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    Droit et justice : avocats célèbres en chromos 20-2

              9 De la toque noire … à la perruque blonde et au collet noir (Chromo ancienne sur papier fin) 

     

                Quand on conspire,
                Quand, sans frayeur,
               On peut se dire
               Conspirateur,
               Pour tout le monde
              Il faut avoir
              Perruque blonde
              Et collet noir.

    (La fille de Madame Angot : chœur des Conspirateurs. Musique de Charles Lecocq).

     

     « Un, deux, trois, quatre » Les dix années de la Révolution française, entre l’ouverture des États généraux, le 5 mai 1789, et le coup d’État de Napoléon Bonaparte du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), ont permis à de très jeunes avocats de l’Ancien régime de passer à la postérité. Trois d’entre eux, Georges-Jacques Danton, Maximilien Robespierre et Camille Desmoulins. y perdirent leur tête, en 1794, sur l’échafaud de la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Le quatrième, Jean Anthelme Brillat-Savarin, hostile au régime de la Terreur, s’était prudemment réfugié à l’étranger, avant de revenir en France, en 1796, où il acquit ses lettres de noblesse comme « inventeur de la gastronomie ».

     

        Tous les quatre ont suscité l’attention des nouveaux grands magasins et commerces de la Belle Époque, qui éditèrent leurs portraits en chromolithographies (chromos), plus ou moins didactiques, à destination des enfants gourmands (chromos publicitaires) ou des meilleurs élèves des écoles (chromos Récompense et Bon-Point).

     

     

     

     

    Georges-Jacques Danton, avocat au Barreau de Paris (chromo Récompense)

                     10 Georges-Jacques Danton, avocat au Barreau de Paris (chromo Récompense).

     

         Famille de gens de robe. Commençons cette promenade chromolithographique avec Danton. Il naquit, le 26 octobre 1759, à Arcis-sur-Aube, près de Troyes. Son grand-père était huissier et son père procureur (équivalent à l’époque d’avoué) au baillage (tribunal présidé par le bailli) d’Arcis-sur Aube. En 1780, Danton « monta à Paris faire son droit », et se fit engager comme clerc chez un procureur, Maître Vinot. Puis, il rejoignit, en 1785, la faculté de Reims pour obtenir le grade de licencié ès lois, grâce à un astucieux système de dispenses, d’équivalences et d’argent comptant (il reconnaissait lui-même qu’il avait été à Paris un étudiant « très paresseux »).

     

         Avocat au Parlement. Fort de son diplôme, Danton revint à Paris et s’inscrivit comme avocat stagiaire au Parlement, après avoir prêté serment sous le parrainage d’un aîné à l’ouverture des audiences. Il se distingua dans diverses causes dont celle d’un berger contre son seigneur, qu’il gagna après un plaidoyer, remarqué par les grands maîtres du barreau : Gerbier, Debonnière, Hardouin et Linguet. Mais il eut du mal à gagner sa vie car, dit l’un de ses amis, « il recherchait, la clientèle du pauvre, autant que d’autres recherchaient la clientèle du riche. Il pensait qu’en thèse générale le pauvre est les plus souvent l’opprimé, qu’ainsi il a le droit de priorité à la défense ».

     

       Avocat au Conseil du Roi. Au demeurant, grâce à la dote de son épouse, Antoinette-Gabrielle Charpentier, fille du riche propriétaire d’un café qu’il fréquentait avec de futurs révolutionnaires, et à un emprunt d’argent, Danton put acquérir, en mai 1787, une charge d’avocat au Conseil du Roi (avocat auprès du Conseil d’État et de la Cour de cassation) … qu’il revendit, dix fois plus cher, en 1790. Il débuta par un discours de réception obligatoire. Son sujet était : « De la situation morale et politique du pays dans ses rapports avec la justice ». Il s’en sortit en prononçant un discours cicéronien où il condamnait le despotisme, autrement dit le gouvernement dans lequel un seul homme détient le pouvoir absolu (sous entendu, le roi Louis XVI). Il annonçait encore une révolution prochaine !

     

     

     

     

    Victor Hugo, Les Misérables, « La barricade tremblait, lui, il chantait » (chromo Félix Potin, série Les auteurs célèbres)

    11 Victor Hugo, Les Misérables, « La barricade tremblait, lui, il chantait » (chromo Félix Potin, série Les auteurs célèbres).

     

      « Pour que la Révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la présente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet* la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose. » (Victor Hugo, Les Misérables, 1862. *Arouet, dit Voltaire).

     

         Un Révolutionnaire… original.  Dans son discours de réception devant l’ordre des avocats au Conseil du Roi, Danton, en évoquant une révolution prochaine, fut un bon prophète. Certes, il rejoignit assez tardivement, les révolutionnaires de 1789, et, aujourd’hui encore, son rôle y est difficilement classable : modéré pour les uns, extrême pour les autres. Toujours est-il qu’il fonda le club révolutionnaire des Cordeliers, et fut nommé, en 1792, substitut du procureur de la Commune de Paris. Un fois le roi Louis XVI déchu, il se vit confier, le 10 août 1792, le portefeuille de ministre de la Justice au Conseil exécutif (gouvernement de six ministres) mis en place par l’Assemblée constituante.

     

     

     

     

    Danton, Ministre de la Justice, à la tribune de l’Assemblée constituante, le 2 septembre 1792 (chromo Chocolat Poulain)

    12 Danton, Ministre de la Justice, à la tribune de l’Assemblée constituante, le 2 septembre 1792 (chromo Chocolat Poulain).

     

         Un orateur hors-pair.  C’est dans cette fonction qu’il fut conduit à improviser, à l’Assemblée constituante, le 2 septembre 1792, un discours par lequel il invitait ses compatriotes à prendre les armes pour vaincre les soldats de l’armée austro-prussienne en marche vers Paris. Cette harangue se terminait par ces mots restés célèbres : « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée ». Peu après, le gouvernement révolutionnaire de la Commune de Paris appela les citoyens à prendre les armes et, le 20 septembre, les généraux Dumouriez et Kellermann mirent en déroute, à Valmy, l’armée ennemie.  

     

     

     

     

    Le Tribunal révolutionnaire sous le régime de la Terreur (chromo publicitaire Félix Potin, série XXIX : La révolution française. 1930)

    13 Le Tribunal révolutionnaire sous le régime de la Terreur (chromo publicitaire Félix Potin, série XXIX : La révolution française. 1930).

     

     « N’oublie pas de montrer ma tête au peuple : elle en vaut la peine » (derniers mots prononcés par Danton sur l’échafaud). Malheureusement pour Danton, ses pérégrinations politiques s’achevèrent avec la haine brutale de Robespierre qui le trouvait trop Indulgent, suivie de sa condamnation à mort prononcée, en avril 1794, par le Tribunal révolutionnaire, siégeant au palais de Justice de Paris, et chargé de « punir les contre-révolutionnaires et les perturbateurs du repos public » (ce Tribunal prononça près de 3 000 condamnations à mort par guillotine). Danton n’eut même pas le droit d’y prendre la parole pour se défendre, en application d’un décret fort opportun de la Convention du 3 avril 1794, d’application immédiate, tellement son éloquence était redoutée. La sentence étant exécutoire sur le champ, sans appel ni recours au tribunal de cassation, il fut guillotiné, le 5 avril 1794, à l’âge de trente-quatre ans.

     

     

     

     

     

     Georges-Jacques Danton, surnommé « le Mirabeau de la populace » (chromo Récompense).

    14 Georges-Jacques Danton, surnommé « le Mirabeau de la populace » (chromo Récompense).

     

     « Ma laideur aussi est une force. » À Paris, Danton, licencié ès lois par équivalence, devenu avocat puis, du jour au lendemain, révolutionnaire et ministre de la Justice, n’est pas oublié. Son nom a été donné à une station de métro de la ligne 4, empruntée par maints étudiants en droit, avocats et magistrats (stations Châtelet, Cité, Saint-Michel…), et sa statue trône, place Henri-Mondor, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Mais pour être presque complet, j’ajouterai une autre chromo des années 1900, qui représente Danton avec les travers de son visage. Il s’en serait ainsi expliqué au citoyen Chaudrey, également natif d’Arcis-sur-Aube, à Paris, au mythique café Procope (fondé en 1686, fermé en 1890), place des Grèves (actuelle place de l’Hôtel de Ville) :

     

     « Ce n’est point ma faute si la nature m’a donné en partage la physionomie âpre de la Liberté… Sais-tu pourquoi je suis aussi laid ?... On ne peut nier que le destin façonne les masques selon le rôle que sont appelés à jouer ceux qui les porteront. Pour moi, il fallait que je fusse laid, c’était écrit. J’avais un an, à peine, lorsqu’un taureau m’arracha d’un coup de corne la lèvre supérieure… Ce pli que tu peux voir n’est point fait d’amertume, c’est une cicatrice.  Et mon nez, pareil au mufle d’un lion, c’est encore un taureau qui l’écrasa d’un coup de sabot…. Certes deux accidents de ce genre n’arrangent guère le visage d’un enfant… Mais ce n’eût été rien sans la petite vérole… Bref, je suis devenu ce que Manon Roland appelle un monstre sanguinaire. Qu’importe ! Ma laideur aussi est une force ! Le mot n’est d’ailleurs pas de moi, mais de Mirabeau qui s’y connaissait en laideur… » (G. O. Duviv, L’excellent Monsieur Danton, éditions Larousse, 1953).

     

     

     

     

    Robespierre, avocat au Parlement de Paris puis au Conseil provincial d’Artois (chromo Récompense ou Bon-Point)

    15 Robespierre, avocat au Parlement de Paris puis au Conseil provincial d’Artois (chromo Récompense ou Bon-Point).

     

           Le modèle des jeunes gens de robe. Allons maintenant à la rencontre de Maximilien de Robespierre, ou Maximilien Robespierre, le meilleur ami de Danton puis son pire ennemi (il aurait appelé à la condamnation à mort de Danton le jugeant trop modéré comme révolutionnaire). Il naquit, le 6 mai 1758, à Arras, dans l’Artois (actuel Pas-de-Calais). Son père, François de Robespierre, était avocat au Conseil d’Artois. Grâce à une bourse, il put suivre, à compter de l’âge de douze ans, ses études au lycée Louis-le-Grand de Paris où il fut plusieurs fois cité à l’ordre de l’Université. Fidèle à la tradition des gens de robe (avocats, magistrats…) de sa famille, il s’inscrivit ensuite à l’École de Droit de Paris (rebaptisée Faculté de Droit, le 1er janvier 1809), tout juste installée dans les bâtiments construits par l’architecte (et ancien étudiant en droit !) Jacques-Germain Soufflot, au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève (actuelle place du Panthéon). Robespierre y devint bachelier en droit, le 31 juillet 1780, et licencié en droit, le 15 mai 1781. 

