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    En pique nique au Jardin du Luxembourg (1900°

    Jeunes femmes en pique nique au Jardin du Luxembourg (1900).

     

    Dès les premiers jours du printemps, les parisiens, les étudiants et les touristes viennent en masse pique-niquer (et/ou faire bronzette) sur les pelouses impeccables du Jardin du Luxembourg devant le Palais du Sénat. Ce Jardin créé en 1612 par Marie de Médicis est ainsi classé en tête des jardins et squares de la capitale les plus recherchés pour un pique nique (source : site PARIS CityVISION). Il devancerait le square du Vert-Galant, les berges de la Seine, le jardin des Tuileries et le Canal Saint Martin

     

    Mais ce n’est pas un effet de mode contemporaine car, déjà, à la Belle Époque, parents, nounous, enfants et élégantes installaient tables et chaises pour ce plaisir champêtre dans les allées du Jardin du Luxembourg (pour la bronzette, je ne sais pas, mais j’ai comme un doute !).


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    La marchande de ballons du Jardin du Luxembourg (1958)

                  1 La marchande de ballons du Jardin du Luxembourg (1958)

     

    « Fuyez le curieux, car il est toujours indiscret ou bavard » (Citation de Horace : Odes, env. 22 av. J.-C.)

     

     

     

     

     

    Jardin du Luxembourg (photographie d’André Kertéz, 1963)

    Discussion sur un banc du Jardin du Luxembourg (photographie d’André Kertéz, 1963)

     

    « Les bavards préfèrent les malheurs à la joie, parce qu’il y a plus à dire sur la peine que sur le bonheur » (citation de Mary Sarah Newteon : Essais divers, lettres et pensées. 1852).   

     


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    En solitaire au jardin du Luxembourg

        1 Georges Cain au jardin du Luxembourg (circa 1890). Georges Cain est un peintre, illustrateur et écrivain, qui fit conservateur du musée Carnavalet de 1897 à 1919.

     

        Rêveries. « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, & ils ont brisé violemment tous les liens qui m’attachaient à eux. J’aurais aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes. Ils n’ont pu qu’en cessant de l’être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisqu’ils l’ont voulu. Mais moi, détaché d’eux & de tout, que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher. Malheureusement cette recherche doit être précédée d’un coup d’œil sur ma position. C’est une idée par laquelle il faut nécessairement que je passe, pour arriver d’eux à moi » (Jean-Jacques Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, Première promenade. 1776-1778).

     

     

     

    En solitaire au jardin du Luxembourg

                               2 Cher et Vieux Luxembourg. 19 décembre 1900.

     

     « Un seul est toujours de trop autour de moi, ainsi pense le solitaire » (Friedrich. Ainsi parlait Zarathoustra. 1885)

     

     

    En solitaire au jardin du Luxembourg

                                    3 Au Luxembourg, le 6 décembre 1909.

     

     « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains privé d'amour et d'amitié » (Charles Baudelaire. Les paradis artificiels. 1860)

     

     

     

    En solitaire au jardin du Luxembourg

                                   4 Au Luxembourg entre les deux guerres.

     

     « Je viens mêler aux chants des oiseaux tout ce qu'il est permis d'exhaler de mon désespoir solitaire » (Properce, Livre I, élégie 18 [vers 25 av. J.-C.]) 

     

     

     

     

     

    En solitaire au jardin du Luxembourg

    5 En promenade seul devant le Palais du Luxembourg (années 1930-1940. Marque Guy de la maison d’édition A. Leconte créée en 1920).

     

     

     « Ah ! que le printemps est redoutable pour les solitaires. Tous les besoins endormis se réveillent, toutes les douleurs disparues renaissent, le vieil homme terrassé et bâillonné se relève et se met à gémir. Les cicatrices redeviennent blessures saignantes et ces blessures se lamentent à qui mieux-mieux ». 
    (Citation de Henri-Frédéric Amiel, Journal intime, le 18 mars 1869).
     

     

     

     

     

    En solitaire au jardin du Luxembourg

                   6 Sur la terrasse du Jardin du Luxembourg en compagnie des reines.

     

               « La solitude est un art. » (Vilhelm Ekelund. 1880-1949) 

     

     


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    Le professeur Gaston Jèze

    1 Le professeur Gaston Jèze, à l’origine des troubles de 1935 et 1936 (photographie de Mathieu Pieters, extraite du Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Laye, Hachette et Sirey, collection 1923-1937. Source : gallica.bnf.fr). 

