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    Jean de La Fontaine (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900)

    1. Jean de La Fontaine (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900).

     

     

        La Fontaine, un étudiant en droit, devenu avocat au Parlement de Paris... Bien peu de gens savent que Jean de La Fontaine, le plus célèbre fabuliste du XVIIème siècle, se rendit à Paris, pour étudier le droit, entre 1645 et 1647, en compagnie de deux autres jeunes gens : François de Maucroix (1619-1708), et Antoine Furetière (1619-1688). Tous trois, parallèlement à leurs études, fréquentaient un cercle de jeunes poètes juristes, les « Chevaliers de la Table Ronde », du nom d’un cabaret du Quartier Latin où ils aimaient se retrouver (ils y composèrent leurs premiers vers). Une fois diplômés de droit, ils débutèrent une carrière d’hommes de lois qu’ils abandonnèrent, les uns après les autres, pour la littérature.

     

       C’est ainsi que La Fontaine acquit, en 1649, le titre « d’avocat en la cour de Parlement », puis en 1652, il acheta une charge de maître particulier triennal des Eaux et Forêts du duché de Château-Thierry, avant d’hériter, à la mort de son père, en 1658, de deux charges, maître ancien et capitaine des chasses, qu’il exerça sans enthousiasme. Étant entré au service de Nicolas Fouquet (1615-1680), surintendant des Finances de Louis XIV, il obtint de celui-ci une « pension poétique », qui lui permit de donner libre cours à sa vocation littéraire (lorsque Fouquet tombera en disgrâce royal, La Fontaine sera entretenu par diverses dames de Paris). 

     

     … auteur de fables juridico-judiciaires ! Je retiendrai 8 fables de La Fontaine (sur plus de 243 publiées en 1668, 1678 et 1679), qui évoquent son scepticisme à l’égard du droit et des gens de justice (juges, avocats…). Bien moins connues que « Le Corbeau et le Renard », ou la « Cigale et la Fourmi », ces fables sont parfois difficiles à comprendre pour tous ceux qui ne sont pas diplômés de Normal Sup’. C’est pourquoi je les accompagnerai d’un bref mode d’emploi (Dis, Pourquoi ?), accompagné d’illustrations anciennes (Jean-Jacques Grandville, Jean-Baptiste Oudry, François Chauveau, Gustave Doré …). Je les mettrai en ligne, une tous les trois jours, jusqu'au 25 janvier inclus.

     

              L’Huître et les Plaideurs (1/8)

               L’âne portant des reliques (2/8)

               Les animaux malades de la peste (3/8) 

               Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (4/8)

               Les Frelons et les Mouches à miel (5 /8) 

               Le Chat, la Belette, et le petit Lapin (6/8) 

              Testament expliqué par Esope (7/8)

     

               Le Juge arbitre, l'Hospitalier, et le Solitaire (8/8) 

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine; illustrée par  J.J. Granville

    2 L'Huître et les Plaideurs (Livre IX, fable 9). Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Editeur Garnier frères (Paris, impr.). Source : Bibliothèque nationale de France, http://gallica.bnf.fr/ 

     

     

    L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS

     

    Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent
    Une Huître, que le flot y venait d'apporter :
    Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
    A l'égard de la dent il fallut contester.
    L'un se baissait déjà pour amasser la proie ;
    L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
    Qui de nous en aura la joie.
    Celui qui le premier a pu l'apercevoir
    En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
    — Si par là l'on juge l'affaire,
    Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
    — Je ne l'ai pas mauvais aussi,
    Dit l'autre ; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
    — Eh bien! vous l'avez vue ; et moi je l'ai sentie. »
    Pendant tout ce bel incident,
    Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
    Perrin, fort gravement, ouvre l'Huître, et la gruge,
    Nos deux Messieurs le regardant.
    Ce repas fait, il dit d'un ton de président :
    « Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
    Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. »

    Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
    Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles,
    Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
    Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.
     