     

          Il retourna alors dans sa ville natale et accéda à la profession d’avocat au Barreau d’Arras en prêtant serment devant la Cour (Conseil provincial d’Artois), le 8 novembre 1781. L’année suivante, il fut nommé juge au Tribunal Épiscopal, puis secrétaire du Président Madré, second au Conseil d’Artois. Dans ces fonctions, il put, en même temps, poursuivre son métier d’avocat et acquérir une certaine renommée professionnelle dans plusieurs affaires qu’il plaida comme celle du Paratonnerre (sur cette affaire : https://www.amis-robespierre.org/L-affaire-du-paratonnerre-premiere).

     

     

     

     

     

    Robespierre, « l’Incorruptible maître de la Terreur » (chromo Eckstein-Halpaus, issue d’une collection de cartes allemandes, consacrée à la Révolution française et à la guerre de libération contre Napoléon).

    16 Robespierre, « l’Incorruptible maître de la Terreur » (chromo Eckstein-Halpaus, issue d’une collection de cartes allemandes, consacrée à la Révolution française et à la guerre de libération contre Napoléon).

     

      Du droit au démon de la politique. Puis, comme beaucoup de ses confrères passés, présents et futurs, avec ou sans causes, Robespierre, honorable avocat de province, décida d’entrer dans la vie politique. Il fut ainsi élu : le 26 avril 1789, député de l’Artois aux États Généraux (transformés, le 17 juin, en Assemblée nationale constituante) ; député de la Seine à la Convention nationale (du 5 septembre 1789 au 30 septembre 1791) ; et membre du Comité de salut Public (du 27 juillet 1793 au 28 juillet 1794). Il devint alors l’une des figures les plus célèbres de la Révolution française, souvent qualifié de « maître du régime de la Terreur ».

     

     

     

     

     

    Arrestation de Robespierre à l’Hôtel de Ville (chromo série Histoire de la Révolution, n°38)

            17 Arrestation de Robespierre à l’Hôtel de Ville (chromo série Histoire de la Révolution, n°38).

     

        À bas le tyran ! Las de la dictature de Robespierre, le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794), les députés de la Convention votèrent à main levée sa mise hors la loi, ce qui équivalait à une condamnation à mort sans aucun procès. Aucune prison n’ayant accepté de l’enfermer, Robespierre se retrouva libre à l’Hôtel de Ville où il fut en définitive arrêté après avoir eu la mâchoire fracassée d’un coup de pistolet. Le 10 Thermidor an II (28 juillet 1794), il fut conduit au Tribunal révolutionnaire, lequel n’ayant pas le pouvoir de le juger, se contenta de constater son identité. Le jour même, Robespierre fut mené à l’échafaud et guillotiné, avec vingt-et-un de ses partisans dont Louis Antoine de Saint-Just. Leurs têtes et leurs troncs furent jetés dans une fosse commune du cimetière des Errancis et recouverts de chaux pour les faire disparaître à jamais.

     

     

     

     

     

    Camille Desmoulins (chromo didactique Chicorée des Javanaises. Paul Mairesse à Cambrais).

           18 Camille Desmoulins (chromo didactique Chicorée des Javanaises. Paul Mairesse à Cambrais).

     

       Avocat bègue. Camille Desmoulins naquit, le 2 mars 1760, à Guise, dans le département de l’Aisne, où son père était lieutenant général au baillage de cette ville. Comme Robespierre, il fut boursier au lycée Louis-le-Grand de Paris et il s’inscrivit ensuite à la nouvelle École de Droit, édifiée au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève. Il y obtint, en septembre 1784, le grade de bachelier en droit et, le 7 mars 1785, le grade de licencié en droit qui lui permit de prêter serment d’avocat au barreau de Paris. Mais en raison d’un défaut naturel de prononciation, dit bégaiement, il ne put séduire de clients. Aussi, pour gagner sa vie, il copia des requêtes pour les procureurs du palais.

     

     

     

    Harangue de Camille Desmoulins au Palais-Royal, le 12 juillet 1789 (chromo série Histoire de la Révolution, n°4).

    19 Harangue de Camille Desmoulins au Palais-Royal, le 12 juillet 1789 (chromo série Histoire de la Révolution, n°4).

     

       Mais, quand éclata la Révolution, Camille Desmoulins en adopta les principes avec chaleur, devenant même, malgré son bégaiement, l’un des principaux orateurs du club des Cordeliers, créé par Danton.  Il devint célèbre, lorsque, après avoir appris le renvoi, par le roi Louis XVI, de Necker, le contrôleur général des finances bien aimé du peuple, il se rendit, le 12 juillet 1789, au Palais-Royal, à la terrasse du café de Foye. Du haut d’une chaise, avec un pistolet dans chaque main, il y exhorta la foule à prendre les armes : « Citoyens ! On veut nous égorger ! Il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes et de prendre les cocardes pour nous reconnaître » (la couleur verte de l’espoir fut d’abord choisie, puis abandonnée pour les trois couleurs bleu-blanc-rouge).

     

     

     

     

    Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 (chromo Poilpot-Jacob).

                                  20 Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 (chromo Poilpot-Jacob).

     

        « L’homme du 14 juillet 1789 ». Peut-être excitée par le discours de Camille Desmoulins, une partie du peuple de Paris (les Insurgés), força, le 14 juillet 1789, les murailles de la forteresse royale de la Bastille à peine défendue par une centaine d’hommes. Cette prise de la Bastille, l’un des éléments déclencheurs de la Révolution française, valut à Camille Desmoulins d’être surnommé « l’homme du 14 juillet 1789 ».  Quelque temps après, il créa un journal « Les Révolutions de France et de Brabant », qui connut un certain succès, et il entra dans la vie politique. C’est ainsi qu’à la chute de la monarchie (prise du Palais des Tuileries et arrestation du roi Louis XVI, le 10 août 1792), il devint secrétaire de Danton, ministre éphémère de la Justice (du 10 août au 9 octobre 1971), puis député de la Seine, sous la Convention nationale, du 8 septembre 1792 au 5 avril 1794.

     

        Mais bientôt accusé par Robespierre d’être, comme Danton, trop modéré, il fut condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire, sans avoir pu se défendre. Il fut guillotiné, le 5 avril 1794, en même temps que Danton, sur la place de la Révolution. Il aurait alors déclaré : « Voilà comment devait finir le premier apôtre de la liberté. »

     

     

     

     

    Brillat-Savarin, député à la Constituante (chromo Cie Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 1).

    21 Brillat-Savarin, député à la Constituante (chromo Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 1).

     

     Avocat, député, musicien, conseiller à la Cour de cassation, gastronome. On ne peut terminer cette page sans évoquer Jean Anthelme Brillat-Savarin, un avocat entré dans la politique pendant la Révolution, et qui, non seulement ne fut pas guillotiné sous la Terreur, mais laissa son nom à un célèbre fromage au lait cru de vache !

     

          Il était né, le 2 avril 1755, à Belley, au sein d’une vallée du Rhône. Son père était procureur du roi au baillage de Belley et avocat au Parlement. En 1775, Brillat-Savarin débuta ses études supérieures à la Faculté de Droit de Dijon pour devenir avocat, tout en suivant également des études de médecine. Licencié en droit, il revint, en 1780, à Belley pour y exercer le métier d’avocat au barreau de sa ville natale. Devenu maire de Belley, il fut élu, en 1789, député du Tiers état pour le baillage du Bugey aux États généraux, et siégea à l’Assemblée Nationale Constituante dans le groupe modéré des Girondins. À la dissolution de cette Assemblée, en septembre 1791, Brillat-Savarin revint à Belley et accéda à la magistrature comme président du nouveau tribunal civil de l’Ain, puis suppléant au Tribunal de cassation. Redevenu maire de Belley, son honnêteté scrupuleuse et son gout de la conciliation l’amenèrent à s’opposer à l’introduction du régime de la Terreur dans sa ville de Belley. En représailles, il fut destitué de son poste de maire, le 10 août 1792, et convoqué devant le Tribunal révolutionnaire pour y être jugé.

     

     Proscrit, fugitif et exilé de bonne composition. Bien plus réaliste que d’autres révolutionnaires qui perdirent leur tête sur l’échafaud sans pouvoir se défendre, Brillat-Savarin quitta la France et se réfugia d’abord à Lausanne en Suisse. Il y commença la rédaction du livre de gastronomie qui allait faire passer son nom à la postérité, tout en dégustant des fondues au fromage dans divers établissements dont le restaurant « Au Lion d’Argent ». Puis, après avoir transité par Londres et les Pays-Bas, il rejoignit, en 1794, les États-Unis nouvellement formés. Il y gagna sa vie en donnant des leçons de français et comme premier violon au John Street Theater de New York, tout en enseignant à un chef français l’art des œufs brouillés au fromage.  

     

      Retour en France loin des arènes politiques. En 1796, la bourrasque révolutionnaire ayant laissé place au régime du Directoire « plus bourgeois », Brillat-Savarin rentra en France où il fut successivement secrétaire de l’état major des armées de la République en Allemagne, puis commissaire du gouvernement à Versailles. Sous le Consulat, il fut nommé Conseiller à la Cour de cassation, et conserva cette charge sous tous les régimes, jusqu’à sa mort le 1er février 1826.

     

     

     

    Brillat-Savarin, arbitre de la gastronomie (chromo Cie Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 6).

    22 Brillat-Savarin, arbitre de la gastronomie (chromo Cie Liebib, d’une série de six consacrée à Brillat-Savarin, n° 6).

     

        Les aphorismes de Brillat-Savarin. De nos jours, Brillat-Savarin est surtout connu pour son nom qui a été donné à un grand nombre de mets délicats (gâteau, fromage…), et comme gastronome, auteur de livres de cuisine. Son ouvrage principal, publié en 1825/1826, et réédité en 1834 : Physiologie du goût, ou Méditations de la gastronomie transcendante, a connu un succès considérable (il est en libre accès sur le site gallica de la Bibliothèque nationale de France). Il débute par vingt aphorismes axés sur l’art de la gastronomie :

     

    I. L'Univers n'est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.


    II. Les animaux se repaissent ; l'homme mange ; l'homme d'esprit seul sait manger.


    III. La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.


    IV. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.


