1409, et, une dernière fois, en 1853. Il est aujourd’hui dénommé Petit-Pont-Cardinal-Lustiger.

     

     

    41 Les maisons du Petit-Pont en 1717

    41. Les maisons du Petit-Pont en 1717 (tableau de Joseph Hubert Hoffbauer).

     

    Si des écoles de droit de la cathédrale Notre-Dame se sont établies sur le Petit-Pont, c’est parce que les maîtres et les écoliers étaient devenus trop nombreux pour rester sur l’Île de la Cité. Les écoles obtinrent donc l’autorisation de l’évêché de s’installer dans des boutiques et des maisons construites sur le Petit-Pont, qui enjambait le plus petit bras de la Seine. Leurs maîtres et écoliers restaient toutefois des clercs soumis au droit, aux tribunaux et aux privilèges de l’Eglise. Pour autant, les écoliers, même tonsurés, ne s’engageaient aucunement à servir dans l’Eglise après leurs études.

     

     

    42. Les églises Saint-Etienne et Sainte-Geneviève au Moyen Âge

         42. Les églises Saint-Etienne et Sainte-Geneviève au Moyen Âge.

     

    Quelques années plus tard, pour échapper, cette fois,  au contrôle épiscopal, des dizaines d’écoles de la cathédrale de Paris quittèrent l’Île de la Cité, voire le Petit-Pont. Elles s’établirent sur la Rive gauche de la Seine en contrebas de la Montagne Sainte-Geneviève (ancien Mons Lucotitus). Au sommet de cette colline, s’élevaient l’église Sainte Etienne et l’abbaye Sainte-Geneviève, à proximité de l’actuelle place du Panthéon et de nos universités présentes Panthéon-Sorbonne Panthéon-Assas, Sorbonne-Nouvelle-Paris III et Paris IV Sorbonne.

     

     

    43. Maître et écoliers au Moyen Âge.

                                 43. Maître et écoliers au Moyen Âge. 

     

    Faute d’argent pour acheter ou construire des locaux, les maîtres des écoles installées sur la Rive gauche de la Seine dispensaient leurs enseignements chez eux, dans des maisons particulières qu’ils louaient à plusieurs, ou même, dans les champs ou dans la rue (ce dessin nous rappelle que les maîtres des écoles de la Montagne Sainte-Geneviève donnaient souvent leurs leçons en plein air).

     

     

    44. La rue du Fouarre sur le plan de Turgot (1739).

                   44. La rue du Fouarre sur le plan de Turgot (1739).

     

    Un exemple authentique de cours en plein air est donné avec la rue des Écoliers ou de l’Escole, renommée, vers 1300, rue du Fouarre (Vicus Stramineus), précisément en raison des bottes de pailles sur lesquelles les écoliers s’asseyaient pour suivre les cours (le mot fouarre ou feurre était synonyme de paille ou fourrage).

     

     

    45. La rue du Fouarre en 1866 (photographie de Charles Marville)

         45. La rue du Fouarre en 1866 (photographie de Charles Marville).

     

    La rue du Fouarre existe encore aujourd’hui, mais les très nombreux collèges qui y étaient installés au Moyen Âge ont disparu comme le collège de la nation de Picardie. En 1304, Dante fréquenta l’un d’entre eux sous la férule du philosophe Siger de Brabant. Dans La Divine Comédie, il écrit : «  C’est l’éclat éternel de Siger, qui jadis, lisant rue au Fouarre, avait syllogisé des vérités d’où vint l’aliment à l’envi ».  Et, de manière plus triviale, Rabelais, dans son Gargantua et Pantagruel, raconte : « Et d’abord, rue du Fouarre, il soutint ses thèses contre tous les professeurs, étudiants et orateurs, et les mit tous le cul par terre ».

     

     

    46. Un maître et ses étudiants au Moyen Âge (gravure de Lara, dessin de Mettais, 1880).

    46. Un maître et ses étudiants au Moyen Âge (gravure de Lara, dessin de Mettais, 1880).

     

    Beaucoup d’écoliers étaient des adolescents, âgés de treize ans ou quatorze ans. Quelques uns étaient encore des enfants de dix ans à peine. Ils étaient logés chez l’habitant moyennant le paiement d’un loyer (le propriétaire sera plus tard soumis à un impôt sur les loyers). Parfois encore, les écoliers étaient hébergés, moyennant argent, chez leurs propres maîtres, lesquels aimaient également accueillir les fils de leurs collègues.