     

     

     

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs d’après une gravure de Gustave Doré

    3. L’Huître et les Plaideurs (chromo Solution Pautauberge d'après une gravure de Gustave Doré).

     

     

      Dis, Pourquoi ? La fable « L’Huître et les Plaideurs » met en scène deux pèlerins qui trouvent une huître au bord de la mer. Ils se disputent pour savoir qui va la déguster. C’est alors que survient Perrin Dandin qu’ils prennent pour juger leur différend. Celui-ci avale l’huître et donne à chacun des pèlerins une simple écaille avant de les congédier (donner à quelqu’un son sac et ses quilles signifie l’inviter à prendre ses cliques et ses claques). Ainsi cette fable présente-t-elle une satire à la fois des hommes et de la justice : les hommes qui se chicanent pour des futilités ; la justice qui se moque des hommes en prenant leur argent et en rendant des décisions injustes.

     

     

     

     

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine

                  4 Couverture du cahier appartenant à l’élève Tropdanslalune (année 1912)

     

     

      Dis, comment ça s’écrit huître ?  En orthographe, il faut mettre un accent circonflexe (petit chapeau pointu) sur le « i ». Cet accent remplace le « s » des anciens mots oistre (fin du XIIème siècle), puis huistre (du XVème au XVIIème siècle), issus du latin ostrea ou ostreum, qui vient du grec ὄστρεον.

     

     

     

     

     

     

    L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine

                                            5 L’huître et les plaideurs (Blédine et Blécao).

     

     

     

      En images, c’est encore mieux ! De nombreux commerces, à la Belle Epoque, ont fait éditer par des imprimeurs lithographes des images pour enfants représentant la fable L’Huître et les Plaideurs, tantôt avec le texte complet de celle-ci au verso,…

     

     

     

     

     

       Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent Une Huître, que le flot y venait d'apporter : Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ; A l'égard de la dent il fallut contester. L'un se baissait déjà pour amasser la proie ; L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie. Celui qui le premier a pu l'apercevoir En sera le gobeur ; l'autre le verra faire. — Si par là l'on juge l'affaire, Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci. — Je ne l'ai pas mauvais aussi, Dit l'autre ; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie. — Eh bien! vous l'avez vue ; et moi je l'ai sentie. » Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge. Perrin, fort gravement, ouvre l'Huître, et la gruge, Nos deux Messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit d'un ton de président : « Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille. »  Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ; Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles, Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui, Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

     

     

     

     

     L’Huître et les Plaideurs, fable de Jean de La Fontaine

     

     

     

     

     

     

     

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    6.1 et 6.2. L’huître et les plaideurs (chromo or, Vieillemard et fils, imprimeurs lithographes, 16 rue de la Glacière à Paris. 1887).

     

    … tantôt avec le texte de la fable au verso pour permettre une plus grande illustration au recto,…

     

     

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

                               7. L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

     

     

     

    …tantôt en une série de six chromolithographies. Dans la mesure où une seule des images de la série était remise gratuitement lors du passage des clientes à la caisse des magasins, celles-ci, harcelées par leurs enfants, plus amateurs de chocolats que de soupes, étaient obligées de revenir faire leurs courses dans le même magasin pour espérer réunir la série complète.

     

     Voici donc la série complète de six chromos édités, dans les années1900, par la célèbre Cie Liebig spécialiste des bouillons en cube à l’extrait de viande.

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).          

           7.1. Deux pèlerins rencontrent une huître sur le sable

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

              7.2. Chacun des deux pèlerins la désire avidement

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

              7.3. Une discussion s'engage à ce propos

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

               7.4. Perrin Dandin survient pendant cet incident

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

               7.5. Pris pour juge, Perrin gravement ouvre l'huitre et la gruge

     

     

     

     

    L’huître et les plaideurs (chromo Cie Liebig. Série de six).