    V. Le créateur, en obligeant l'homme à manger pour vivre, l'y invite par l'appétit, et l'en récompense par le plaisir.


    VI. La gourmandise est un acte de jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n'ont pas cette qualité.


    VII. Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s'associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.


    VIII. La table est le seul endroit où l'on ne s'ennuie jamais pendant la première heure.


    IX. La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile.


    X. Ceux qui s'indigèrent ou qui s'enivrent ne savent ni boire ni manger.

     

    XI.L'ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.


    XII. L'ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées.


    XIII. Prétendre qu'il ne faut pas changer de vins est une hérésie ; la langue se sature ; et, après le troisième verre, le meilleur vin n'éveille plus qu'une sensation obtuse.


    XIV. Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.


    XV. On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.


    XVI. La qualité la plus indispensable du cuisinier est l'exactitude ; elle doit être aussi celle du convié.


    XVII. Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d'égard pour tous ceux qui sont présents.


    XVIII. Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé n'est pas digne d'avoir des amis. 


    XIX. La maîtresse de la maison doit toujours s'assurer que le café est excellent ; et le maître, que les liqueurs sont de premier choix.


    XX. Convier quelqu'un, c'est se charger de son bonheur tout le temps qu'il est sous notre toit.

     


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    Droit et justice : la République des avocats en chromos

    1 Un jeune avocat de la Troisième République devant le Palais de Justice de Paris (chromo Ad. Godchau, Habillements pour Hommes & Enfants, 75 rue de Rivoli, Paris. Imprimeur-lithographe de la société Gilbert Baster et Pierre Vieillemard, créée en 1869 à Paris, rue des Capucines).  

     

       L’Été 1870, en deux mots… Il y a cent cinquante et un ans, le 4 septembre 1870, la France changea de régime politique pour la huitième fois depuis 1789 (de 1789 à 1870 : trois monarchies, deux républiques et deux empires !). Deux jours auparavant, le 2 septembre 1870, l’armée française avait été vaincue et l’empereur Napoléon III capturé, à Sedan, par les armées prussiennes (la France avait déclaré, le 19 juillet 1870, la guerre à la Prusse, guerre dite franco-allemande ou franco-prussienne).

     

     

     

     

     

     

    Droit et justice : la République des avocats en chromos 20-3

    2 Le 4 Septembre 1870. Proclamation de la République par Léon Gambetta, un avocat-homme politique, entouré de trois de ses confrères : Jules Ferry, Jules Favre, Adolphe Crémieux (lithographie de l’éditeur-imprimeur E. Pichot, installé à Paris, au 72 quai de Jemmapes. Circa 1900). 

     

     

           « La République, c’est l’inévitable et vous devriez l’accepter » (Léon Gambetta, Chambre des députés, 5 août 1874). Le 4 septembre 1870, après une journée d’émeute et l’envahissement de la Chambre des députés par la foule, une multitude de gens s’était rassemblée place de l’Hôtel-de-Ville à Paris. Léon Gambetta, un jeune avocat, élu député du groupe républicain le 24 mai 1869, accompagné d’autres avocats devenus également députés (Jules Ferry, Jules Favre, Adolphe Crémieux…), proclama d’emblée la IIIème République devant la foule en liesse, en ces quelques mots : « Le peuple a devancé la Chambre qui hésitait. Pour sauver la Patrie en danger, il a demandé la République : elle est proclamée, et cette révolution est faite au nom du droit et du salut public. Citoyens, veillez sur la cité qui vous est confiée ; demain, vous serez avec l’armée des vengeurs de la Patrie. »  

     

     

     

     

    Droit et justice : la République des avocats en chromos 20-3

    3 Narcisse : « Hélas ! Hélas ! » (chromo Chicorée extra La Sans Rivale. Un jour, alors qu’il buvait l’eau d’une source, Narcisse, d’une grande beauté, vit son reflet dans l’eau et en tomba amoureux. Il mourut de cette passion qu’il avait pour lui-même).

     

     

     

        La Parole (la tribune), le Droit (la loi) et le Narcissisme (l’amour de soi). Puis au gré des étapes de la mise en place définitive de cette nouvelle République, beaucoup d’avocats, qui étaient au nombre de 3969 en 1872 (4492 en 1900, 5023 en 1913), accédèrent à la vie politique pour des raisons sibyllines au commun des mortels ainsi qu’à Sigmund Freud, le père de la psychanalyse. Les uns comme députés ou sénateurs (plusieurs centaines), d’autres comme ministres (plusieurs dizaines), et les plus cocardiers comme Présidents de la République (Adolphe Tiers, Jules Grévy) ou Présidents du Conseil (Léon Gambetta, Jules Ferry, Jules Dufaure).

     

          La République des Avocats. On comptait ainsi, des années 1880 à 1914, entre 25 et 40% d’avocats à l’Assemblée nationale, et 35% parmi tous les ministres (sources : Laurent Willemez, La République des avocats, in Michel Offerlé, La profession politique XIXème-XXème siècle, Paris, Belin, 1999, p. 201-229). https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01263619/document

     

     

        « Quelque espérance de vous faire élire à la Chambre des députés » (Stendhal, L. Leuwen, t. 2, 1836, p. 50). La Troisième République (1870-1940) fut alors dénommée la République des Avocats (par exemple : Jean-Louis Debré, La justice au XIXème siècle-Les Républiques des Avocats, Librairie académique Perrin, 1984). C’est sans doute la raison pour laquelle, le journal Le Figaro, dans son édition du 17 mai 2021 dernier, a du se rabattre sur un autre aphorisme pour évoquer notre Vème République exemplaire : « L’âge d’or des avocats au temps d’Éric Dupont-Moretti »: https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-age-d-or-des-avocats-au-tem

     

     

    IIIème et Vème Républiques : « M’enfin ! C’est kif-kif ! ». Aujourd’hui, nos avocats, avec ou sans causes, devenus députés ou sénateurs bénéficient de l’indemnité parlementaire de base qui s’élève à 7 239, 91 € (29 avocats sont actuellement députés; 33 sont sénateurs). Ils peuvent recruter jusqu’à cinq copains, comme collaborateurs et assistants tous frais payés, y compris leurs confrères et consœurs (aux termes de l’article 115 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, un avocat ne peut en droit exercer aucune autre profession… à l’exception de certaines dont les « fonctions de collaborateur de député et d’assistant de sénateur ».). Plus encore, les lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie publique permettent implicitement à un parlementaire de recruter, comme collaborateurs et assistants, les conjoints, partenaires pacsés ou concubins, enfants ou beaux enfants, et parents ou beaux-parents, d’autres parlementaires, avec ou sans réciprocité. Ceux-ci peuvent alors, aux conditions posées par l’article 98 du décret du 27 novembre 1991, accéder à la profession d’avocat, en étant dispensés de la formation initiale au sein des CRFPA (Centres régionaux de formation professionnelle d’avocats…) et de l’obtention du CAPA (certificat d’aptitude à la profession d’avocat), peu important leur talent. Quant au nombre d'avocats devenus Président de la République ou Premier Ministre sous la Vème République, il n'a rien à envier à celui de la IIIème  République (François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, François Hollande quelques mois en 1997, etc.).

     

     

         La République des Avocats en chromos. Pourtant, je n’ai trouvé sur la toile qu’une dizaine de chromos en couleurs d’avocats célèbres de la Troisième République, ayant ou non accédé à la vie politique. Elles ont été éditées entre 1870 et 1890, années de plein essor de ce procédé (plusieurs centaines de millions de chromos ont été éditées par les nouveaux magasins et commerces durant le dernier tiers du XIXème siècle). Je présume que les centaines d’autres avocats renommés de cette époque ont été victimes du déclin progressif du procédé de la chromolithographie, remplacé, dans les années 1900-1910, par celui de la photographie (on trouve sur la toile une multitude de portraits photographiques d’avocats de ces années réalisés par l’atelier de Nadar. Par exemple sur Google image avec ces trois mots : Nadar, avocat, portrait). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas non plus découvert de chromos de femmes avocates du XIXème siècle (les étudiantes licenciées en droit n’ont été admises à plaider que depuis une loi du 1er décembre 1901.

     

     

    Aristide Briand, Chromo Félix Potin

    4 Aristide Briand, 1862-1932, avocat à Saint-Nazaire puis à Pontoise, onze fois Président du Conseil, et vingt-six fois ministre sous la Troisième République (chromo colorée Félix Potin, tirée d’après une photographie de la seconde collection de 510 personnalités célèbres, lancée en avril 1908). 

     

        « Félix Potin, on y revient ». Mais il ne faut pas en déduire que nos commerces de la Belle Époque auraient négligé de commander aux imprimeurs-lithographes des chromos représentant des avocats illustres, de crainte qu’elles ne puissent passionner les enfants sages de leurs clientes (chromos publicitaires) ou les meilleurs écoliers (chromos didactiques dites Récompenses ou Bon-Point). Au contraire, lorsqu’ils se sont convertis, au début du XXème siècle, aux images photographiques, ils n’ont pas hésité à éditer des portraits d’avocats anciens et contemporains.

     

          Par exemple, la maison Félix Potin a édité, entre 1898 et 1952, quatre collections de portraits photographiques de personnalités de l’époque, en noir et blanc, qu’elle glissait dans ses tablettes de chocolat. On y découvre de nombreux avocats comme Henri Barboux, Edgar Demange, Danet, Henri Robert, Fernand Labori, Alexandre Bétolaud, Félix Decori, Mennesson, Raoul Rousset et Aristide Briand… (je les présenterai plus tard dans la rubrique photothèque). Le portrait photographique d’Aristide Briand, ci-dessus reproduit, a même été tiré en chromo colorée. Il s’agit d’un mélange singulier du procédé de la photographie, tirée en noir et blanc, et de la chromolithographie qui permet de rehausser la photographie de quelques couleurs.

     

         Mode d’emploi. com.   Toujours est-il que je vous invite à apprécier quelques chromos en couleur, éditées sous la Troisième République, qui représentent des avocats ayant accédé à la célébrité, soit par la vie politique, soit par leurs plaidoiries, soit par un mélange des deux genres (les avocats et les hommes politiques sont souvent reconnus pour leur talent oratoire).

     

          Cette ballade juridico-chromolithographique (mot inconnu de nos dictionnaires) débutera dans cette page d’aujourd’hui avec Léon Gambetta qui fut député, ministre, Président de la Chambre des députés et Président du Conseil.

     

             Elle se poursuivra, dans la page suivante, publiée dans le courant de la semaine, avec Adolphe Thiers, Président du Conseil et Président de la République.