     

     

    En 1935 et 1936, la Faculté de Droit de Paris fut confrontée à une nouvelle crise avec les manifestations d’étudiants d’extrême-droite contre l’un de ses professeurs en poste, Gaston Jèze (agrégé à Paris en 1909, professeur adjoint en 1912, professeur titulaire de 1918 à 1937).

     

     

     

     

     

    Gaston Jèze (dessin caricatural à partir de la célèbre chanson de Joséphine Baker : J’ai deux amours).

    2 Gaston Jèze (dessin caricatural à partir de la célèbre chanson de Joséphine Baker : J’ai deux amours).

     

     Ces étudiants de l’Action française et des Jeunesse patriotes reprochaient à Gaston Jèze, proche du parti radical, donc de gauche, d’être hostile au système colonial permettant aux nations européennes d’entrer en possession d’autres parties du monde. En effet, conseil du Négus (équivalent d’empereur) de l’Éthiopie, pays confronté à l’envahissement de l’Italie mussolinienne, Gaston Jèze avait défendu la cause éthiopienne en mars 1936 devant la Société des Nations et la Cour permanente de justice internationale de La Haye (à cette occasion, il dut se cacher dans la ville suite aux menaces d’assassinat proférées par ses détracteurs !).

     

     

     

     

     

    Le Doyen Edgard Allix de la Faculté de Droit de Paris

    3 Le Doyen Edgard Allix (Agence de presse Meurisse. Paris. Source : BnF., département Estampes et photographie, EI-13. 2841). 

     

    En fin de l’année 1935, des étudiants en Droit opposants à Gaston Jéze, auxquels s’étaient jointes des personnes  étrangères à la Faculté de Droit, pénétrèrent dans l’amphithéâtre où il donnait un cours pour le molester.

     

    Le Doyen Allix intervint aussitôt pour aider Gaston Jèze à quitter l’amphithéâtre, puis il empêcha les manifestants de pénétrer dans la salle des professeurs où Gaston Jéze s’était réfugié. Il obtint alors du ministre de l’Instruction la fermeture provisoire de la Faculté de Droit, souhaitée par la plupart de ses collègues, notamment Pierre Geouffre de Lapradelle, Olivier Martin, René Morel, Joseph Barthélémy, Roger Picard, Jean Niboyet, Georges Ripert et Henri Capitant.

     

    Mais, en janvier 1936, plusieurs de ces professeurs (Olivier Martin, Joseph Barthélémy, René Morel, Georges Ripert), lâchèrent Gaston Jèze et le Doyen Allix, réclamant la reprise des cours et le report de ceux de Gaston Jèze au second semestre.

     

     

     

     

     

     

    Nouvelle intrusion d’étudiants d’extrême-droite dans la Faculté de Droit de Paris, rue Soufflot (photographie de presse)

    4 Nouvelle intrusion d’étudiants d’extrême-droite dans la Faculté de Droit de Paris, rue Soufflot (photographie de presse).

     

    Le 11 février 1936, des manifestants pénétrèrent de nouveau dans la Faculté de Droit. Leur intrusion donna lieu à une intervention de la police au cours de laquelle le Doyen Allix reçut un violent coup de poing au visage porté par… un gardien de la paix !

     

    Cent cinq manifestants furent arrêtés. Dix neuf d’entre eux n’étaient inscrits à aucune École ou Faculté ; vingt-cinq étaient étudiants de la Faculté de Droit, vingt de l’École libre des Sciences politiques ; quatorze de la Faculté de Médecine, dix de celle des Lettres, et dix-sept d’Écoles et de Facultés diverses.

     

    Le Conseil de l’Université, réuni le 13 février sous la présidence du Recteur Charléty, suite à une motion de professeurs de la Faculté de Droit, demanda au ministre de l’Instruction Publique la fermeture de la Faculté  jusqu’au rétablissement de l’ordre, des excuses de la police au Doyen Allix, et le dépaysement du cours de Gaston Jéze dans un local extérieur à la Faculté de Droit.

     

    De son côté, le Doyen  Allix renonça à porter plainte contre le gardien de la paix qui l’avait frappé, et présenta sa démission au ministre de l’Instruction Publique qui… ne répondit pas !

     

     

     

     

     

     L'affaire Gaston Jèze et François Mitterrand

    5 Participation de François Mitterrand à la manifestation des étudiants de la Faculté de Droit contre le professeur Gaston Jèze, le 5 mars 1936 (© Collection Roger-Viollet. Source www.parisenimages.fr. Document n° 1273-4).  