              7.6. Après ce repas, Perrin donne une écaille* à chacun.

     

    *Ecaille se dit de la coque dure qui couvre l’huître, d’où le mot écailler pour désigner celui qui ouvre et vend des huîtres.

     

     

     

     

     

    Boileau, dit Despréaux (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900).

    8. Boileau, dit Despréaux (CPA des frères Étienne et Antonin Neurdein [ND ou ND phot.]. Circa 1900).

     

           

             Pour conclure, je rappellerai que la fable L'Huître et les Plaideurs de La Fontaine a été écrite, en 1671, donc deux années après le texte de Boileau également appelé L'Huître et les Plaideurs que l'on trouve dans son Epitre II dédié à l'abbé des Roches : 

     

     

    … Retiens bien la leçon que je te vais rimer.
    Un jour, dit un auteur, n’importe en quel chapitre,
    Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une huître.
    Tous deux la contestaient, lorsque dans leur chemin
    La Justice passa, la balance à la main.
    Devant elle à grand bruit ils expliquent la chose,
    Tous deux avec dépens veulent gagner leur cause.
    La Justice, pesant ce droit litigieux,
    Demande l’huître, l’ouvre, et l’avale à leurs yeux,
    Et par ce bel arrêt terminant la bataille :
    Tenez, voilà, dit-elle, à chacun une écaille.
    Des sottises d’autrui nous vivons au Palais.
    Messieurs, l’huître était bonne. Adieu. Vivez en paix.

     

     


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    L’âne portant des reliques fable de Jean de La Fontaine. J.J. Grandville

    1 L'âne portant des reliques (Livre V, 14). Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Editeur Garnier frères (Paris, impr.). Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-YE-453. http://gallica.bnf.fr/ 

     

     

     

    L'ÂNE PORTANT DES RELIQUES


    Un Baudet, chargé de Reliques,
    S'imagina qu'on l'adorait.
    Dans ce penser il se carrait,
    Recevant comme siens l'Encens et les Cantiques.
    Quelqu'un vit l'erreur, et lui dit :
    Maître Baudet, ôtez-vous de l'esprit
    Une vanité si folle.
    Ce n'est pas vous, c'est l'Idole
    A qui cet honneur se rend,
    Et que la gloire en est due.
    D'un Magistrat ignorant
    C'est la Robe qu'on salue.
     

     

     

     

    L’âne portant des reliques / illustration Edmond Malassis.1930 

         2 L’âne portant des reliques (illustration Edmond Malassis.1930)  

     

    Dis, Pourquoi ? « D'un magistrat ignorant, c'est la robe qu'on salue ». Cela veut dire que les personnes qui se prévalent des qualités qu’elles n’ont pas sont ridicules aux yeux de tous ceux qui les connaissent.

     

     

     

     

    Esope par Tubi. Les Jardins de Versailles, bosquet de l’Arc de Triomphe

    3 Esope par Tubi. Les Jardins de Versailles, bosquet de l’Arc de Triomphe (carte postale ancienne de Léon & Lévy, éditeurs, photographes et imprimeurs, de 1864 à 1913, sous la marque « L.L.).

     

        Cette fable de La Fontaine est inspirée de celle du fabuliste grec, des VIIème-VIème siècles av. J.-C., Esope : « De l’âne qui porte une idole ». Dans sa fable, La Fontaine a remplacé le mot idole par celui de reliques. Les fables d’Esope, en prose, ont été publiées au XIVe siècle par Planude et traduites en latin, en 1610, par Isaac Nicolas de Nivelet. La Fontaine s’est souvent inspiré des fables d’Esope auquel il a rendu hommage dans une dédicace adressée à Louis de France, le fils de Louis XIV, alors âgé de sept ans. Cette dédicace en forme de fable ouvre le Livre I du premier recueil de ses fables (Livre I à VI), édité en 1668.

