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    Proclamation de la République des Avocats à la Chambre des députés, le 4 septembre 1870 (chromo non datée)

    86 Proclamation de la République des Avocats à la Chambre des députés, le 4 septembre 1870 (chromo non datée).

     

      Voici, dans la série, des avocats, avec ou sans causes, devenus Hommes Politiques sous la Troisième République (entre 25 et 40% d’avocats à l’Assemblée nationale, et 35% parmi tous les ministres), deux autres d’entre eux, natifs de la ville de Nantes, représentés en chromo-lithographies didactiques pour enfants bons élèves ou publicitaires pour enfants experts en chocolats : Pierre Waldeck-Rousseau (cette page d’aujourd’hui) et Aristide Briand (la page suivante dans quelques jours).

     

       À la différence de nombreux Hommes Politiques de cette très longue période (1870-1940), obscurs ou tombés dans l’oubli, humbles députés devenus, à l’âge de la sénescence, sénateurs inamovibles, les nantais Pierre Waldeck-Rousseau et Aristide Briand ont accédé au statut d’Hommes d’État comme président du Conseil (chef du gouvernement).

     

     

     

    Bébé nantais bientôt capitaine (chromo Véritables « Petits Navires », Nantes. Impr.-édit. : B. Sirvens)

    87 Bébé nantais bientôt capitaine (chromo Véritables « Petits Navires », Nantes. Impr.-édit. : B. Sirvens).

     

       L’ancienne cité des Namnèses. Pierre Marie René Ernest Waldeck-Rousseau, dit Pierre Waldeck-Rousseau, naquit le 2 décembre 1846, à Nantes, bien longtemps après une reine de France : Anne de Bretagne, (de 1491 à 1514), et à peine vingt ans avant Aristide Briand. Mais, contrairement à la plupart des garçonnets de cette ville située sur les rives de la Loire, non loin de l’océan Atlantique, le petit Pierre, de santé délicate, ne put envisager d’être mousse, marin ou capitaine. Son père, maire de Nantes (de 1870 à 1874), René-Valdec (ses deux prénoms) Rousseau (son nom de famille), étant avocat au barreau de cette ville, il décida de suivre ses traces.

     

          Après ses études secondaires au collège catholique des Enfants-Nantais, d’où il aurait été renvoyé pour avoir copié une composition (dixit Pierre Solin, dans sa thèse consacrée à Pierre Waldeck-Rousseau. Paris, A. Colin, 1966), il fit donc son droit : d’abord à la Faculté de Poitiers ; puis à celle de Paris où il soutint sa thèse de licence. 

     

     

    Me Waldeck-Rousseau (chromo Félix Potin

    88 Me Waldeck-Rousseau (chromo Félix Potin. La maison Félix Potin a édité, entre 1898 et 1952, quatre collections de portraits photographiques de personnalités de l’époque. Celui de Waldeck-Rousseau dont le nom est précédé de l’abréviation Me propre aux gens de lois, évoque non pas l’homme politique mais l’avocat d’affaires renommé). 

     

        Un avocat réputé. Pierre Waldeck-Rousseau s’inscrivit alors, en 1870, comme avocat au modeste barreau de Saint-Nazaire, avant de rejoindre, en 1873, celui de Rennes. En 1886, il s’inscrivit au barreau de Paris où il deviendra un important avocat d’affaires sans pourtant bénéficier du don de l’éloquence oratoire alors à la mode chez ses confrères pénalistes qui transformaient les salles d’audience en salles de spectacles (à défaut, ses plaidoiries étaient, dit-on, rigoureuses et bien fondées). Il plaida notamment, en 1893, pour l’ingénieur Gustave Eiffel dans l’affaire du canal de Panama, et, en 1895-1896, pour Max Lebaudy au cœur d’un important scandale militaro-financier. Il plaida également des affaires concernant des artistes et des gens de lettres. C’est ainsi qu’il assura la défense de l’acteur Constant Coquelin, dit Coquelin Aîné, contre la Comédie Française, et celle de l’éditeur Wilder contre la famille de Richard Wagner. 