     

    Le 5 mars 1936, une nouvelle manifestation d’étudiants de la Faculté de Droit eut lieu dans les rues de Paris contre le professeur Gaston Jèze. Parmi ceux-ci, on reconnaît sur une photographie de presse le jeune François Mitterrand qui sera Président de la République française du 21 mai 1981 au 17 mai 1995 (il est né le 26 octobre 1916 à Varnac en Charente),

     

    Il est à droite de la photographie, de profil, au côté de Bernard Dalle, le frère de son ami François Dalle, lui aussi étudiant à la Faculté de Droit de Paris et résidant dans le même foyer des Pères Maristes, la « Réunion des Étudiants » (v. ci après). François Dalle avait participé à la création, avec Eugène Deloncle, du Mouvement social révolutionnaire pour la Révolution nationale, dit MSR (acronyme de « Aime et Sers »), ancré à l’extrême droite.

     

     

     

     

    François Mitterrand, étudiant en Droit à Paris en 1934

                    6 François Mitterrand, étudiant en Droit à Paris en 1934.

     

    « Je suis arrivé comme étudiant à Paris. C’était un autre monde dont je faisais connaissance et j’avais encore beaucoup à apprendre. » (François Mitterrand, interview à la télévision danoise le 25 novembre 1987). 

     

    En effet, souhaitant devenir avocat, François Mitterrand, en septembre 1934, à dix-sept ans, le bac en poche, était « monté » à Paris pour s’inscrire à la Faculté de Droit et à l’École Libre des Sciences politiques (il obtint sa licence en Droit, et un diplôme d’études supérieures de Droit public. En 1937, il fut diplômé de Sciences-po avec mention Bien). Il s’installa au 104 rue de Vaugirard, dans le VIème arrondissement, à la « Réunion des Étudiants », un foyer catholique d’étudiants, créé par les Pères Maristes (Société de Marie), en 1895, sous le nom de « Cercle de Jeunes Gens ».  

     

     

     

     

     

    François Mitterrand, apprenti journaliste à L’Écho de Paris en 1936-1937

    7 François Mitterrand, apprenti journaliste à L’Écho de Paris en 1936-1937 (photographie parue dans L’Écho de Paris du 28 novembre 1936. En free access sur gallica.bnf.fr.).

     

    Il va sans dire que la Faculté de Droit de Paris et l’École Libre des Sciences politiques n’étaient pas un vivier ou un foyer d’insurgés ou de révolutionnaires. Leurs étudiants, issus de la bourgeoisie parisienne ou provinciale conservatrice et légitimiste, étaient pour la plupart étrangers aux idéologies socialistes des classes populaires révolutionnaires.

     

    Aussi, attiré par la politique, François Mitterrand, d’une famille provinciale aisée catholique et conservatrice, milita-t-il, dès novembre 1934, aux Volontaires nationaux, la branche « jeunesse » de la ligue des Croix-de-feu du colonel La Rocque, un mouvement de droite emprunt de patriotisme et de catholicisme social, éloigné de toutes tendances fascistes.

     

    Sous son nom, il écrivit plusieurs articles, en 1936 et 1937, dans la rubrique « La vie des étudiants » du quotidien L’Écho de Paris, l’organe de presse du mouvement de droite nationaliste de La Rocque (ces numéros sont en libre accès sur le site gallica.bnf.fr.). Il fut élu chef de cette rubrique le 9 janvier 1937.

     

    Par exemple, le 5 décembre 1936, il signa un article dans lequel il se moquait de l’étudiant-type de 1936 sous le Front populaire, autrement dit l’étudiant de gauche « éternel révolté » ! En avril 1937, il écrivit un long article nostalgique sur le Quartier Latin qu’il fréquentait depuis à peine deux années. En voici un extrait qui étonne :

     

    « Le Quartier Latin ne connaît plus ce qui fut son âme [...]. Le Quartier Latin est la proie du Dehors — et j'appelle Dehors ce qui, dans le domaine intellectuel ou seulement national a bouté l'exacte connaissance de soi-même et le désir d'un peu de raison par-dessus la toute puissance du cœur. Désormais, le Quartier Latin est ce complexe de couleurs et sons si désaccordés qu'on a l'impression de retrouver cette Tour de Babel à laquelle nous ne voulons pas croire. » (la Tour de Babel, du nom hébreux de Babylone, désigne une assemblée où toute le monde parle sans s’entendre). 