     

     

      À Monseigneur le Dauphin : 

    Je chante les héros dont Ésope est le père, 

    Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère, 

    Contient des vérités qui servent de leçons. 

    Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons : 

    Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes ; 

    Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.

     

     

     

     

     

     

    L’âne portant des reliques (chromo Chocolaterie Française, Maison Prosper Faÿnel, Lyon. Imprimeur-lithographe Vieillemard) 

     4 L’âne portant des reliques (chromo Chocolaterie Française, Maison Prosper Faÿnel, Lyon. Imprimeur-lithographe Vieillemard)

     

     

     

     

     

     

    L’âne portant des reliques, illustration Quantin

    5 L’âne portant des reliques (chromolithographie éditée par Quantin, 7, rue Saint-Benoit, Paris. Circa 1870). 

     


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    Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Editeur Garnier frère, 1927. Les animaux malades de la peste

    Les animaux malades de la peste (Recueil II, Livre VII). Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Editeur Garnier frères, 1927 (Paris, impr.). Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-YE-453. http://gallica.bnf.fr/

     

     

      À gauche, l’âne, candide, représente un homme pauvre ou de basse noblesse, et, plus généralement, le Peuple ;

     

      Au centre, le lion représente le Roi ;

     

      À droite, le Renard, hypocrite et rusé, représente un courtisan du Roi, tel  un Procureur ;

     

      En haut à droite, une biche sans vie étendue sur le sol représente les animaux morts de la peste;

     

      Au fond sur la gauche, un loup représente le clergé;

     

      À divers endroits, un tigre et des ours représentent des personnes riches. Celles-ci, comme le Renard, font partie de la meute des courtisans du Roi. 

     

     

     

     

     

    Les animaux malades de la peste (chromo Chocolat Guérin-Boutron. Imprimeur-lithographe Vieillemard et ses fils, 16 rue de la Glacière, à Paris. 1887)

    2 Les animaux malades de la peste (chromo Chocolat Guérin-Boutron. Imprimeur-lithographe Vieillemard et ses fils, 16 rue de la Glacière, à Paris. 1887).

     

     

    Épilogue de la fable :

     

    « Selon que vous serez puissant ou misérable
            Les jugements de Cour
    (il s’agit des Cours de justice) vous rendront           blanc ou noir ».

     

           « C'est presque l'histoire de toute société humaine » (Sébastien-Roch Nicolas, dit Chamfort. 1741-1794)

     

     

     

    LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE 

     

    Un mal qui répand la terreur,
    Mal que le ciel en sa fureur
    Inventa pour punir les crimes de la terre,
    La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
    Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
    Faisait aux animaux la guerre.
    Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
    On n'en voyait point d'occupés
    A chercher le soutien d'une mourante vie;
    Nul mets n'excitait leur envie,
    Ni loups ni renards n'épiaient
    La douce et l'innocente proie;
    Les tourterelles se fuyaient:
    Plus d'amour, partant plus de joie.
    Le lion tint conseil, et dit : "Mes chers amis,
    Je crois que le Ciel a permis
    Pour nos péchés cette infortune;
    Que le plus coupable de nous
    Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
    Peut-être il obtiendra la guérison commune.
    L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
    On fait de pareils dévouements :
    Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
    L'état de notre conscience
    Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
    J'ai dévoré force moutons.
    Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense ;
    Même il m'est arrivé quelquefois de manger
    Le berger.
    Je me dévouerai donc, s'il le faut : mais je pense
    Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
    Car on doit souhaiter, selon toute justice,
    Que le plus coupable périsse.
    - Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi ;
    Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
    Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce.
    Est-ce un pêché ? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
    En les croquant, beaucoup d'honneur;
    Et quant au berger, l'on peut dire
    Qu'il était digne de tous maux,
    Etant de ces gens-là qui sur les animaux
    Se font un chimérique empire."
    Ainsi dit le renard ; et flatteurs d'applaudir.
    On n'osa trop approfondir
    Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances
    Les moins pardonnables offenses :
    Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
    Au dire de chacun, étaient de petits saints.
    L'âne vint à son tour, et dit: "J'ai souvenance
    Qu'en un pré de moines passant,
    La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
    Quelque diable aussi me poussant,
    Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
    Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net."
    A ces mots on cria haro sur le baudet.
    Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
    Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
    Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.
    Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
    Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
    Rien que la mort n'était capable
    D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.
    Selon que vous serez puissant ou misérable,
    Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
     

