• XV. Refus de Cujas d’une chaire à l’Université de Paris en 1576

     

     

    XV. Refus de Cujas d’une chaire à l’Université de Paris en 1576

             

           106. Le Corpus Juris Civilis, objet du droit civil ou romain dont l’enseignement fut interdit à Paris de 1219 à 1679. Les amateurs éclairés peuvent consulter et télécharger en PDF le Corpus Juris Civilis, dans sa traduction française, sur le Portail Numérique d’Histoire du Droit : (http://www.histoiredudroit.fr/corpus_iuris_civilis.html). 

     

                       L’enseignement du droit civil, à savoir des éléments de droit romain, réunis, au VIème siècle, à l’initiative de l’empereur Justinien dans le Corpus juris civilis (Codex lustinianus ; Digeste ; Institutes ; Novelles),  avait été interdit à Paris, en 1219, par la décrétale Super speculam d’Honorius III (v. chapitre X: La Faculté de Décret de la Sorbone). Aussi, les jeunes escholiers de l’Université de Paris, qui se destinaient à l’avocature ou désiraient acquérir une charge de juge, devaient-ils étudier le droit civil, aussi appelé droit romain, en province (v. chapitre XI: Les étudiants de Paris à l’Université des Lois d’Orléans), ou à l'étranger (v. chapitre X précité).

     

     

    Jacques Cujas (1522-1590). Gravure ancienne

          107. Jacques Cujas (1522-1590). Gravure ancienne (gallica.bnf.fr)

     

           Au XVIème siècle, Jacques Cujas (son vrai nom était Jacobus Cujaüs), l’un des plus grands jurisconsultes français, surnommé « le prince des romanistes », était un professeur de droit civil ou romain, qui dispensait ses enseignements dans les meilleures universités (Toulouse, Cahors, Bourges, Valence, et Turin). L’Université de Paris lui offrit une chaire de droit après que Parlement eut levé, en sa faveur, l’interdiction d’enseigner le droit civil à Paris. Mais Jacques Cujas refusa cette chaire de droit, ainsi que celle que lui offrait le pape Grégoire XIII à l’Université de Bologne.  

                                                                                                                      Voici l’arrêt du Parlement de Paris du 2 avril 1576 qui leva l’interdiction d’enseigner le droit civil dans la capitale en faveur de Jacques Cujas. Cet arrêt, qui ne se trouve imprimé nulle part, est tiré du Registre du Conseil contenant les arrêts rendus depuis le 27 janvier jusqu’au 18 avril 1676. En saisissant le texte, j’ai conservé l’orthographe de l’époque notamment la lettre « f » à la place de la lettre « s ». Cela donne, par exemple, Univerfité au lieu d’Université. Les pluriels sont aussi étonnants : régent au singulier, régens au pluriel !

     

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                          ARREST DE LA COUR DE PARLEMENT

     

    Qui permet à Jacques Cujas, Docteur-Régent en Droit Civil en l’Univerfité de Bourges, de faire des lectures en Droit Civil en l’Univerfité de Paris, et d’y donner les Degrés avec les Docteurs-Régens en Droit Canon.

     

               Du 2 avril 1576

     

    Extrait des Registres de Parlement

     

    Sur ce que le Procureur Général du Roi a remontré à la Cour que Monsieur Jacques Cujas, Docteur-Régent en Droit Civil en l’Univerfité de Bourges, s’eft depuis peu de tem en ça, en cette ville de Paris, fuivant le commandement du Roi, pour les troubles qui font de préfent audit Bourges, & d’autant que ledit Cujas eft (comme la Cour fçait) Perfonnage de grande & fingulière doctrine et condition, & qu’il y a plufieurs jeunes hommes de bonne Maifon, tant de ceux qui l’ont fuivi de ladite ville de Bourges que autres, lefquels pour le danger du tems & des Chemins n’ofent aller aux autres Univerfités. A ces causes a fupplié la Cour, vû les troubles qui font a préfent en ce Royaume, vouloir permettre audit Cujas la lecture publique en Droit Civil, fuivant même le commandement qu’en fait le Roi audit Cujas, & fans néanmoins que cela puisse être tiré a conféquence pour les autres faculté de cette Ville de Paris, ni aux autres Univerfités de ce Royaume, ou autrement y être pourvu comme la Cour le fçaura faire par fa prudence, la matière mife en délibération, & tout confidéré :

    La dite Cour, Attendu la qualité du tems, & fans tirer à conféquence, à permis et permet audit Cujas faire lecture et profeffion en Droit Civil en l’Univerfité de Paris, à tels jours et heures qu’il fera par lui avifé, avec les Docteurs-Regens en Droit Canon en cette Ville ; permettant audit Cujas & Docteurs donnés les Degrés à ceux qu’ils trouveront avoir fait Cours le tems requis ; & felon que par l’examen ils les auront trouvé capables : validant ce qui aura été fait en cette part, comme fi fait avoir été en l’une des autres Univerfités fameufes de ce Royaume.