     

     

     

     

    Pierre Waldeck-Rousseau, futur empereur des Modérés* (caricature de Charles Léandre. Couverture du journal Le Rire, n° 183, 7 mai 1898.

    89. Pierre Waldeck-Rousseau, futur empereur des Modérés* (caricature de Charles Léandre. Couverture du journal Le Rire, n° 183, 7 mai 1898. *Les républicains modérés, aussi appelés républicains opportunistes, étaient un courant politique républicain considéré de gauche).

     

        Aujourd’hui, Pierre Waldeck-Rousseau retient l’attention, non pas pour ses plaidoiries, mais pour son action ou son influence comme Homme d’État, raison pour laquelle de nombreuses voies et stations d’autobus portent son nom (Paris, Nantes, Saint-Malo…). En fait, il ne se lança pas dans la vie politique dans ses jeunes années d’étudiant en droit lors des journées mouvementées de septembre 1870 à l’origine de la Troisième République. C’est seulement en 1879 qu’il entra en politique comme député de Rennes, sous l’étiquette de l’Union républicaine. Aussitôt, il déposa à la Chambre un projet de réforme de la magistrature et se fit remarquer en « haut lieu » par ses nombreuses interventions.

     

          En novembre 1881, le président du Conseil, Léon Gambetta, lui confia le ministère de l’Intérieur, et, il fut renouvelé à ce poste par Jules Ferry en février 1883. C’est lors de ce mandat ministériel qu’il fit adopter la célèbre loi dite « Waldeck-Rousseau » du 21 mars 1884 relative à la liberté des associations professionnelles, ouvrières et patronales, autorisant la création des syndicats.

     

     

     

     

    Aquarelle de Pierre Waldeck-Rousseau : Paysage, 1900

    90, Aquarelle de Pierre Waldeck-Rousseau : Paysage, 1900 (Pierre Waldeck-Rousseau fut non seulement un avocat et un homme d’État, mais aussi un artiste peintre. Source de l’image : ebay).

     

       Après la chute du gouvernement Ferry, le 30 mars 1885, suite au « désastre de Lang-Son » (Tonkin), Waldeck-Rousseau quitta le pouvoir et se fit réélire, le 4 mars 1885, député d’Ille-et-Vilaine à la Chambre dans le groupe de la Gauche républicaine. En 1889, il ne se représenta pas aux élections et reprit son activité d’avocat tout en exerçant, à ses temps libres, sa passion pour la peinture.

     

      Mais, en octobre 1894, il fut repris par le démon de la politique et se fit élire sénateur de la Loire. Il candidata même, sans succès, en janvier 1895, à la Présidence de la République (Félix Faure fut élu). En janvier 1897, il fut réélu sénateur. Puis, en juin 1899, le nouveau président de la République, Émile Loubet, qui avait succédé à Félix Faure, lui demanda de constituer le nouveau gouvernement. Tout à la fois, président du Conseil et ministre de l’Intérieur et des Cultes, Waldeck-Rousseau assuma ces deux fonctions jusqu’au 7 juin 1902, soit pendant une période de presque trois années, qui fut marquée par l’affaire Dreyfus et les querelles religieuses (hostilité à l’encontre des congrégations assurant encore, en 1900, un tiers de l’enseignement du primaire).

     

     

     

    Le capitaine Alfred Dreyfus (chromo Stab. E. Berardi. Milano

    91 Le capitaine Alfred Dreyfus (chromo Stab. E. Berardi. Milano. Source: Ville de Paris. Bibliothèques patrimoniales. Collections numérisées. https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/). 

     

       Un mot tout d’abord sur l’affaire du capitaine Alfred Dreyfus, dont j’ai déjà rapporté les grandes lignes dans deux précédentes pages :

    http://droiticpa.eklablog.com/tirage-sur-papier-albumine-hauts-magistrats-louis-loew-3-5-a202374420 

    http://droiticpa.eklablog.com/droit-et-justice-chromos-anciens-didactiques-13-a207234930 

     

        Les biographies « en ligne » de Waldeck-Rousseau soulignent qu’il était personnellement convaincu de l’innocence du capitaine Dreyfus, condamné par le Conseil de Guerre de Paris, le 22 décembre 1894, pour trahison, à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle. Aussi, après la nouvelle condamnation du capitaine Dreyfus lors de son procès en révision, par le Conseil de Guerre de Rennes, le 9 septembre 1899, Waldeck-Rousseau s’activa-t-il auprès du président de la République Émile Loubet pour le convaincre de le gracier. Le capitaine Dreyfus fut ainsi gracié le 19 septembre 1899 (il faudra toutefois attendre juillet 1906 pour que la Cour de cassation proclame son innocence pleine et entière, et que l’armée le réintègre).