     

     

     

     

     

    Les animaux malades de la peste (Le Don Quichotte, n° 699, Novembre 1887. Illustration de Gilbert-Martin).

    3 Les animaux malades de la peste (Le Don Quichotte, n° 699, Novembre 1887. Illustration de Gilbert-Martin).

     

     

    Dis, Pourquoi ?

     

          Cette fable est une satire dans laquelle son auteur, Jean de La Fontaine, attaque les vices et les ridicules de son temps… 

     

     

     

     

     

    Les animaux malades de la peste (gravure de Pierre Etienne Moitte, d’après un dessin de Jean-Baptiste Oudry

    4 Les animaux malades de la peste (gravure de Pierre Etienne Moitte, d’après un dessin de Jean-Baptiste Oudry. Édition complète des fables de La Fontaine, en quatre tomes, de l’éditeur Desaint & Saillant, rue Saint Jean de Beauvais à Paris, de 1755 à 1759).

     

     

    …D’une part, en critiquant le pouvoir où le Roi (sans doute Louis XIV) et ses courtisans qui s’attribuent tous les droits, au détriment des pauvres.

     

     

     

     

     

     

    Les animaux malades de la peste : « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » (carte postale ancienne. Illustrateur Achille Mauzan, né en 1883, mort en 1953)

    5 Les animaux malades de la peste : « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » (carte postale ancienne. Illustrateur Achille Mauzan, né en 1883, mort en 1953).  

     

     

    … D’autre part, en critiquant la justice qui jugerait non pas le crime, mais le rang social (dans la fable, le Procureur est représenté par le Renard).

     

     

     

     

     

     

    Les animaux malades de la peste (carte postale éditée par Barre-Dayez, illustrée par Starling).

    6 Les animaux malades de la peste (carte postale éditée par Barre-Dayez, illustrée par Starling).

     

     

    … La morale de cette fable est que, entre le riche (dans la fable, les tigres et les ours), et le pauvre (dans la fable, l’âne), le riche a toujours raison, et le pauvre tort. Aussi pour sauver la société ou le pouvoir en place du fléau qui l’accable (dans la fable, la peste), il suffit au Procureur du Roi (dans la fable, le renard), de lui jeter en pâture un innocent (dans la fable, l’âne naïf) à qui l’on attribue injustement tous les malheurs, pour avoir, avec grande honnêteté, avoué une faute sans aucune gravité.

       

     

     

     

     

     

    Le Loup et l’Agneau (carte postale éditée par Barre-Dayez, illustrée par Starling)

    7 Le Loup et l’Agneau (carte postale éditée par Barre-Dayez, illustrée par Starling) 

     

     

      En somme, cette morale reprend celle d’une autre fable de Jean de La Fontaine, Le Loup et l’Agneau, dont le premier vers reprend un dicton populaire : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». 


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    Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (Livre II, IV)

    1. Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (Livre II, IV). Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Editeur Garnier frères, 1927 (Paris, impr.). Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-YE-453. http://gallica.bnf.fr/ 

     

     

       Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe

     

    Un Loup disait que l'on l'avait volé :
    Un Renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,
    Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
    Devant le Singe il fut plaidé,
    Non point par Avocats, mais par chaque Partie.
    Thémis n'avait point travaillé,
    De mémoire de Singe, à fait plus embrouillé.
    Le Magistrat suait en son lit de Justice.
    Après qu'on eut bien contesté,
    Répliqué, crié, tempêté,
    Le Juge, instruit de leur malice,
    Leur dit : "Je vous connais de longtemps, mes amis,
    Et tous deux vous paierez l'amende ;
    Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris ;
    Et toi, Renard, as pris ce que l'on te demande. "
    Le juge prétendait qu'à tort et à travers
    On ne saurait manquer, condamnant un pervers.

