• Pierre Cavellat : Un Haut Magistrat, dessinateur judiciaire

     

     

     

    Pierre Cavellat : Un Haut Magistrat, dessinateur judiciaire

    1 Dessin de Pierre Cavellat (couverture de l’ouvrage d’Annick Le Douget, une ancienne greffière du tribunal de Quimper et historienne de la justice du Finistère, intitulé : « Gens de justice et scènes de prétoire sous le regard d’un magistrat : Pierre Cavellat ». Publié, en 2017, sous l’égide de la « Société des Amis de Louis Le Guénnec »).

     

    « Le droit mène à tout. » Cette expression plaisante peut être illustrée avec Pierre Cavellat (4 déc. 1901-17 août 1995). Car en effet, cet ancien étudiant en droit, une fois devenu magistrat du siège, multiplia les dessins et les peintures représentant des scènes d’audiences de tribunaux. 

     

            Dans la famille des peintres de scènes de justice… Il rejoignit ainsi, dans ce genre artistique juridico-judiciaire, d’autres dessinateurs et/ou peintres comme Honoré Daumier (26 févr. 1808-10 févr. 1879), Paul Elie Salzedo (7 févr. 1842-26 déc. 1909), Jean-Louis Forain (23 octobre 1852-11 juill. 1931), et Pierre Savigny de Belay (12 déc. 1890-30 juin 1947), lesquels n’étaient qu’artistes peintres.

     

         J’ai déjà consacré plusieurs pages, dans la rubrique « Droit artistique », à Paul Elie Salzedo, Jean-Louis Forain et Pierre Savigny de Belay. Bientôt, j’y présenterai les dessins de scènes de justice de Jean-Jacques Grandville (1803-1847) et les caricatures des gens de justice d’Honoré Daumier, l’un des plus grands peintres du XIXème siècle.  Ce dernier, ancien saute-ruisseau d’une étude d’un huissier de justice de Paris (à l’âge de douze ans), avait en horreur les juges et les avocats depuis sa condamnation, à l’âge de vingt-quatre ans, à six mois de prison pour certaines de ses premières caricatures politiques (il fut incarcéré à la prison de Sainte-Pélagie). 

     

     

     

     

    Pierre Cavellat : Un Haut Magistrat, dessinateur judiciaire

    2 Pierre Cavellat, jeune magistrat dans les années 1930 (source : maville par Ouest-France, 28 avril 2020.

    https://brest.maville.com/actu/actudet_-quimper.-un-magistrat-au-joli-coup-de-crayon_dep-4084638_actu.Htm)

     

        Pierre Cavellat, bien moins célèbre qu’Honoré Daumier, connaissait sans doute beaucoup mieux que lui le droit et la justice. Qu’on en juge de droit :

         

        Un étudiant de la Fac’ de Droit de Rennes… Fils d’un notaire à Taulé (département du Finistère en Bretagne), devenu juge de paix à Morlaix (nord-est du département du Finistère), le jeune Pierre Cavellat, après ses études secondaires au collège de garçons de Kernéguès à Morlaix, s’inscrivit, en 1920, à la Faculté de Droit de Rennes (première Faculté créée, en 1460 à Nantes, puis installée à Rennes en 1735, devenue Faculté de droit et de science politique de l’Université de Rennes 1). Il y soutint, en avril 1928, une thèse de doctorat de droit, non pas sur les cormorans de Bretagne, mais sur « Les comourants ». Ce terme juridique, inconnu du Littré, évoque la situation de deux personnes qui, ayant la qualité de successibles entre elles, décèdent simultanément, par exemple dans un accident de voiture. Les thésards en droit ayant opté pour ce sujet recherchent alors l’ordre des successions des héritiers respectifs des comourants, lesquels ont certes beaucoup de chagrin, mais aussi des envies d’argent.  