     

               Elle sera suivie d'une page consacrée à quatre autres Présidents du Conseil ou de la République: ceux illustrant la République dite des Trois Jules: Jules Grévy, Jules Ferry et Jules Dufaure, rejoints par Aristide Briand.

     

          Elle se terminera, un peu plus plus tard, avec une page réservée à d’autres avocats de la Troisième République, souvent plus connus pour leurs plaidoiries que pour leur engagement politique: Pierre-Antoine Berryer, Fernand Labori, Henri Barboux, Jules Favre, et Adolphe Crémieux.

     

            En effet, je ne peux tous les joindre dans la page de ce jour, car d’une part « I’m not done », d’autre part, mon hébergeur gratuit Eklablog me recommande de ne jamais mettre plus de quinze images ou dossiers par page !  

     

     

     

     

    Léon Gambetta, le Borgne (chromolithographie or. 

    5 Léon Gambetta, le Borgne (chromolithographie or. Les portraits de Gambetta, le représente souvent sous son profil gauche. En effet, à l’âge de onze ans, un éclat d’acier lui avait fait perdre son œil droit, alors qu’il regardait travailler un ouvrier-coutelier).

     

       L’étudiant facétieux, surnommé, au Quartier latin, Torvo Oculo. Léon Michel Gambetta est né à Cahors, le 2 avril 1838. Son père, épicier italien aisé, y tenait le « Bazar génois », face à la cathédrale. Inscrit à l’âge de dix ans au Petit séminaire de Montfaucon, il y bénéficia de cette appréciation délicieuse : « Conduite : dissipé. Application : médiocre. Caractère : très bon, très léger, enjoué, espiègle. Talent : remarquable, intelligence très développée ». Il poursuivit ses études au lycée de Cahors et, après avoir obtenu son baccalauréat ès lettres, il décida de faire du droit au grand désespoir de son père qui voulait lui voir reprendre l’épicerie familiale. Il s’inscrivit en 1857 à la Faculté de Droit de l’Université de Paris, dont le prestige lui permettait d’accueillir près de la moitié des étudiants en droit de France (voir mes précédents articles dans la catégorie Faculté de Droit de Paris de ce blog). En 1859, entre deux leçons endormantes de droit romain et du code Napoléon, il signa la déclaration que la loi prescrivait aux enfants nés en France d’un père étranger, et obtint la nationalité française. L’année suivante, licencié en droit, il put s’inscrire comme avocat au Barreau de Paris.  

     

      L’homme de lois, prince du Quartier latin. Tout jeune avocat, Gambetta fut admis à la Conférence Molé (celle-ci fusionnera avec la Conférence Tocqueville en 1875), un club de rencontre (non échangiste !) et de discussion de questions parlementaires, passage obligé des hommes politiques aspirant à devenir Présidents de la République ou Chefs de gouvernement (par exemple : Adolphe Tiers, Mac Mahon, Jules Grévy, Sadi Carnot, Jean Casimir Perier, Félix Faure, Emile Loubet, Armand Fallières, Raymond Poincaré, Jules Simon, Pierre Waldeck-Rousseau, et… Léon Gambetta !). Il fréquenta également les milieux républicains qui se réunissaient dans divers cafés du Quartier latin (le café Voltaire, place du Panthéon, le café Procope, rue de l’Ancienne Comédie, le café du Palais…). Lors de l’une de ces réunions, en 1867, Jules Favre, gloire du Barreau de Paris, l’embrassa comme le représentant de la jeunesse. Quant à sa carrière proprement dite d’avocat, il rejoignit le cabinet d'Adolphe Crémieux, l’un des plus grands avocats de l’époque, qui avait été ministre de la Justice. en 1848, sous l’éphémère Deuxième République. 

     

     

     

     

    Baudin meurt sur une barricade dressée par des ouvriers qui protestaient contre le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte (lithographie en couleur)

    Baudin meurt sur une barricade dressée par des ouvriers qui protestaient contre le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte (lithographie en couleur d’après une gouache. Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France).

     

         L’avocat de l’affaire Baudin. Mais c’est le 14 novembre 1868 que Gambetta acquit une grande réputation à l’occasion du procès concernant la liberté de la presse et son indépendance, suite à la mort, le 3 décembre 1851, de Jean-Baptiste Alphonse Victor Baudin, dit Alphonse Baudin, atteint d’une balle sur la barricade du faubourg Saint-Antoine aux côtés d’ouvriers manifestant contre le coup d’État de Napoléon III. Plusieurs députés de la Deuxième République, dont Baudin, avaient voulu les rejoindre sur cette barricade, mais ils furent repousser en ces termes : « Croyez-vous que nous allons nous faire tuer pour vous conserver vos 25 francs par jour [montant de l’indemnité des députés]». Baudin aurait répondu aux ouvriers après être monté sur la barricade : «Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs ! » (Nul n’a jamais su qui était à l’origine de la balle qui le blessa mortellement !).

     

           « Ce procès me fit entrer par effraction sur la scène du monde » (Gambetta).  Gambetta se distingua au cours de ce procès bien tardif dans la défense de Charles Delescluze, propriétaire du Journal Le Réveil, à qui il était reproché d’avoir ouvert une souscription publique pour ériger un monument à la mémoire de Baudin, prêcheur d’une République authentiquement démocratique et sociale. Il prononça sa plaidoirie sur un ton violent et injurieux contre l’Empire se déclarant même « irréconciliable » avec celui-ci. Certes son client fut condamné à six mois de prison et 2 000 francs d’amende, mais Gambetta fut remarqué par le parti républicain, qui le fit entrer pour toujours dans la vie politique.

     

     

     

     

    Baudin meurt sur une barricade dressée par des ouvriers qui protestaient contre le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte (lithographie en couleur

    Léon Gambetta, un grand personnage de la Troisième République en redingote, aujourd’hui bien oublié* (chromo À La Ville de Saint-Denis).

     

    * voir l’article, publié, en 1961, dans la Revue Suisse d’Histoire, librement accessible en ligne, de Maurice Baumont (1892-1981), spécialiste de la Troisième République française, intitulé « La personnalité et le rôle de Gambetta »: https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=szg-006%3A1961%3A11%3A%3A45

     

      L’homme politique. C’est ainsi que Gambetta fut élu député du groupe républicain, le 24 mai 1869, en même temps dans le quartier populaire parisien de Belleville, et à Marseille (il choisira de représenter Marseille comme député). Il se distingua, le 5 avril 1870, à la tribune du Corps législatif par une diatribe contre un sénatus-consulte de Napoléon III soumis au plébiscite. Puis il fut porté au pouvoir grâce aux émeutes populaires du 4 septembre 1870, qui lui permirent de proclamer la Troisième République devant la foule rassemblée place de l’Hôtel-de-Ville (voir ci-dessus mon baratin sous l’image n°2).

     

     

     

     

    Départ de Gambetta en ballon, le 7 octobre 1870 (chromo didactique Récompense)

                    8 Départ de Gambetta en ballon, le 7 octobre 1870 (chromo didactique Récompense). 

     

            « Le désastre de Sedan a attiré le despotisme d’un seul [Louis-napoléon Bonaparte], mais aussi la défaillance de tous » (Gambetta).  Après le désastre de Sedan, le 2 septembre 1870, et la proclamation de la Troisième République par Gambetta, le 4 septembre suivant, un gouvernement de la Défense nationale fut aussitôt constitué sous l’égide du général Trochu, gouverneur militaire de Paris. Gambetta y fut nommé ministre de l’Intérieur. Mais comme Paris était assiégée par les prussiens depuis le 18 septembre, ce gouvernement chargea Gambetta de quitter la capitale pour tenter de réorganiser la défense de nos armées en province. Pour rejoindre Tours, Gambetta eût alors l’idée d’emprunter une montgolfière qui s’éleva au matin du 7 octobre 1870.

     

     

     

     

    Troisième République-1870. Départ de Gambetta en ballon-1871 (chromo Perles du Japon, rue Antoine Chapu, à Paris).

    Troisième République-1870. Départ de Gambetta en ballon-1871 (chromo Perles du Japon, rue Antoine Chapu, à Paris). 

     

       L’envol agité de Gambetta. Les illustrateurs et imprimeurs de chromolithographies de l’époque se ruèrent sur cet événement peu commun, et les grands commerces et magasins multiplièrent les chromos publicitaires et didactiques à destination des enfants de leurs clientes, présumés être émerveillés par ce vol en ballon. C’est la raison pour laquelle on trouve aujourd’hui sur la toile de très nombreuses chromos en couleurs de la fin du XIXème siècle représentant cet acte de bravoure de Gambetta, notre jeune avocat-homme politique. Toutefois, ces chromos didactiques s’abstiennent de mentionner que l’envol de Gambetta se solda par une déconfiture complète comme le raconte le contributeur du site herodote.net :

     

    « Gonflé au gaz d'éclairage, le ballon de 16 mètres de diamètre s'élève au matin du 7 octobre 1870, de la butte Montmartre avec à son bord l'impétueux ministre et un assistant. Mais le vent le pousse vers le nord et les lignes prussiennes... Les deux voyageurs lâchent du lest pour s'élever et échapper aux tirs ennemis. Leur ballon s'écrase en milieu d'après-midi près de Beauvais, où ils sont recueillis par des paysans. Après trois jours de voyage épique en voiture à cheval et en train, Gambetta arrive enfin à Tours où il rejoint une délégation gouvernementale dirigée par Adolphe Crémieux… » (source : herodote.net. Le media de l’histoire. 7 octobre 1870, Gambetta quitte Paris en ballon). https://www.herodote.net/almanach-ID-1873.php#:~:text=Gonfl%C3%A9%20au%20gaz%20d'%C3%A9clairage,et%20%C3%A9chapper%20aux%20tirs%20ennemis

     

     

     

     

     

    Gambetta (chromo d’une série didactique intitulée Souvenirs historiques nationaux).