     

     

     

     

    Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (Illustration de Gustave Doré – 1876)

    2. Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (Illustration de Gustave Doré – 1876). 

     

      Dis, Pourquoi ?  Il s’agit d’une satire envers la justice. Le juge (dans la fable, le Singe), rend un jugement contradictoire et absurde, car il connaît bien les vices des deux plaideurs et, pour cette raison, il ne se soucie guère de savoir s’ils disent vrai ou faux.

     

     

     

     

    Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (carte postale éditée par Barre-Dayez, illustrée par Starling).

    3 Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (carte postale éditée par Barre-Dayez, illustrée par Starling).

     

      Il a copié ? À l’école, copier, c’est, au lieu de faire son devoir, copier celui d’un camarade. C’est pas bien, c’est un paresseux ! Pour Jean de La Fontaine, c’est tout différent. Copier, pour l’illustre auteur, c’est ce qui fait naître son inspiration. C’est ainsi que, pour sa fable « Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe », il s’est inspiré d’une fable perdue d’Esope « La Mort et le Malheureux », elle-même reprise par Phèdre dans «Le Loup et le Renard plaidant devant le Singe » (Phèdre, Livre I, X, par Névelet et Sacy). La morale de la fable de Phèdre était bien explicite : « On ne croit point le menteur, lors même qu’il dit vrai ».

     

     

     

     

    Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (aquarelle datée 1893. Signature peu lisible en bas à droite Polack, sans doute E. Ferdinand Polack).

    4 Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (aquarelle datée 1893. Signature peu lisible en bas à droite Polack, sans doute E. Ferdinand Polack).

     

     " Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe était une chose à censurer ; mais je ne m'en suis servi qu'après Phèdre ; et c'est en cela que consiste le bon mot selon mon avis " (Jean de La Fontaine). 

     

     

     

     

    Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (gravure tirée d’un dessin de Jean-Baptiste Oudry

    5 Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (gravure tirée d’un dessin de Jean-Baptiste Oudry, de l’ouvrage « LA FONTAINE, Jean de [1621-1695], Fables choisies, mises en vers », édité par Desaint & Saillant, et Durand, en quatre volumes, publiés de 1755 à 1759).

     

     

     

     

    Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (gravure tirée d’un dessin de François Chauveau

    6 Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (gravure tirée d’un dessin de François Chauveau [1613-1676], pour les « Fables choisies mises en vers par M. de la Fontaine », en trois recueils édités, par Claude Barbin et Denys Thierry, de 1668 à 1705). 


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    Les Frelons et les Mouches à miel. La Fontaine et le Droit 5

    1. Les Frelons et les Mouches à miel (Livre I, XXI). Fables de La Fontaine / illustrations par Grandville (1803-1847). Editeur Garnier frère, 1927 (Paris, impr.). Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-YE-453. http://gallica.bnf.fr/ 

     

     

      Cette fable met en scène trois animaux (plus exactement trois hyménoptères) différents : les Frelons et les Abeilles qui sont en litige, revendiquant tous deux être les auteurs de « quelques rayons de miel », et la Guêpe qui est le juge en charge de ce procès.

     

     

     

     

    Les Frelons et les Mouches à miel Illustration de François Chauveau (1613-1676) pour les « Fables choisies mises en vers par M. de la Fontaine », de Claude Barbin et Denys Thierry, Paris, 1668

    2. Les Frelons et les Mouches à miel Illustration de François Chauveau (1613-1676) pour les « Fables choisies mises en vers par M. de la Fontaine », de Claude Barbin et Denys Thierry, Paris, 1668 (premier recueil), 1678-79 (deuxième recueil), 1694 (troisième recueil). Numérotation Charpentier (1705). 