     

     

     

     

     

    François Mitterrand parmi les étudiants en Droit de Paris manifestant pour « La France aux Français » (photographie parue dans L’Écho de Paris du 2 février 1935).

    8 François Mitterrand parmi les étudiants en Droit de Paris manifestant pour « La France aux Français » (photographie parue dans L’Écho de Paris du 2 février 1935).

     

    François Mitterrand participa également à plusieurs autres manifestations aux côtés d’étudiants de la Faculté de Droit de Paris, de la mouvance de droite nationaliste.

     

    De manière fortuite ou non, il fut chaque fois la cible des photographes de presse. Par exemple, sur cette photographie publiée, le 2 février 1935, dans L’Écho de Paris, il apparaît face aux policiers lors de la manifestation de l'Action française contre les médecins étrangers autorisés à exercer en France. Cette manifestation tenue aux cris de « La France aux Français », est plus connue sous le nom de manifestation contre « l'invasion métèque ». 

     

     

     

     

     

    François Mitterrand parmi des étudiants en Droit manifestant au Quartier Latin

    « On a gagné, on a gagné… » François Mitterrand parmi des étudiants en Droit manifestant au Quartier Latin.

     

    Gaston Jèze, éprouvé par les manifestations d’étudiants à son encontre et la trahison de ses collègues, se résolut à faire cours en dehors de la Faculté de Droit, au Musée pédagogique situé à l’angle des rues Louis Thuillier et Gay Lussac (renommé Musée national de l’éducation, il est aujourd’hui installé à Rouen). Quelques mois après, en 1937, il fit valoir ses droits à la retraite. Ses aimables collègues s’abstinrent de lui offrir des Mélanges en son honneur (aussi appelés Liber Amicorum ou Études en l’honneur de…). Il mourut le 5 août 1953 à Deauville.

     

    De son côté, les troubles ayant cessé, le Doyen Allix retira sa démission le 7 mai 1936. Il fut réélu Doyen, le 29 juin 1936, par 43 voix sur 44, contre une voix pour Georges Ripert. Mais il décéda le 23 juin 1938, permettant à Georges Ripert de lui succéder jusqu’au 17 octobre 1944, date de la suspension de ce dernier de toutes fonctions à la Faculté de Droit de Paris, un mois avant son arrestation en vue d’être jugé « pour haute trahison » par la Haute Cour de Justice. Il lui était reproché d’avoir été, du 6 septembre au 13 décembre 1940, secrétaire d’État à l’Instruction Publique et à la Jeunesse dans le premier Gouvernement Laval installé à Vichy (la Haute Cour prononça en sa faveur un non lieu pour des « faits de résistance »).

     

     

     

     

    François Mitterrand et le Maréchal Pétain, le 15 octobre 1942, à l’Hôtel du Parc, siège du Gouvernement de Vichy

    10 François Mitterrand et le Maréchal Pétain, le 15 octobre 1942, à l’Hôtel du Parc, siège du Gouvernement de Vichy (© Getty. Photographie en couverture du livre de Pierre Péan : Une jeunesse française. Éd. Fayard, 1994). 

     

     

    « Par le hasard de la petite histoire, j’ai connu successivement, en l’espace de ces quatre à cinq ans, les camps de prisonniers de guerre en Allemagne, la France occupée, l’Angleterre, l’Afrique du Nord, de nouveau l’Angleterre et de nouveau la France, quelques mois avant la libération de mon pays. Tout cet itinéraire a préparé, il faut bien le dire, tout naturellement, une nouvelle étape de réflexion. » (discours prononcé par François Mitterrand lors de la cérémonie d’ouverture de l’année académique du collège d’Europe, mardi 13 octobre 1987).

     

    I. Croix de guerre 1939-1945 avec trois citations. Quant à François Mitterrand, l’ancien étudiant en Droit de Gaston Jèze, Edgard Allix et Georges Ripert, il effectua, en septembre 1939, son service militaire et fut incorporé comme sergent dans le 23ème régiment de l’infanterie coloniale. Le 14 juin 1940, il fut blessé près de Verdun et fait prisonnier (voir le chapitre Chapitre LIX (ou 59). La Faculté de Droit de Paris sous l'Occupation (2/6) : Les Étudiants appelés sous les drapeaux). Envoyé dans un camp de prisonnier en Allemagne, il y resta plus d’une année jusqu’à sa troisième évasion réussie le 16 décembre 1941, qui lui permit de revenir en France où il se cacha, dans un premier temps, chez une cousine dans le Jura.