                     10 Gambetta (chromo d’une série didactique intitulée Souvenirs historiques nationaux).  

     

      L’homme de guerre infortuné. Ayant quand même pu rejoindre Tours, « Gambetta s’attache à raviver le patriotisme de la délégation gouvernementale dans une proclamation éloquente. Il poursuivit les armements et organise de nouvelles armées qui engageront avec l’ennemi la lutte suprême » (note de J. Boss, au dos d’une chromo didactique). Mais « obligé d’abandonner Tours lorsque les Prussiens eurent pris Orléans et s’avancèrent dans la vallée de la Loire, Gambetta transporta le gouvernement à Bordeaux. Les dernières armées qu’il forma et qu’il compromit en leur imposant une mauvaise direction, furent défaites. Paris capitula à la fin de janvier 1871. Gambetta ne désespéra point encore. Il voulait continuer la guerre à outrance, mais une Assemblée nationale avait été réunie et voulait la paix » (note de G. Ducoudray au dos d’une autre chromo didactique). Un armistice fut alors signé par Jules Favre, au nom du gouvernement français, avec Bismarck, fin janvier 1871, et Gambetta, qui y était défavorable, démissionna du gouvernement le 6 février 1871.  

     

     

     

     

    Gambetta : « Pensons-y toujours, n’en parlons jamais » (chromo didactique).

                     11 Gambetta : « Pensons-y toujours, n’en parlons jamais » (chromo didactique).  

     

       L’homme symbole des républicains. Gambetta ne tarda pas à revenir siéger à l’Assemblée comme député du Bas-Rhin puis de la Seine, et à prendre la direction du parti de l’Union républicaine. Il fut alors l’adversaire le plus redoutable des partis monarchiques, luttant dans la presse (ses journaux : La République française, et La Petite République française), dans les réunions, dans ses voyages à travers la France pour faire triompher la République. Ses discours le rendirent justement célèbre. C’est d’ailleurs en faisant allusion à la prochaine revanche des Français contre les Allemands qui avaient gagné les deux provinces sœurs de l’Alsace et de la Lorraine, qu’il prononça lors des élections de juillet 1871 ces paroles légendaires : « Pensons-y toujours, n’en parlons jamais » (autrement dit la revanche n’est pas pour tout de suite. Elle aura lieu avec la victoire de la guerre de 1914-1918 qui permit la réintégration de l’Alsace-Lorraine à la France). 

     

     

     

     

    Gambetta, Président du Conseil du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882 (chromo Cordonnerie française, 18 rue Turbigo, Paris).

    12 Gambetta, Président du Conseil du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882 (chromo Cordonnerie française, 18 rue Turbigo, Paris).  

     

        « On ne jure que par Gambetta. Il devient légendaire » (Jules Grévy). Gambetta fut encore l’artisan des lois constitutionnelles de 1875 instaurant définitivement la Troisième République (loi du 24 février 1875 sur l’organisation du Sénat ; loi du 25 février 1875 sur l’organisation des pouvoirs publics ; loi du 16 juillet 1875 sur les rapports entre les pouvoirs publics). Réélu plusieurs fois député des Bouches du Rhône, du Bas Rhin ou de Paris de 1875 à 1881, il deviendra, sous la présidence de la République de Jules Grévy, lui aussi un ancien avocat, Président du Conseil et ministre des Affaires Étrangères le 14 novembre 1881. Mais il sera renversé, moins de trois mois après, le 30 janvier 1882.

        

          « Que n’a-t-on pensé qu’il faut vingt années pour former un Gambetta quand on en trouve un, et qu’il ne faut que l’accident d’une seconde pour le perdre » (Jean-Jacques Weiss). Gambetta décédera, la même année, à l’âge de 44 ans, dans la nuit du 31 décembre 1882 au 1er janvier 1883, dans sa propriété des Jardies à Ville d’Avray, des suites d’une pérityphlite*. Sa mort fut un deuil pour tous les patriotes républicains français. Son cercueil enveloppé d’un linceul fut accompagné jusqu’au cimetière du Père Lachaise par plusieurs centaines de milliers de personnes.

     

    * « Le 18 décembre, Gambetta ressent de cruelles douleurs au ventre : l’abdomen graisseux et gonflé présente une sorte d’empâtement : c’est ce que les traités de médecine de l’époque désignent sous le nom de pérityphlite, inflammation greffée sur le cœcum et risquant de provoquer soit la péritonite simple, soit la péritonite par perforation ».— (Alexandre Zévaès, Histoire de la Troisième République 1870 à 1926, Éditions Georges-Anquetil, 1926, p.217). 

     

     

     

    La Troisième République française vue par les allemands amateurs de bouillons cube (chromo Liebig).

    13 La Troisième République française vue par les allemands amateurs de bouillons cube (chromo Liebig).

     

                « À suivre… ». À très bientôt avec cinq autres avocats devenus, sous la Troisième République, Présidents de la République ou du Conseil, en chromos de l’époque : Adolphe Thiers, Jules Grévy, Jules Ferry, Jules Dufaure et Aristide Briand.


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    Adolphe Thiers (chromo Chocolat Ibled Mondicourt, Paris. Circa 1890).

                   14 Adolphe Thiers (chromo Chocolat Ibled Mondicourt, Paris. Circa 1890).   

     

     

          « C’est un gamin qui a le feu sacré » (Talleyrand à propos de Thiers).  Louis Adolphe Thiers était originaire de Marseille, où il naquit le 15 avril 1797. Enfant naturel, il fut légitimé par son père, Pierre-Louis Thiers, lorsque celui-ci, devenu veuf, épousa sa mère. Délaissé à son plus jeune âge par ce père devenu homme politique, Adolphe Thiers fut élevé par sa famille maternelle. Boursier au lycée de Marseille (aujourd’hui Lycée Thiers), il s’y distingua pour ses capacités intellectuelles soulignées par son professeur de rhétorique en ces termes : « Il réunit aux plus heureuses dispositions pour les sciences et les belles-lettres, l’amour de l’étude et le désir de se distinguer dans une profession honorable ».

     

            Sur les conseils de son proviseur, la profession dans laquelle Thiers choisit d’entrer fut celle du barreau (son grand-père paternel était avocat). Il s’inscrivit alors, en 1815, à la Faculté de Droit d’Aix-en-Provence (à cette époque Marseille n’avait pas de Faculté de Droit. Aujourd’hui, la Faculté de Droit de l’université d’Aix-Marseille est implantée sur trois sites : Aix-en-Provence, Marseille et Arles). Le 29 août 1818, Adolphe Thiers obtint sa licence en droit et, en novembre de la même année, il fut admis avocat au barreau d’Aix. Il s’essaya également à l’écriture, rédigeant un mémoire sur l’éloquence judiciaire, qui fut récompensé par le prix de littérature de la Société des Amis des Sciences et des Arts.

     

     

     

     

     

    15 Adolphe Thiers (chromo éditée par la Librairie Universelle d’Alfred Duquesne à Paris. Circa 1880-1890).

    15 Adolphe Thiers (chromo éditée par la Librairie Universelle d’Alfred Duquesne à Paris. Circa 1880-1890).

     

     

    « Monsieur Thiers, sait tout, parle de tout, tranche sur tout… » (Sainte-Beuve à propos de Thiers).  Mais revenu de sa carrière d’avocat, Thiers monta à Paris, en septembre 1821, à l’âge de 24 ans (sauf erreur de ma part, il ne s’est pas inscrit au barreau de la capitale). Il collabora comme journaliste dans Le Constitutionnel, puis à La Gazette d’Augsbourg, et rédigea une Histoire de la Révolution française, dont les dix volumes, publiés entre 1823 à 1827, connurent un énorme succès. Le journaliste et historien Thiers suscita aussitôt l’attention de personnalités de l’époque comme Tocqueville, Chateaubriand, Stendhal, Sainte-Beuve et Talleyrand, lequel s’attachera à le faire entrer dans la vie politique.

     

          « Palinodie : changement d’opinion et principalement d’opinion politique ». Thiers, happé par le démon de la politique occupera ainsi des postes d’élu ou de pouvoir, tout au long de sa vie jusqu’à l’âge de 80 ans, et ce sous la plupart des régimes successifs : monarchie de juillet (1830-1848), Deuxième République (1848-1852), Second Empire (1852-1870), et Troisième République (1870-1940). 

     

        À ses tout débuts dans la vie politique, Thiers se montra hostile à l’instauration d’un régime républicain et partisan du retour à la monarchie de Louis-Philippe. Après la Révolution de Juillet dite des Trois Glorieuses (journées des 27 au 29 juillet 1830), qui porta sur le trône royal Louis-Philippe, Thiers fut récompensé, sans doute grâce à Talleyrand qui était très écouté du nouveau roi. En moins de trois mois, Thiers fut alors admis au Conseil d’État (le 11 août 1830), élu député à Aix (le 21 octobre 1830), et nommé sous-secrétaire d’État aux Finances dans le ministère Laffitte (le 4 novembre 1830).

     

     

     

     

     

     

    Adolphe Thiers (chromo Maison Chocolat Guérin-Boutron).

                                 16 Adolphe Thiers (chromo Maison Chocolat Guérin-Boutron).

     

      Un monarchiste devenu républicain. Sous la monarchie de juillet (1830-1848), Thiers, orléaniste primitif, sera nommé par Louis-Philippe, le 11 octobre 1832, ministre de l’Intérieur, dans le premier ministère Soult (octobre 1832 à juillet 1834). Puis, sous ce même régime, il sera nommé, à deux reprises, président du Conseil (du 22 février 1836 au 6 septembre 1836, et du 1er mars au 29 octobre 1840).

     

           Sous le Second Empire (1852-1870), alors qu’il avait précédemment soutenu Louis-Napoléon Bonaparte, il se déclara hostile au rétablissement de l’Empire par celui-ci. Aussi, après le coup d’État de Louis-Napoléon du 2 décembre 1851, Thiers fut-il proscrit, d’abord emprisonné, puis exilé dans divers pays étrangers. Revenu en France en 1852, il se tint dans un premier temps à l’écart de la vie politique et publia une Histoire du Consulat et de l’Empire en vingt volumes, qu’il avait commencée à rédiger en 1843, et qui connut un nouveau succès d’édition.

     

     

     

     

     

     

    Discours d’Adolphe Thiers au Corps législatif, en mars 1867, prévoyant le désastre de 1870 (chromo Carpentier-Thé Royal).

    17 Discours d’Adolphe Thiers au Corps législatif, en mars 1867, prévoyant le désastre de 1870 (chromo Carpentier-Thé Royal).

     

        « C’est la faute à Napoléon III ! ». Plus tard, élu député de la Seine au Corps législatif (du 31 mai 1863 au 4 septembre 1870), Thiers sera un adversaire résolu de Napoléon III, combattant notamment en vain le projet de guerre de celui-ci contre la Prusse. En mars 1867, son réquisitoire du haut de la tribune du Corps législatif contre la politique aventurière du gouvernement concernant la Prusse (et l’Italie) se terminait par cet avertissement : « Il n’y a plus une seule faute à commettre ». Thiers fut un bon prophète puisque, quelques temps après, le 19 juillet 1870, la France commit la faute de déclarer la guerre à l’Allemagne (ou la Prusse), qui se solda par le désastre de Sedan, le 2 septembre 1870, avec la défaite de l’armée française et la capture de l’empereur Napoléon,  

     

     

     

     

     

     

     

    Entrevue entre Thiers et Bismarck, en mai 1871  (chromo-lithographie).