     

     

    47. Le jeune mendiant (gravure Hotelin dessin Pauquet d'aprés Reynolds 1854)

     

    47. Le jeune mendiant (gravure Hotelin dessin Pauquet d'aprés Reynolds 1854)

     

    Quant aux écoliers pauvres, ils durent attendre la fin du  XIIème siècle pour avoir le gite et le couvert dans des hospitia et des collèges du Quartier latin, fondés par de riches particuliers (par exemple, en 1256, le collège de la Sorbonne : v. rubrique IX : La fondation de la Sorbonne). Un contemporain de Philippe-Auguste (1165-1223), a retracé la vie de l’un de ces escholiers démunis illustrant parfaitement les mots de Rabelais : « Faulte d'argent, c'est douleur sans pareille ».

     

     « Je devrais, écrit un de ces pauvres hères, passer mon temps à suivre des cours, mais la pauvreté m'oblige à aller aux portes des ecclésiastiques. J'en suis réduit à crier vingt fois de suite : La charité, mes bons seigneurs! et l'on me répond le plus souvent : Va-t'en avec Dieu ! Je me transporte dans les maisons des laïques : on me repousse avec force cris, et, quand on me dit, par hasard : Attends un peu, je reçois un morceau de pain détestable dont les chiens ne voudraient pas. Les mendiants de profession obtiennent, plus souvent que moi, les mauvais légumes, les peaux et les chairs qu'on ne peut pas mâcher, les boyaux qu'on jette, le vin avarié. La nuit, je cours à travers la ville, tenant d'une main un bâton, et de l'autre une besace et une gourde : le bâton, pour me défendre contre les chiens; la besace, pour recueillir les débris de poisson, de pain et de légumes, et la gourde pour prendre de l'eau. Souvent, il m'arrive de tomber dans la boue, […], et c'est ainsi que je rentre chez moi, tout souillé, pour satisfaire, avec les restes qu'on m'a jetés, un estomac qui aboie. »

     

     

    48. Erasme à Paris : étudiant et répétiteur

                                48. Erasme à Paris : étudiant et répétiteur

     

    Ancêtres de nos étudiants boursiers et salariés, les écoliers sans-le-sou  devaient se débrouiller pour gagner un peu d’argent leur permettant non seulement d’être logés et nourris, mais aussi de rémunérer leurs maîtres notamment pour avoir le droit de passer les examens. Un exemple notoire, bien que plus tardif, en est donné avec Erasme. Parallèlement à ses études de doctorat de théologie à l’Université de la Sorbonne de 1495 à 1499, il devait gagner sa vie comme précepteur au Quartier latin, en plein air. Au fond de cette chromo, le dessinateur a représenté les deux églises qui dominaient à cette époque la montagne Sainte Geneviève : l’église Sainte Etienne et l’abbaye Sainte-Geneviève. Elles sont reconnaissables grâce à la vieille estampe présentée dans cette rubrique sous le n° 42.

     

    49. couverture de Maul Merwart pour une revue publiée à l’occasion de la Mi-Carême 1986

    49. De l’origine du nom Quartier Latin  (couverture de Maul Merwart pour une revue publiée à l’occasion de la Mi-Carême 1986).

     

    Dans ces premières écoles de la Rive gauche, les enseignements étaient donnés exclusivement en latin, la langue courante des maîtres et écoliers, devenue langue officielle jusqu’en 1793. C’est la raison d’être du nom « Quartier Latin » ! Sur ce dessin, un étudiant de la Belle Epoque porte la faluche, coiffe traditionnelle des étudiants qui avait été introduite en France en 1888 en remplacement de la toque doctorale du Moyen Âge. 

     

    50. Un acte notarié en latin au Moyen âge

                            50. Un acte notarié en latin au Moyen âge 

      

    Le latin était également la langue écrite utilisée au XIIème siècle par l’église, les gens de justice dans les actes officiels, et les maîtres des écoles dans leurs écrits consacrés au droit canonique et au droit romain (v. rubrique VII : L’enseignement du droit canonique et du droit romain au XIIème siècle).