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    La cité de Bourges au Moyen Âge

                                    108. La cité de Bourges au Moyen Âge

     

       Jacques Cujas préféra retourner à Bourges, suivi de nombreux de ses étudiants qui le vénéraient. L’Université de Bourges, dont la création avait été décidée en 1463 par le roi Louis XI (lui-même né à Bourges en 1423), puis autorisée, le 12 décembre 1464, par le pape Paul II, fut effective vers 1470. Cette Université était surtout spécialisée dans l’enseignement du droit civil ou romain.

     

     

     

    Portrait d'Andrea Alciato (1492-1550) par Ambrosius Benson

    109. Portrait d'Andrea Alciato (1492-1550) par Ambrosius Benson (musée des Beaux-Arts d'Angers).

     

         C’est notamment sous l’influence d’un professeur de renom, Andrea Alciato ou Alciati, dit Alciat, arrivé à Bourges en 1529, que la Faculté de Droit de l’Université de cette ville avait mis en place une nouvelle manière d’enseigner le droit romain, connue sous le nom d’humanisme juridique (Andrea Alciato fut également professeur de Droit romain à Avignon, Bourges, Milan, Pavie, Bologne et Ferrare). 

     

     

     

    Livre d’Emblèmes d’Andrea Alciato

    110.  Livre d’Emblèmes d’Andrea Alciato (édition italienne, 1549. Bibliothèque municipale de Lyon). Andrea Alciato avait introduit dans ses méthodes d’enseignement les livres d’Emblèmes (Emblematum Liber de Alciato), en vogue depuis le XVème siècle dans la littérature populaire. Chaque emblème se compose, d’une part, d’un titre sous forme d’un proverbe, d’une maxime, d’un adage ou d’une courte règle de droit, d’autre part, d’une image (gravure sur bois ou métal) en relation avec le titre, enfin, d’un texte explicatif où l’auteur décrit l’image en relation avec le titre et donne une leçon (Hum, Hum,…, j’ai quand même l’impression que mon blog « Nos facultés de Droit » en images et cartes postales anciennes est un lointain héritier de ce genre).

     

      La notion d’humanisme juridique est très difficile à comprendre et plus encore à expliquer (surtout pour l’auteur de ces lignes après plusieurs tentatives infructueuses au brouillon !). En peu de mots, il s’agissait d’enseigner les lois romaines en considération de l’évolution historique, en rétablissant pour chacune d’elles leur version d’origine (pour une approche plus sérieuse, je vous invite à lire l’article, consultable et téléchargeable en free access, du professeur Patrick Gilly de l’Université de Montpellier : « Humanisme juridique et science du droit au XVème siècle » : https://www.yumpu.com/fr/document/view/16715528/humanisme-juridique-et-science-du-droit-au-xv-siecle). 

     

     

    XV. Refus de Cujas d’une chaire à l’Université de Paris en 1576

                111. Portrait de Jacques Cujas (peinture anonyme, vers 1564).

     

       Jacques Cujas, souvent présenté comme le plus grand humaniste juridique français, avait déjà enseigné à l’Université de Bourges, en 1556 et 1557, puis de nouveau de 1560 à 1566. C’est donc bien naturellement qu’il refusa le poste de professeur de droit romain que lui offrait l’Université de Paris pour revenir enseigner à Bourges où il termina sa carrière (1575-1590).

        Il fallut attendre le XVIIIème siècle pour que des professeurs de la Faculté de Droit de Paris introduisent, à leur tour, la méthode historique dans leurs enseignements du droit romain. Il s’agissait de Claude-Joseph de Ferrière (1666-1747), Jean Dugono (décédé entre 1722 et 1732), et Mathieu-Antoine Bouchaud (1719-1804).

     

     

    Maison de Jacques Cujas à Bourges, aujourd’hui Musée

    112. La maison de Jacques Cujas à Bourges, devenue Hôtel Cujas, puis aujourd’hui Musée.

     

          De retour à Bourges, en 1575-1576, Jacques Cujas y acheta cette belle maison où il demeura jusqu’à sa mort en 1590. 

     

    à suivre...