     

    II. Ordre de la Francisque en 1943. Après de brefs séjours sur la Côte d’Azur, à Jarnac et à Paris, il rejoignit, à Vichy, en janvier 1942, le Maréchal Pétain qu’il admirait sans être pour autant pro-allemand. Il y fut alors documentaliste à la Légion française des combattants et des volontaires de la révolution nationale, puis chargé des relations avec la presse au Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre. Il entretint à cette occasion de belles relations avec René Bousquet, secrétaire général de la police et organisateur de l’arrestation des juifs à Paris (rafle du Vél’ d’Hiv’) et dans la zone sud. Il collabora également à la revue vichyste : « France, revue de l’État nouveau ». Et, en 1943, il fut décoré de l’ordre de la Francisque, des mains mêmes du Maréchal Pétain, après avoir rempli le formulaire administratif approprié de ces mots : « Je fais don de ma personne au Maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France. Je m'engage à servir ses disciplines et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre. »

     

    III. Médaille de la Résistance, avec rosette. Mais lorsque, à la fin de sa vie, ses années à Vichy, longtemps censurées, furent relatées dans le livre de Pierre Péan, Une jeunesse française, paru en 1994, François Mitterrand se justifia ainsi. D’abord il ignorait tout du sort des juifs décidé à Vichy et mis en œuvre par René Bousquet. Ensuite s’il avait exercé des fonctions officielles à Vichy et sollicité la Francisque c’était pour mieux camoufler aux yeux des collaborateurs et de l’occupant son activité de résistance. Il aurait en effet participé, dans le plus grand secret, à la constitution d’un réseau de résistance, le Rassemblement national des prisonniers de guerre, chargé de fournir des faux-papiers aux prisonniers de guerre pour aider les évasions, et des renseignements à la France Libre. À la fin de l’année1943, après avoir quitté Vichy, il avait alors rejoint le Général de Gaulle à Londres puis à Alger. À la demande de ce dernier, il fusionna son mouvement de résistance avec celui similaire des gaullistes au sein d’un Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés dont il devint l’un des dirigeants. En août 1944, il prit part aux combats de la libération dans la capitale, et, le 27 du même mois, il fut invité, par le Général de Gaulle,  à participer au premier conseil de Gouvernement de la France libérée. En 1945, il sera élu député de la Nièvre, au titre de l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance, puis nommé, en 1947, à l’âge de 30 ans, Ministre des Anciens Combattants dans le Gouvernement Ramadier.  

     

    IV. « N’outragez plus les morts » (Corneille, Nicomède, II, 3). François Mitterrand, qui sera avocat au Barreau entre ses fonctions de ministre (huit fois entre le 21 octobre 1947 et le 21 mai 1957) et de Président de la République (deux fois du 21 mai 1981 au 17 mai 1995), est mort, le 8 janvier 1996, à l'âge de 79 ans. Aujourd’hui encore, il laisse dans l’embarras ses biographes qui continuent à croiser le fer sur sa variation politique de la Droite nationaliste à la Gauche non communiste, et sur son passé trilogique original de Combattant-Vichystant-Résitant.

     

    À bientôt pour les six prochains chapitres consacrés à la Faculté de Droit de Paris sous l’Occupation allemande (à partir du 1er février prochain).

     


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    Manifestation d’étudiants de la Faculté de Droit de Paris en 19321

    1 Manifestation d’étudiants de la Faculté de Droit de Paris (photographie de presse).

     

     

    Sous la Troisième République (4 septembre 1870-1940), entre les deux Guerres mondiales, la Faculté de Droit de Paris fut le théâtre de mouvements estudiantins ayant pour origine l’engagement politique original de deux de ses professeurs : Georges Scelle et Gaston Jèze. Ces troubles espacés d’une dizaine d’années présentent plusieurs traits communs : la participation d’étudiants de droite à des manifestations de rue ; leur intrusion dans des amphithéâtres de la Faculté de Droit pour empêcher les cours ; la fermeture provisoire de la Faculté de Droit ; et la suspension administrative ou la démission du Doyen de la Faculté.

     

     

     

     Georges Scelle

    2 Le jeune professeur Georges Scelle à l’origine des troubles de 1925 (né le 19 mars 1878 à Avranches, et mort le 8 janvier 1961).

     

    Aujourd’hui, je vous invite à rencontrer le professeur Georges Scelle. Dans le prochain chapitre LVII (ou 57), je vous présenterai le professeur Gaston Jèze et l’un de ses jeunes étudiants : François Mitterrand.  