     

       devenu un Haut Magistrat. En 1929, Pierre Cavellat entra dans la magistrature comme juge suppléant dans le ressort de la Cour d’appel de Rennes. Puis il devint juge à Quimper en septembre 1930, et à Saint Nazaire en juin 1934 où il réalisa « sous la robe ou le manteau » plus de 600 croquis de procès (selon sa fille, Anne Hecquet, il dessinait lorsqu’il était assesseur et non lorsqu’il présidait). Il fut nommé successivement : en juin 1936, président du tribunal de Châteaulin ; en avril 1942, président du tribunal de Fougère ; en novembre 1947, président du tribunal de Saint-Brieuc ; en avril 1948, président du tribunal d’Angers ; et en octobre 1949, président du tribunal de Nantes. En juin 1956, il fut Premier Président de la Cour d’appel de Besançon, et, en décembre 1956, Premier Président de la Cour d’appel de Caen, fonction qu’il assuma jusqu’à sa retraite en 1968/1969. 

     

     

     

     

     

    Pierre Cavellat : scène d’audience du tribunal de Quimper

    3. Pierre Cavellat : scène d’audience du tribunal de Quimper (encre et aquarelle sur papier. Source précitée : maville par Ouest-France, 28 avril 2020. © Pierre Cavellat).

         

        Voici maintenant quelques uns des dessins et peintures de Pierre Cavellat représentant des scènes de tribunaux (la plupart sont exposés au musée de Morlaix et à celui départemental breton de Quimper, lesquels présentent également plusieurs toiles de scènes de tribunaux de Pierre Savigny de Belay). Comme pour les autres peintres présentés dans la rubrique « droit artistique », je m’abstiendrai de tout commentaire artistique, faute de connaissances picturales. Toutefois, je vous invite à consulter le dossier de presse, en fichier PDF librement accessible en ligne, élaboré avec compétence par le Musée de Morlaix en 2015 à l’occasion de l’exposition consacrée à Pierre Cavellat, dans ce même musée, du 13 juin au 11 octobre 2015 (le musée départemental Breton de Quimper consacra également une exposition à Pierre Cavellat, du 12 novembre 2006 au 25 février 2007). En voici le lien :

    https://musee.ville.morlaix.fr/wp-content/uploads/2015/05/DP_2015_cavellat.pdf

     

     

     

     

    Pierre Cavellat : le public d’un procès d’assises à Quimper, DÉFENSE DE CRACHER

    4. Pierre Cavellat : le public d’un procès d’assises à Quimper, DÉFENSE DE CRACHER (encre et aquarelle sur papier, vers 1930-1934. © Pierre Cavellat. Source : maville par Ouest-France, 23 octobre 2020. https://brest.maville.com/actu/actudet_-recit.-a-quimper-les-dernieres-avorteuses-acquittees-aux-assises-_loc-4345190_actu.Htm)

     

     

     

     

    Pierre Cavellat : Me Alizon et Me Le Ninivin, les avocats de Corentin Le Pape aux assises

    5. Pierre Cavellat : Me Alizon et Me Le Ninivin, les avocats de Corentin Le Pape aux assises (encre et aquarelle sur papier. 1940. © Pierre Cavellat).

     

     

        L’affaire Corentin Le Pape. Maître Alizon et Maître Le Ninivin, deux ténors des barreaux de Quimper et de Nantes, eurent à assurer, en 1940, devant la Cour d’Assises du Finistère (Quimper), la défense de Corentin Le Pape, un garçon-épicier, jusque là connu pour son penchant pour la boisson. Il était poursuivi pour avoir, en état d’ivresse, dans la soirée du 1er août 1939, fracturé le crane de son épouse d’un coup de manche à balai, et étranglé celle-ci avec une ficelle, avant de jeter son corps dans la rivière de l’Odet où il fut découvert le lendemain par un gamin de douze ans. Pour sa défense, il admit avoir porté le coup de bâton, mais rejeta sur son neveu et sa belle-mère l’étranglement de son épouse et le jet du corps de celle-ci dans la rivière. Lors des assises, ses avocats défendirent la thèse du suicide de la femme de Corentin Le Pape. Sans grand succès, puisque Corentin Le Pape fut condamné à dix ans de réclusion criminelle, le 18 avril 1940.