                    18 Entrevue entre Thiers et Bismarck, en mai 1871  (chromo-lithographie).

     

      Sous la Troisième République (1870-1940), Thiers sera nommé par l’Assemblée nationale chef du pouvoir exécutif de la République française, c’est-dire à la fois chef de l’État et chef du gouvernement (du 17 février au 31 août 1871). C’est à ce titre qu’il négocia et conclut avec le Chancelier Bismarck, le 10 mai 1871, le traité de Francfort par lequel la France vaincue et occupée par l’armée prussienne, acceptait de céder à l’Allemagne l’Alsace et une partie de la Lorraine, et de lui payer une indemnité de guerre de 5,5 milliards de francs.

     

     

     

     

     

     

     

    Adolphe Thiers, Président de la République française (chromo de l’éditeur-imprimeur Ad. Mertens, Bruxelles).

    19 Adolphe Thiers, Président de la République française (chromo de l’éditeur-imprimeur Ad. Mertens, Bruxelles).

     

      Proclamé Président de la République le 31 août 1871, Thiers donna tous ses soins à l’accélération de la libération du territoire, permettant en deux ans le remboursement de l’indemnité de guerre due à l’Allemagne, grâce au lancement de deux emprunts en juin 1871 et juillet 1872.

     

       Mais, converti à une république conservatrice, Thiers s’aliéna la majorité monarchiste à la Chambre et dut démissionner, le 24 mai 1873, et céder la place au maréchal de Mac-Mahon. Ayant retrouvé son siège de député, Thiers devint le chef du parti républicain et lutta contre la politique de Mac-Mahon.

     

     

     

     

     

    « Le Libérateur du Territoire, le voilà ! »  Gambetta désignant Thiers le 18 juin 1877 à la Chambre des députés

                          20 « Le Libérateur du Territoire, le voilà ! » (chromo-lithographie)

     

       C’est à l’occasion d’une séance à la Chambre des députés, le 18 juin 1877, que ses adversaires lui contestèrent publiquement la gloire d’avoir débarrassé la France des armées allemandes. Devant cette assertion, Thiers, fatigué par l’âge (80 ans !), resta impassible. Léon Gambetta bondit alors à la tribune et, désignant l’ancien Président de la République d’un geste large, s’écria d’une voix vibrante, sous les applaudissements d’un grand nombre de ses collègues « Le Libérateur du Territoire, le voilà ».

     

     

     

     

     

    Les obsèques d’Adolphe Tiers : le cortège passant sur le boulevard Saint-Denis au niveau de la porte Saint-Martin (Recueil Images d’Epinal de la Maison Pellerin, tome 9, 1875-1880. Illustration datée 1877. Source : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographies. FOL-LI-59. 9).

    21 Les obsèques d’Adolphe Tiers : le cortège passant sur le boulevard Saint-Denis au niveau de la porte Saint-Martin (Recueil Images d’Epinal de la Maison Pellerin, tome 9, 1875-1880. Illustration datée 1877. Source : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographies. FOL-LI-59. 9).

     

     

         « Patriam dilexit-Veritatem [Il a chéri sa patrie, et cultivé, vénéré la vérité]» (épitaphe apposée sur le monument où Thiers repose au cimetière du Père-Lachaise). Thiers décédera, moins de trois mois après cet incident, le 3 septembre 1877. Cinq jours plus tard, près d’un million de Parisiens assistèrent à ses obsèques. Les illustrateurs attitrés des enfants de la Troisième République se ruèrent sur cet événement comme la célèbre maison d’imageries Pellerin-Epinal (image ci-dessus). Et, quelques années plus tard, les grands magasins, commerces et chocolatiers éditèrent des chromos didactiques et/ou publicitaires enfantines, représentant Adolphe Thiers (la plupart d’entre elles sont sur cette page). Aujourd’hui encore, plus d’une centaine de villes de France consacrent une place ou une avenue à Adolphe Thiers.

     

     


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    Jules Grévy, président de la République du 30 janvier 1879 au 2 décembre 1887 (chromo Au Gant Royal-Maison d’Or, Bruxelles)

    22 Jules Grévy, président de la République du 30 janvier 1879 au 2 décembre 1887 (chromo Au Gant Royal-Maison d’Or, Bruxelles).

     

      Jules, de Julius/Julia (patronyme d'une famille romaine qui prétendait descendre de Iule, le fils d'Énée). Jules Grévy, au prénom fort répandu chez les hommes politiques de la Troisième République (Jules Favre, Jules Simon, Jules Dufaure, Jules Ferry…), pour cette raison dénommée la République des Jules, naquit, le 15 août 1807, à Mont-sous-Vaudrey, dans le Jura.

     

        Après ses études au collège de l’Arc à Dole, puis à celui de la ville de Poligny (aujourd’hui collège Jules Grévy), cet enfant jurassien monta à Paris « faire son droit ». Étudiant un peu bohème, il obtint sa licence à l’École de Droit, tout en fréquentant les conférences de l’Athénée et le café de la Régence.

     

       Renoncement à une carrière universitaire. Dans un premier temps, Jules Grévy souhaitait devenir Professeur de Droit à l’Université, mais il renonça bien vite à ce projet par crainte de rater le concours de la Faculté de Droit de Paris, et espérance de gagner bien plus d’argent comme avocat. Voici le texte de la lettre qu’il adressa à son père pour l’en informer :

     

    Mon cher papa,

    On t’a dit la vérité : mon intention était de me présenter, au printemps de l’année dernière, au concours ouvert à la Faculté de Paris pour une chaire de droit français.

     Outre que je n’étais pas sûr d’être nommé, je ne sais pas si c’eût été un bien grand bonheur pour moi que d’y réussir.

    Je commence à être connu au Palais, à m’y caser. J’y ai fait, cette année surtout, des progrès très sensibles en ce sens, et tout me fait espérer que, avant trois ou quatre ans, j’y aurais une position infiniment préférable à celle que pourrait me donner le plus heureux concours, préférable sous le rapport des émoluments, préférable surtout pour la carrière qu’elle ouvrira devant moi… » (source : Pierre Jeambrun. Jules Grévy ou la République Debout. Librairie Jules Tallendier. 1991).

     

      Le choix d’une carrière d’avocat. Sous la Monarchie de Juillet (du 9 août 1830 au 24 février 1848), Jules Grévy fut admis avocat stagiaire à la Cour royale de Paris, le 17 juin 1837, et il s’inscrivit au Barreau de la capitale le 7 juillet 1840. Il connut alors des débuts professionnels un peu difficiles, à l’instar de tout provincial sans fortune ni appui.

     

        À l’âge de vingt-neuf ans, apprenti jurisconsulte et praticien du droit sans grande expérience, Jules Grévy publia un livre de près de 500 pages, sous ce titre bien ennuyeux pour les personnes étrangères à la science juridique : Le Procédurier, recueil général de formules pour tous les actes judiciaires auxquels donnent lieu les dispositions du Code de procédure, du Code civil et du Code de commerce (Paris, Audin, 1836).

     

           Puis, Jules Grévy délaissa la procédure civile et commença à plaider des procès politiques. C’est ainsi qu’il assura la défense devant la Cour des pairs, en 1839 et 1840, de deux républicains qui avaient participé à Paris, les 12 et 13 mai 1839, à l’insurrection des « Saisons* » : Philippet, un ouvrier cordier, et Quignot, l’un des chefs de l’insurrection (*la « Société des Saisons » était une association républicaine à tendance jacobine, dirigée par Armand Barbès et Auguste Blanqui, qui souhaitait l’instauration d’une république sociale à la place du gouvernement monarchique). Une centaine d’insurgés et membres des forces de l’ordre ayant trouvé la mort au cours de ces journées, plusieurs dizaines d’émeutiers furent jugés pour atteinte à la sécurité de l’État. Barbès et Blanqui furent condamnés à mort (leur peine fut commuée en déportation). Quant à Philippet, il fut condamné à six ans de détention, et Quignot à quinze ans.

     

     

     

     

     

    Alphonse de Lamartine, le poète-homme politique (chromo didactique enfantine

     23 Alphonse de Lamartine, le poète-homme politique (chromo didactique enfantine. Lamartine fut député sous le règne de Louis-Philippe, puis membre du gouvernement provisoire installé à l’Hôtel-de-Ville, qui proclama la Deuxième République).

     

         « Je ne veux pas que la République fasse peur » (déclaration de Jules Grévy en 1848). Encore avocat, la carrière politique de Jules Grévy débuta avec la Révolution française du 22 au 25 février 1848, au cours de laquelle, sous l’impulsion de libéraux et de républicains, une partie du peuple de Paris se souleva contre le pouvoir royal, contraignant le roi Louis-Philippe à abdiquer, le 24 février, en faveur de son petit-fils, Philippe d’Orléans. Le même jour, fut proclamée la Deuxième République (du 24 février 1848 au 2 décembre 1852), par Alphonse de Lamartine. Jules Grévy fut alors nommé commissaire de la République dans le Jura par le gouvernement de Ledru-Rollin, puis élu député du Jura à l’Assemblée constituante (avril 1848).

       

           C’est à l’occasion des débats relatifs à l’élaboration de la Constitution que Jules Grévy déposa un amendement constitutionnel pour empêcher l’élection d’un président de la République au suffrage universel, pourtant souhaitée par Alphonse de Lamartine. En voici, le texte : « L’Assemblée nationale délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président du conseil des ministres. Le président du conseil des ministres est nommé par l’Assemblée nationale, au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages… »). Cet amendement fut rejeté et, l’année suivante, Jules Grévy fut élu député à l’Assemblée législative et vice-président de celle-ci. Siégeant avec la gauche, il y défendit la liberté de la presse, vota contre l’état de siège, et s’opposa à l’expédition d’un corps français à Rome voulue par Louis-Napoléon Bonaparte pour porter secours aux républicains insurgés contre les prétentions papales et la domination autrichienne.

     

     

     

     

    Napoléon III. Chromo

    24 La valse des régimes politiques : Louis-Napoléon Bonaparte, l’ex-président de la Deuxième République, empereur du Second Empire (chromo Chicorée À la Bergère, Émile Blondel, Haubourdin. Département du Nord). 