     

     

     

     

    François Albert, Ministre de l’Instruction Publique du 14 juin 1924 au 17 avril 1925

    3 François Albert, Ministre de l’Instruction Publique du 14 juin 1924 au 17 avril 1925 (source de la photographie : wikipedia).

     

     

    « À bas le tyranneau et son professeur parjure. Vive l’Université Libre » (Slogan des étudiants de l’Action française en mars 1925). Au cours de l’année 1925, la Faculté de Droit de Paris fut confrontée aux manifestations d’étudiants d’extrême droite de l’Action française contre l’ingérence du pouvoir politique de gauche dans la nomination d’un professeur bien en cour, chargé d’un cours de Droit (Dure, dure l’orthographe française !).

     

    Ils reprochaient ainsi au Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, François Albert, Grand Maître de l’Université, d’avoir nommé, par arrêté du 25 février 1925, Georges Scelle à la chaire de Droit international mise en concours à la Faculté de Droit de Paris. Certes Georges Scelle était un brillant candidat, professeur titulaire à la Faculté de Droit de Dijon depuis 1919. Mais il n’avait été classé qu’en deuxième position par le Conseil de la Faculté de Droit de Paris derrière le Rennais Louis Le Fur. Or, selon un usage de l’Université, le ministère de l’Instruction Publique n’était pas libre de choisir n’importe lequel des deux candidats présentés à sa nomination par le Conseil de la Faculté. Il devait retenir celui désigné premier. Les étudiants de l’Action française accusaient donc François Albert, Ministre du Gouvernement Herriot, d’avoir sciemment transgressé cette règle non écrite pour favoriser un fidèle ami du parti politique au pouvoir. Car en effet, Georges Scelle était également, depuis 1924, chef du cabinet du  Ministre du Travail, Justin Godard, du Cartel des gauches (coalition, victorieuse des élections législatives de 1924, entre les Radicaux indépendants, les Radicaux-socialistes, les Républicains socialistes, des socialistes indépendants, et la SFIO). 

     

     

     

     L'affaire Georges Scelle (1925)

    4 Dans l’amphithéâtre n° 4 après le chahut du 9 mars 1925 (photographie extraite de L’Étudiant français. Organe mensuel de la Fédération nationale des étudiants d’Action française. N° 8 du 15 mars 1925, p. 1. En free access sur : gallica.bnf.fr).

     

    « M. Georges Scelle ne fera pas son cours ! » (Slogan des étudiants de l’Action française en mars 1925). Des personnes, étudiantes et non-étudiantes, pénétrèrent donc, le 2 mars 1925, dans la Faculté de Droit de la place du Panthéon pour empêcher Georges Scelle d’assurer son cours inaugural de droit public de 3ème année de licence. Mais comme le nouveau professeur ne s’était pas présenté ce jour là, les manifestants se contentèrent de distribuer des tracts et de pousser des cris hostiles à Georges Scelle et à François Albert surnommé « le ministricule ».

     

    Le lundi 9 mars 1925, les manifestants revinrent à la Faculté de Droit à l’occasion du premier cours de Georges Scelle dans l’amphithéâtre n° 4 où l’attendaient plus de trois cent étudiants. La chaire du professeur fut envahie et des pétards lancés de toutes parts. Georges Scelle n’essaya pas de pénétrer dans l’amphithéâtre. Pour les uns, le Doyen Henry Berthélémy aurait alors envoyé une réquisition écrite à la police afin d’expulser les perturbateurs (source : Le Matin, n° 13165, mardi 10 mars 1925, p. 1. En free access sur gallica.bnf.fr). Pour d’autres, la police serait intervenue dans l’enceinte de la Faculté, sur ordre du pouvoir en place, sans en référer au Doyen de la Faculté. Toujours est-il que plus d’une centaine de gardes républicains et agents de police parvinrent à faire évacuer l’amphithéâtre où les manifestants avaient brisé les tables, les portes et les fenêtres, et bousculé M. Belay, un huissier, mutilé de guerre. Cinq manifestants furent arrêtés et très rapidement libérés.

     

     

     

    L'affaire Georges Scelle (Note du ministère de l’Instruction Publique du 9 mars 1925)

               5 Note du ministère de l’Instruction Publique du 9 mars 1925.

     

    Le soir même de cette journée, le ministère de l’Instruction Publique et des Beaux Arts rédigea la note ci-dessus reproduite qu’il fit apposer sur le portail d’entrée de la Faculté de Droit.