     

     

     

     

     

     

     

    Pierre Cavellat : Un Haut Magistrat, dessinateur judiciaire

    6. Pierre Cavellat : l’Âne et le Perroquet (Huile sur papier. Archives départementales du Calvados. Source : https://musee.ville.morlaix.fr/wp-content/uploads/2015/05/DP_2015_cavellat.pdf)

     

     

    « À la fourche, on reconnaît le paysan, au bec l’avocat » (proverbe). Le perroquet représente souvent, dans les dessins ou écrits humoristiques, un avocat qui peut parler sans toujours comprendre ce qu’il dit ou répéter des choses apprises par cœur sans même les comprendre :

    http://droiticpa.eklablog.com/droit-et-justice-chromos-publicitaires-anciens-4-a205292870

     

    « Malin comme un âne » ; « Bête comme un âne » (expressions populaires). Mais Pierre Cavellat ajoute à sa peinture, derrière les juges revêtus de leur robe rouge d’usage dans les affaires criminelles, un autre symbole des animaux avec l’âne.

     

        Ceux qui aiment les juges rappelleront que l'âne est le symbole d'humilité, de patience, d'ascétisme, de dévotion, de courage, de persévérance, voire un sacré malin, maître et éveilleur de conscience. 

     

       Ceux qui, au contraire, abhorrent les juges rétorqueront que l’âne est le symbole de la bêtise, de l’ignorance, de l’entêtement, et que comme, tous les imbéciles, ils apprécient la compagnie d’autres imbéciles (Asinus Asinum fricat : « l'âne frotte l'âne »). 

     

       Quant aux citations animalières les plus drôles sur les gens de justice, voici celle d’un avocat pénaliste devenu Ministre de la Justice, garde des Sceaux :

    « Je ne vais pas faire semblant de chanter les louanges de la magistrature : je me méfie de son corporatisme, de sa frilosité, de la détestation qu’elle voue au Barreau (les avocats). Pourtant, il existe de grands juges ; c’est le troupeau qui est petit » (Eric Dupont-Moretti. Bête noire : condamné à plaider. 2012. Michel Lafon).

     

     

     

     

     

    Pierre Cavellat : Gens de justice d’après « La parabole des aveugles » de Pieter Brueghel l’Ancien

    7. Pierre Cavellat : Gens de justice d’après « La parabole des aveugles » de Pieter Brueghel l’Ancien (Huile sur papier. Archives départementales du Calvados. Source :

    https://musee.ville.morlaix.fr/wp-content/uploads/2015/05/DP_2015_cavellat.pdf)

     

     

      Cette peinture à l’huile sur papier représente des magistrats sortant du tribunal. Au dessus d’eux volent des papillons symboles du changement et de la transformation personnelle (renouvellement, autre manière de voir les choses, trouver la joie dans la vie et la légèreté de l’être…). Pierre Cavelat s’inspire directement d’un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, réalisé en 1568 : « La paraboles des aveugles ». 

     

     

     

    Pieter Brueghel l’Ancien : « La parabole des aveugles » (Peinture sur toile, détrempe. 1568. Musée de Capodimonté de Naples)

    8. Pieter Brueghel l’Ancien : « La parabole des aveugles » (Peinture sur toile, détrempe. 1568. Musée de Capodimonté de Naples).

     

        La scène et le titre du tableau de Brueghel, repris par Pierre Cavellat pour symboliser nos magistrats, faisaient eux-mêmes référence à la parabole du Christ adressée aux Pharisiens : « Laissez-les. Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or, si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse » (Mt 15, 14 ; Lc 6, 39).