     

        Jules Grévy : avocat plaidant et consultant. Mais, après le coup d’État du 2 décembre 1851, à l’origine du Second Empire et de la nomination de Louis-Napoléon Bonaparte alors président de la Deuxième République comme empereur sous le nom de Napoléon III, Jules Grévy fut arrêté et emprisonné à l’ancienne prison de Mazas pour avoir défendu la Constitution républicaine. Une fois libéré, il quitta la politique et se consacra entièrement à sa fonction d’avocat. En 1852, il fut élu membre du conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris, et, le 4 août 1868, bâtonnier de cet Ordre (siégeaient à côté de lui notamment Maîtres Berryer, Allou, Jules Dufaure, Marie, Jules Favre, Colmet d’Aage, Ernest Picard, Arago, Betolaud…). Il fut réélu bâtonnier, le 9 août 1869.

     

     

     

     

     

    Maître Jules Grévy (chromo).

                                                            25 Maître Jules Grévy (chromo).

     

        Du port de la barbe (et de la redingote) à la Belle Époque. Disparue au XVIIème siècle, la barbe revint à la mode dans la seconde moitié du XIXème siècle. Dans un premier temps, Jules Grévy choisit de porter une barbe courte taillée en collier, sans moustache. Lorsqu’il sera élu président de la République, en 1879, il portera une barbe plus étoffée et une moustache, toutes deux blanches (il était âgé de soixante-douze ans), comme le montrent les autres chromos de cette page (les caricaturistes de l’époque le représentaient en singe !).

        

       De la stratégie oratoire de Maître Jules Grévy, par Maître Laurier, l’un de ses collègues du barreau :

     

    « À la barre, il est redoutable pour un adversaire, précis, serre, sans faconde, professant et pratiquant l'horreur de la phrase. Il plaide avec une simplicité extraordinaire, sans faste, presque sans bruit, comme un homme qui ne s'attache qu'au raisonnement ; il ne fait aucun cas du reste. Il parle d'une voix claire, nette, peut-être un peu molle, contraste singulier avec le nerf de sa dialectique ; mais sous cette parole négligée et comme flottante, on sent bien vite une argumentation de premier ordre.

       Incapable, d'ailleurs, d'employer un moyen douteux, préoccupé non de séduire, mais de convaincre, il plait néanmoins, malgré lui, par une espèce de bonhomie ronde et malicieuse en même temps, qui donne à sa logique une saveur particulière et fait de lui une sorte de Phocion légèrement teinté de Franklin ».

     

     

     

     

     

     

    Clef des songes : « Si vous rêvez pot de vin,…Vous serez député » (chromo Chocolat Payraud).

    26 Clef des songes : « Si vous rêvez pot de vin,…Vous serez député » (chromo Chocolat Payraud).

     

       Triskaïdékaphobie ou la peur du nombre Treize. Parmi les nombreuses affaires plaidées par Jules Grévy, la plus absurde fut celle du comité électoral, dit des Treize par référence au nombre d’hommes politiques, pour la plupart avocats ou avoués, poursuivis par le pouvoir impérial pour « réunion d’association non autorisée de plus de vingt personnes ». En effet, à l’occasion des élections de 1863 et 1864, des avocats républicains, hostiles au pouvoir en place et rêvant d’être députés, avaient tenu un comité électoral au cours duquel la police, ayant fait irruption, dénombra plus de vingt personnes présentes ! Plus encore, il fut saisi un « Manuel électoral » qui donnait des conseils pour devenir député républicain, dossier aussitôt présumé fort suspect par le parquet impérial couché. Quelques uns de ces dangereux hommes-de-lois furent condamnés à de simples amendes, et les autres acquittés, grâce au changement de régime politique et aux plaidoiries de leurs propres avocats. Parmi ces derniers, futurs députés, sénateurs inamovibles, ministres, voire chef du gouvernement ou président de la République : Jules Grévy (il assurait la défense d’Amaury Dréo, un avocat à la Cour impériale) ; Jules Favre, bâtonnier de l’Ordre du Barreau de Paris, Ernest Picard, Jules Dufaure et Emmanuel Arago.

     

          Pour les amateurs de plaidoiries, voici, en accès libre, celle de Jules Grévy :

    https://www.furet.com/media/pdf/feuilletage/9/7/8/2/0/1/3/5/9782013528726.pdf

     

     

     

     

     

     

    Jules Grévy, joueur de billard (chromo)

                                                  27 Jules Grévy, joueur de billard (chromo).

     

        Pour les amateurs de jeux soumis à d’autres règles, je rappellerai que Jules Grévy fut également l’un des meilleurs joueurs de billard (et d’échecs*) des salons parisiens, comme le rappelait son contemporain Edmond Auguste Texier (1815-1887), un journaliste, poète et romancier, en ces termes : 

     

    - Un jour, passant par Lons-le-Saunier, je parlais de M. Grévy au maître de l'hôtel où j'étais descendu.

    -  Il y en a deux, me répondit-il; duquel voulez-vous parler ?

    -  De M. Jules Grévy !

    -  Ah ! le joueur de billard !

    -  M. Grévy joue au billard ?

    - Ah ! Monsieur, le plus beau coup de queue de toute la Franche Comté !

     

    *En 1877, la censure interdira, comme dessin subversif, un numéro de la Lune rousse qui représentait Jules Grévy jouant aux échecs.

     

     

     

     

     

    La Folle année 1870 (Chromo-lithographie de l’almanach-calendrier à effeuiller de l’année 1870.

    28 La Folle année 1870 (Chromo-lithographie de l’almanach-calendrier à effeuiller de l’année 1870. La Folle est le titre d’une nouvelle de Guy de Maupassant mettant en scène cette année noire marquée par la guerre franco-prussienne, l’effondrement du Second Empire et la proclamation de la Troisième République).

     

     Les prémisses de La République des avocats. À la fin du Second Empire (1852-1870), Jules Grévy revint à la vie politique. Élu député du Jura en 1868 et 1869 à l’Assemblée législative, il siégea dans le groupe minoritaire des Républicains (à peine 10,6%, contre 14,5% pour le groupe des Royalistes, 32,5% pour le groupe des Bonapartistes, et 42,4% pour celui des Bonapartistes libéraux). Il y côtoya d’autres avocats futurs hommes d’État comme Léon Gambetta, Adolphe Thiers, Jules Ferry, Jules Favre et Adolphe Crémieux.

     

      Une nouvelle Bérézina. C’est à l’occasion de ce mandat parlementaire qu’il s’opposa, sans succès, avec Adolphe Thiers et Léon Gambetta, à la déclaration de la guerre à la Prusse, le 19 juillet 1870, par l’empereur Napoléon III. La suite est bien connue : le 2 septembre 1870, l’armée française fut vaincue et l’empereur Napoléon III capturé, à Sedan, par les armées prussiennes. Le 4 septembre 1870, après une journée d’émeute et l’envahissement de la Chambre des députés par la foule, Léon Gambetta, accompagné notamment de Jules Ferry, Jules Favre et Adolphe Crémieux, proclama la Troisième République devant la foule en liesse rassemblée devant l’Hôtel-de-Ville.

     

     

     

     

     

    Jules Grévy, président de la République (chromo Chocolat Guérin-Boutron).

         29 Jules Grévy, président de la République (chromo Chocolat Guérin-Boutron).

     

        L’ascension présidentielle de Jules Grévy. Puis, en février 1871, Jules Grévy fut élu président de l’Assemblée nationale déplacée à Bordeaux (il démissionnera en avril 1873), et cumulera cette fonction avec celle d’avocat, tantôt plaideur, tantôt consultant. Le 8 mars 1876, devenu président de la Chambre des députés, il fera preuve d’une grande fermeté lors de la crise institutionnelle du 16 mai 1876 qui opposait le président de la République, le Maréchal Mac-Mahon, monarchiste, à cette Chambre dont la majorité devenue républicaine était menée notamment par Léon Gambetta (voir sur ce blog : http://droiticpa.eklablog.com/droit-et-justice-la-republique-des-avocats-en-chromos-20-4-a207837720).

     

             Lorsque Mac-Mahon démissionna de la présidence de la République, asphyxié par la montée en puissance des républicains, Jules Grévy se présenta à l’élection présidentielle pour contrer les monarchistes (Mac-Mahon avait dû nommer chef du gouvernement Jules Dufaure, un républicain, ancien avocat, et il devait faire face à une majorité républicaine à la fois à la Chambre et au Sénat).

     

           Le 30 janvier 1879, Jules Grévy fut élu président de la République par le Congrès réuni à Versailles, devenant ainsi le premier président issu des rangs républicains. C’est à cette occasion qu’il se retira définitivement du Barreau de Paris (il vendit son cabinet à son confrère Waldeck-Rousseau, lequel deviendra, le 22 juin 1899, chef du Gouvernement de Défense républicaine).

     

     

     

     

    Jules Grévy, président de la République : 1879-1887 (chromo Chocolat Turenne, série des Rois de France et des Chefs d’État)

    30 Jules Grévy, président de la République : 1879-1887 (chromo Chocolat Turenne, série des Rois de France et des Chefs d’État).

     

     La chute vertigineuse de Jules Grévy. Après un premier mandat complet, Jules Grévy, alors âgé de 78 ans, sera réélu, le 30 janvier 1886, à la présidence de la République. Toutefois, il ne put assurer un second mandat complet. En effet, il démissionnera, le 2 décembre 1887, suite à l’implication de son gendre, Daniel Wilson, dans le vaudeville politico-franchouillard de la vente des décorations et médailles françaises aux plus offrants.

     

    « Jadis, on était décoré et content, aujourd’hui, on est décoré comptant » (Alfred Capus. 1828-1922). Jules Grévy avait attribué à son gendre, député républicain, un bureau au Palais de l’Élysée. Depuis ce bureau, Daniel Wilson faisait décerner des décorations et des médailles, moyennant moult argent, aux personnes avides de reconnaissance nationale. Après une violente campagne de presse, la Chambre des députés avait autorisé, le 17 novembre 1887, l’ouverture d’une action judiciaire contre Daniel Wilson (Jules Grévy s’étant opposé à une commission d’enquête, les députés l’avaient menacé de faire grève !). Suite à cette décision et aux attaques de ses adversaires politiques (Georges Clémenceau et Jules Ferry), Jules Grévy démissionna de son mandat de président de la République le 2 décembre 1887, laissant ces quelques mots :

     

    « En quittant le pouvoir, j’ai la consolation de penser que, durant les cinquante-trois années que j’ai consacrées au service de mon pays, comme soldat* et comme citoyen, je n’ai jamais été guidé par d’autres sentiments que ceux de l’honneur et du devoir, et par un dévouement absolu à la patrie.» (* Je n’ai trouvé dans les biographies en ligne de Jules Grévy aucune référence à son passé de soldat. Peut-être se référait-il à sa participation aux « Trois Glorieuses » de juillet 1830, avec la prise de la caserne de Babylone ? Bienvenu pour un commentaire). 