     

    Quelques jours après, un arrêté du Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, d’une part ordonna la fermeture provisoire de la Faculté de Droit, d’autre part suspendit de ses fonctions le Doyen Henry Berthélémy.

     

    Mais, à la suite d’un débat parlementaire particulièrement houleux, le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux Arts jugea prudent de rapporter son arrêté de nomination de Georges Scelle à la Faculté de Droit de Paris !

     

     

    Le Doyen de la Faculté de Droit de Paris Henry Berthélémy

    6 Le Doyen Henry Berthélémy (illustration de Mme Favrot-Houllevigue, extraite de l’ouvrage Nos Maîtres de la Faculté de Droit de Paris. LGDJ, 1931. En libre accès sur gallica.bnf.fr.).

     

    C’est ainsi qu’à la réouverture de la Faculté de Droit, Henry Berthélémy reprit sa charge de Doyen. Il fut réélu par ses collègues en 1928, et, une dernière fois, en 1931 (voir le chapitre LV, ou 55 : Quatre Doyens de 1922 à 1955).

     

     

    Le professeur Louis Le Fur de la Faculté de Droit de Paris

    7 Le professeur Louis Le Fur (photographie de Mathieu Pieters, extraite du Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Laye, Hachette et Sirey, collection 1923-1937. Source : gallica.bnf.fr).

     

    Louis Le Fur fut donc nommé, le 1er novembre 1926, par le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, professeur à la Faculté de Droit de Paris, conformément à l’avis préalable du Conseil de la Faculté. Il y assura les enseignements d’Histoire des traités et droit international public, puis, à partir de 1933, de Droit constitutionnel et contentieux administratif.

     

    On notera que Louis Le Fur méritait ce poste. Professeur de Droit constitutionnel à la Faculté de Droit de Rennes depuis 1922, après avoir été professeur aux Université de Caen (1897), et de Strasbourg (1919), il était loin d’être étranger à la Faculté de Droit de Paris. Il en avait été Licencié et Docteur en Droit le 5 juin 1896, Lauréat en 1896 (Médaille d’or, thèse de Doctorat), et Agrégé le 1er novembre 1925. Son haut niveau scientifique lui avait également permis d’être Professeur à l’Académie de Droit international de La Haye (en 1923 et 1927), Professeur à l’Université de Louvain (1923-1924), et Membre de l’Institut de Droit International et de l’Académie diplomatique internationale (1921). Louis Le Fur prit sa retraite à la Faculté de Droit de Paris en 1940, et il décéda en 1943.

     

     

     

     

    Le professeur Georges Scelle en 1924

    8 Le professeur Georges Scelle en 1924 (photographie de Mathieu Pieters, extraite du Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Laye, Hachette et Sirey, collection 1923-1937. Source : gallica.bnf.fr).

     

    Quant à Georges Scelle, l’arrêté ministériel de sa nomination à la Faculté de Droit de Paris ayant été annulé, il resta professeur à la Faculté de Droit de Dijon quelques années encore, avant d’être de nouveau nommé à la Faculté de Droit de Paris, en 1933, l’année même du départ à la retraite du Doyen Henry Berthélémy. Il y resta en poste jusqu’à sa propre retraite en 1948.

     

    Pour éviter tout malentendu sur la personne de Georges Scelle, ternie par la faveur particulière du Gouvernement de gauche dont il avait bénéficié en février 1925, voici quelques éléments de sa biographie qui mettent en évidence sa valeur et ses mérites.

     

    Comme son collègue-concurrent Louis Le Fur, il fut élève de la Faculté de Droit de Paris (Docteur en Droit. prix de thèse. 1906). Il enseigna d’abord comme professeur à l’Université de Sofia en Bulgarie (1908-1910), puis comme Chargé de cours à Lille (en 1907 et en 1911) et à Dijon (en 1910). Reçu premier, en 1912, au concours de l’Agrégation des Faculté de Droit, dans la section de Droit public, il fut aussitôt chargé des cours de Droit international public (licence et doctorat) et de législation industrielle à la Faculté de Droit de Dijon.

     

    Mobilisé le 3 août 1914, et au front le 7 août 1914, il fut promu lieutenant mitrailleur, puis affecté, en 1917, à l’État Major de la VIIIème armée comme officier jurisconsulte (expert légal). À l’issue de la Guerre, il revint à la Faculté de Droit de Dijon, comme professeur jusqu’en 1933, année où il fut nommé à la Faculté de Droit de Paris. 