     

     

    ES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL

      

    A l’œuvre on connaît l’artisan.
    Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :
    Des frelons les réclamèrent ;
    Des abeilles s’opposant,
    Devant certaine guêpe on traduisit la chose :
    Les témoins déposaient qu’autour de ces rayons
    Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
    De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
    Avaient longtemps paru. Mais quoi ? dans les frelons
    Ces enseignes étaient pareilles.
    La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
    Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
    Entendit une fourmilière.
    Le point n’en put être éclairci.
    " De grâce, à quoi bon tout ceci ?
    Dit une abeille fort prudente.
    Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
    Nous voici comme aux premiers jours.
    Pendant cela le miel se gâte.
    Il est temps désormais que le juge se hâte :
    N’a-t-il point assez léché l’ours ?
    Sans tant de contredits et d’interlocutoires,
    Et de fatras, et de grimoires,
    Travaillons, les frelons et nous :
    On verra qui sait faire, avec un suc si doux
    Des cellules si bien bâties. "
    Le refus des frelons fit voir
    Que cet art passait leur savoir ;
    Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.
    Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès :
    Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode !
    Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code ;
    Il ne faudrait point tant de frais ;
    Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge,
    On nous mine par les longueurs ;
    On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge,
    Les écailles pour les plaideurs.

     

     

     

    Les Frelons et les Mouches à miel (Gravure de Jean-Charles Baquoy, d’après Jean-Baptiste Oudry, éditions Desaint & Saillant, 1755-1759) 

    3. Les Frelons et les Mouches à miel (Gravure de Jean-Charles Baquoy, d’après Jean-Baptiste Oudry, éditions Desaint & Saillant, 1755-1759). 

     

     

      Dis, Pourquoi ? Des frelons ont dérobé du miel dans la ruche des abeilles. Celles-ci demandent réparation à la justice (dans la fable, la guêpe est le juge). Le procès s’éternise et plus de six mois après moult enquêtes, témoignages et plaidoiries aucune décision n’est rendue. C’est alors qu’une sage abeille propose de mettre les abeilles et les frelons à l’épreuve pour vérifier s’ils savent faire du miel. Les frelons ayant refusé de participer à cette épreuve, on en déduit qu’ils étaient incapables de fabriquer du miel et avaient sans doute volé celui des abeilles. Aussi le juge donne-t-il raison aux abeilles. C’est du moins ce que La Fontaine énonce dans l’un de ses vers, à son habitude, bien énigmatique : « Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties ». (ces parties désignent les abeilles, et non les frelons, par cohérence avec l’ensemble de la fable).

     

     

     

     

    Les Frelons et les Mouches à miel. Cortège des Fables de la Fontaine et de Perrault, en janvier 1942.

    4. Les Frelons et les Mouches à miel. Cortège des Fables de la Fontaine et de Perrault, en janvier 1942.

     

     Cette fable se présente donc comme une satire de la justice qui est longue, compliquée et coûteuse. La morale de la fable est qu'il faudrait, pour les affaires les plus simples, juger selon le bon sens, plutôt que de s'encombrer de procédures compliquées. 

     

     

     

     

     

    Les Frelons et les Mouches à miel (illustration de Percy James Billinghurst, Cent fables de Jean de La Fontaine, 1901).

     5. Les Frelons et les Mouches à miel (illustration de Percy James Billinghurst, Cent fables de Jean de La Fontaine, 1901). 

     

     

     

     

     

     

    Jean de La Fontaine (chromo Gaufrée didactique pour enfants. Circa 1900).

                 6 Jean de La Fontaine (chromo Gaufrée didactique pour enfants. Circa 1900).

     





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