     

         « La République exemplaire n’est pas celle qui fait zéro faute » (E. Macron, 25 juillet 2018). On notera encore que Daniel Wilson, condamné en première instance à deux ans de prison, le 23 février 1888, fut acquitté en appel au motif qu’aucune loi ne punissait alors le trafic d’influence (depuis 1889, le trafic d’influence est sanctionné en droit pénal français : Code pénal, art. 432-11. En revanche, les hommes politiques de notre actuelle Vème République exemplaire, lorsqu'ils sont condamnés pénalement dans l’exercice de leurs fonctions, conservent, le plus souvent, leurs décorations nationales, sans que nul ne s’en émeuve !). Cerise sur le gâteau, Daniel Wilson fut, de nouveau, élu député en 1893 et 1898 !

     

      Victime collatérale des pratiques équivoques de son gendre, Jules Grévy mourra, quatre ans plus tard, le 9 septembre 1891, d’une congestion pulmonaire, à Mont-sous-Vaudrey, le village jurassien de son enfance. Bien qu’anticlérical notoire, il avait accepté, au seuil de sa mort, l’Extrême-onction ou derniers sacrements d’un homme d’Église.

     

     

     

     

     

    Le sphinx royal Jules Grévy (chromo des années 1882-1884 sous la première présidence de la République de Jules Grévy)

    31 Le sphinx royal Jules Grévy (chromo des années 1882-1884 sous la première présidence de la République de Jules Grévy).

     

         En conclusion de cette page, voici un rare chromo qui reproduit un dessin caricatural de Moloch. Sauf erreur, il fait référence à l’introduction de l’égyptologie dans les programmes scolaires d’histoire lors du premier mandat présidentiel de Jules Grévy, sous la houlette de Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, lui aussi un ancien avocat! Je vous présenterai, dans la prochaine page de ce blog, des chromos représentant Jules Ferry, ainsi que d’autres avocats célèbres de la Troisième République. À très bientôt…

     


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    Droit et justice : la République des avocats 20-6

                                 32 Amours d’enfants (chromo Cablé au Croissant. L.V. Paris).

               -         Vraiment ? Quand tu seras grand, tu voudrais être député comme moi ?

              -         Pardi, M’sieu, manger du homard, ne rien faire et tout le temps des congés !

     

     

         La République des Avocats, dits Bavards ou Baveux. Je rappelle que l’on comptait, des années 1880 à 1914, entre 25 et 40% d’avocats à l’Assemblée nationale, et 35% parmi tous les ministres (Laurent Willemez, La République des avocats, in Michel Offerlé, La profession politique XIXème-XXème siècle, Paris, Belin, 1999, p. 201-229).

     

        Certains de ces avocats atteignirent les plus hautes sphères du pouvoir : Léon Gambetta, Président du Conseil du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882 ; Adolphe Thiers, Président du Conseil du 22 février 1836 au 6 septembre 1836, et du 1er mars au 29 octobre 1840),  Chef du pouvoir exécutif de la République du 17 février au 31 août 1871, et Président de la République du 31 août 1871 au 24 mai 1873; Jules Grévy, Président de la République du 30 janvier 1879 au 2 décembre 1887. Je les ai présentés, dans les trois dernières pages de ce blog, avec leurs chromos publicitaires ou didactiques, édités par les nouveaux commerces et marchands de chocolat, pour enfants sages de la Troisième République.

     

     

     

     

     

     la République des députés-maîtres

    33 Souvenirs d’une campagne électorale d'un député-maître (chromo. Imprimeur-lithographe A. Farradesche. Paris).

                                                              -         Mossieur le Député

                                                              -         Appelez-moi Maître, mon brave.

     

     

         Aussi, pour continuer cette ballade juridico- chromolithographique de la Troisième République (de septembre 1870 à septembre 1940), voici, en plusieurs pages successives, quelques autres avocats notoires et enjuponnés.

     

         Les uns ont fait don de leur personne à la nation française, délaissant leur robe noire et leur toque pour la redingote des hommes politiques alors à la mode (Jules Ferry, Jules Grévy, Jules Favre, Adolphe Crémieux, Aristide Briand, Louis Barthou, Emmanuel Arago, Jean Cruppi, Pierre-Antoine Berryer...).

     

      D’autres ont préféré continuer à exercer la noble profession basocharde, enflammant, grâce à leur talent oratoire, les salles d’audience des tribunaux, devenues salles de spectacle (Alexandre Bertolaud, Henri Barboux, Henri Robert...).

     

     

     

     

    Jules Ferry, père de l’Instruction obligatoire et pourfendeur des Facultés catholiques (chromo, collection Félix Potin).

    34 Jules Ferry, père de l’Instruction obligatoire et pourfendeur des Facultés de Droit catholiques (chromo, collection Félix Potin).

     

          Commençons donc par Jules Ferry (5 avril 1832-17 mars 1893), aujourd’hui encore adulé par les fayots-premiers de la classe, et haï par tous les cancres. Car en effet, ce Jules, que l’on confond souvent avec son contemporain Jules Grévy, est resté, pour l’Histoire, le père de la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire pendant qu’il était en charge du ministère de l’Instruction publique et des Beaux Arts, alors même qu’il ne fut jamais maître d’école, ni même chef de famille (voir sur ce blog : http://droiticpa.eklablog.com/droit-et-justice-chromos-anciens-didactiques-12-a207204656). 

      

        Licencié en droit, avocat au barreau de Paris. Pour nous limiter au droit et aux universités, on notera que cet enfant de Saint-Dié (Vosges), dont le père, Charles-Edouard Ferry, était avocat au barreau de cette ville, fut collégien à Saint-Dié, puis lycéen à Strasbourg (actuel lycée Fustel-de-Coulanges du nom d’un professeur d’histoire du Moyen Âge à la Sorbonne). En 1851, il rejoignit la Faculté de Droit de Paris, ville dans laquelle résidait, depuis 1850, sa famille particulièrement aisée. Ayant obtenu sa licence, il fut d’abord avocat stagiaire chez un avocat d’affaires, puis il s’inscrivit au barreau de l’Ordre des Avocats de Paris commençant à défendre des hommes politiques, tout en s’essayant parallèlement au journalisme (journal Le Temps).

     

     

     

     

    Jules Ferry et la barbe sans moustache (chromo).

                                        35 Jules Ferry et la barbe sans moustache (chromo).

     

       Homme politique républicain. Jules Ferry entama ensuite une importante carrière d’homme politique, adoptant, dans un premier temps la barbe seule (chromos n° 34 et 35), puis, bien plus tard, la moustache et la barbe (chromo n° 36), toutes deux revenues à la mode sous la Troisième République. C’est ainsi qu’après avoir été impliqué, en 1864,  dans le procès ridicule des Treize (voir la précédente page de ce blog), il fut député républicain à Paris en mai 1869, maire de Paris en 1870, plusieurs fois ministre, et, plus encore, Président du Conseil des ministres (du 23 septembre1880 au 10 novembre, et du 21 février 1883 au 30 mars 1885) ; et, après avoir été élu sénateur, Président du Sénat (du 24 février au 17 mars 1893).

     

     

     

     

    Jules Ferry, homme d’État (chromo Chocolat Guérin-Boutron).

                     36 Jules Ferry et la barbe avec moustache (chromo Chocolat Guérin-Boutron).

      

          Franc-maçon et anticlérical, bien que catholique et ancien porteur d’une robe noire d’avocat à trente-trois boutons symbolisant l’âge de la mort de Jésus-Christ, Jules Ferry fut à l’origine de la loi du 18 mars 1880 relative à la liberté de l’enseignement supérieur. L’article 4 de cette loi, tout en laissant subsister l’enseignement supérieur confessionnel, interdisait à celui-ci de prendre le titre d’université, l’obligeant à trouver d’autres appellations parfois encore en usage de nos jours (Institut catholique…). Par ailleurs, plusieurs autres articles de cette loi (art. 1 et 5) réservaient la collation des titres et grades universitaires (baccalauréat, licence, doctorat) aux seules Facultés de l’État, dont celles de Droit. Quant à l’article 3, il énonçait que les inscriptions prises dans ces mêmes Facultés publiques étaient gratuites, sous entendant que celles prises dans l’enseignement supérieur confessionnel étaient honteusement payantes !

     

     

     

     

    La veille des examens de droit : prière au Seigneur-Jésus

     37 Faculté : la veille des examens (chromo. Imprimeur-lithographe A. Farradesche. Paris). 

     

     

         « Seigneur-Jésus guide-moi dans mes révisions, aide-moi à mémoriser tout ce que j’ai appris ». Au demeurant, Jules Ferry n’interdisait, en aucune façon, dans sa loi éponyme du 18 mars 1880, l’appel des étudiants des Facultés de l’État à solliciter l’aide de Saint Expédit, patron des causes urgentes et de la jeunesse, dans leurs révisions d’examens de licence !

     

     

    Prière pour réussir un examen*

     

    O Saint Expédit, toi qui es le patron des écoliers et étudiants,

    Plein de confiance en ta fidèle intercession,

    Je viens te demander de m’obtenir la grâce

    De réussir dans l’examen de droit* que je redoute.

    Je pense avoir apporté dans mes études

    Toute l’application dont j’étais capable ;

    Mais je sais aussi que le Bon Dieu seul

    Accorde tous les biens à ceux qu’il aime.

    C’est pourquoi, Saint Expédit,

    J’ai recours à ton assistance juridique*,

    Afin que tu pries pour moi le Seigneur

    Et qu’il daigne m’être favorable.

    Qu’il m’accorde aussi la grâce

    De pouvoir durant toute ma vie le servir comme avocaillon*

    Avec autant d’amour que tu le servis toi-même.

    (* source : https://saint-expedit.fr/prieres/priere-pour-reussir-un-examen/, à l’exception des mots droit, juridique et avocaillon).

     

          La suite à très bientôt avec Jules Favre, Emmanuel Arago, Adolphe Crémieux, Aristide Briand, Louis Barthou…etc. 





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