     

    Parallèlement à sa carrière universitaire, Georges Scelle a occupé d’importantes fonctions sur la scène internationale. Il représenta la France à la dernière session de l’Assemblée de la Société des Nations en 1946. Il fut membre de l’Organisation internationale du travail (OIT) au sein de la Commission de contrôle des conventions internationales de travail de 1922 à 1928 ; vice-président du tribunal administratif de l’OIT de 1928 à 1938 ; et membre de la Cour permanente d’arbitrage à partir de 1950. Il fut encore Secrétaire Général de l’Académie de Droit international de La Haye de 1935 à 1958, et il présida la Commission de Droit international de l’Organisation des Nations Unies (ONU) de 1945 à 1958. 

     

     

     

     

    Georges Scelle, Précis du Droit des Gens, 2 volumes, Paris 1932 et 1934

    9 Georges Scelle, Précis du Droit des Gens, 2 volumes, Paris 1932 et 1934 (réédité par le CNRS le 18 janvier 1993).

     

    Georges Scelle est considéré comme le fondateur de la théorie du dédoublement fonctionnel en droit international qu’il exposa dans son Précis du Droit des Gens (le Droit des Gens, du latin gens, gentis, signifiant « nation », « peuple », ne doit pas être confondu avec le Droit des personnes. Chez les « publicistes », cette expression est synonyme de Droit international public qui désigne l’ensemble des règles régissant les relations entre les États).

     

    Pour exposer clairement cette théorie, j’abandonne la plume (ancienne expression synonyme de touches d’un clavier d’ordinateur équipé de Word), à Michel Tabbal, un jeune docteur en Droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas, dont j’ai trouvé sur « la toile » la biographie  qu’il a consacrée à Georges Scelle :  

     

    « Pour Scelle, les principaux sujets de droit international ne sont en aucun cas les États –  il récuse la souveraineté absolue des États, en raison des principaux maux au début du siècle qu’elle a suscités, à savoir le déclenchement de la Première Guerre mondiale –  mais les individus.

    Sa théorie a été développée dans l’ouvrage Précis du droit des gens publié lors de l’entre-deux-guerres, et ayant eu un retentissement allant au-delà de la sphère des juristes français. Pour Scelle, il n’existe pas de différence entre la société interne et la société internationale ainsi qu’entre les différentes branches du droit, faisant du monisme la règle de base et du droit international la norme supérieure. La théorie du dédoublement fonctionnel  de l’État, qualifié de trouvaille scellienne (Santulli), constitue un des principaux piliers de sa doctrine et est toujours d’actualité au niveau du droit des organisations internationales. Selon cette dernière, les agents de l’État ont une double fonction tant au niveau interne qu’au niveau international et c’est à travers cette voie que se forme la norme internationale ».

     

     

     

     

    L’ancien collège d’Avranches (Manche) sur l’actuelle place Georges Scelle

     10 L’ancien collège d’Avranches (Manche) sur l’actuelle place Georges Scelle. 

     

    Hommage à titre gratuit. Georges Scelle laisse aujourd’hui son nom à la place où se situe à Avranches (Manche) l’ancien collège dont il fut élève. Ce collège créé au début du XVIème siècle est devenu, en 1960, le Lycée Émile Littré, lui même scindé, en 1968, en plusieurs établissements dont l’actuel collège Challemel-Lacour installé dans ses murs.

     

     

     

    L’Amphithéâtre Georges Scelle de la Faculté de Droit de l’Université de Cergy-Pontoise

    11 L’Amphithéâtre Georges Scelle de la Faculté de Droit de l’Université de Cergy-Pontoise.

     

    Hommage à titre onéreux. L’Université n’a pas non plus oublié Georges Scelle puisqu’elle a donné son nom à un amphithéâtre de 390 places de la Faculté de Droit de l’Université de Cergy-Pontoise (site des Chênes 1, 33 bd du Port. 95011 Cergy-Pontoise). Cet amphithéâtre peut être loué au tarif de 1800 € TTC, la journée. M’enfin ! comme disait Gaston Lagaffe dans le journal de Spirou en présence d’une situation incontrôlable.

     

    À très bientôt pour le chapitre LVII (ou 57) mettant en scène, dans les années 1934 à 1938, le professeur de gauche  Gaston Jèze de la Faculté de Droit de Paris, et l’un de ses jeunes étudiants du nom de François Mitterrand alors, semble-t-il, de droite (M’enfin !...).