     

     

     

     

    Le Combat des congrégations religieuses contre leur expulsion organisée par la loi du 7 juillet 1904 (chromo)

    92 Le Combat des congrégations religieuses contre leur expulsion organisée par la loi du 7 juillet 1904 (chromo Ligue des droits du religieux anciens combattants D-R-A-C. Ligue des prêtres anciens combattants P-A-C).

     

          - Oui ! Comme toi. Nous resterons !

     

      Libéré de la pression de l’affaire Dreyfus, Waldeck-Rousseau put alors se consacrer à deux autres questions plus ou moins liées et tout autant difficiles à l’époque : les associations et les congrégations religieuses. C’est ainsi qu’il fut à l’origine du dépôt, le 14 novembre 1899, du projet de loi sur les associations et les congrégations religieuses, d’où sera issue la célèbre loi du 1er juillet 1901. Cette loi consacrait la liberté d’association (art. 2 : « Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable. »). Elle conférait également un statut aux congrégations religieuses désormais soumises à autorisation législative (art. 13 : « Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement. Elle ne pourra fonder aucun nouvel établissement qu’en vertu d’un décret rendu en conseil d’État… » ; art. 14 : « Les membres d’une congrégation non autorisée sont interdits d’enseigner ou de diriger un établissement d’enseignement »).

     

      Mais, fatigué et malade (il était atteint d’un cancer du pancréas), Waldeck-Rousseau présenta à Émile Loubet la démission de son gouvernement le 3 juin 1902. Il fut remplacé par Émile Combes qui s’attaqua très violement aux congrégations en empêchant la quasi-totalité des demandes d’autorisation, organisées par la loi de 1901 (les congrégations devaient demander une autorisation au Parlement), et en leur interdisant d’enseigner (loi du 7 juillet 1904). Plusieurs dizaines de milliers de religieux durent alors s’exiler hors de France pour continuer à enseigner. Redevenu simple sénateur, Waldeck-Rousseau essaya bien d’appeler le nouveau gouvernement d’Émile Combes à une certaine modération envers les congrégations dans la mise en œuvre des dispositions de sa loi de juillet 1901, et il se prononça contre la séparation de l’Église et de l’État.

     

     

     

    M. Waldeck-Rousseau. Mort à Corbeil le 10 août 1904 (cliché Nadar)

                             93 M. Waldeck-Rousseau. Mort à Corbeil le 10 août 1904 (cliché Nadar).

     

       Le 10 août 1904, Waldeck-Rousseau mourut à Corbeil (aujourd’hui Corbeil-Essonnes) des suites de son cancer. Le 13 août, il fut inhumé, en présence de tous les ministres, au cimetière de Montmartre, après une cérémonie solennelle en l’église de Sainte-Clotilde selon le culte chrétien, qui suscita d’âpres commentaires.

     

     

     

     

    Inauguration aux Tuileries du monument à Waldeck-Rousseau, le 6 juillet 1910

    94 Inauguration aux Tuileries du monument à Waldeck-Rousseau, le 6 juillet 1910. Discours de M. Busson-Billault (photographie de presse Agence Rol. Site Gallica de la Bibliothèque nationale de France :

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6914485v.item)

     

      Le 6 juillet 1910, fut inauguré dans le jardin des Tuileries, en bas de la terrasse de la Galerie nationale du Jeu de Paume, un monument de Laurent-Honoré Marqueste (1848-1920), avec un buste représentant Waldeck-Rousseau et un groupe de trois personnes en marbre, survolés par une déesse. L’éloge de Waldeck-Rousseau fut prononcé par Julien Busson-Billault (1853-1923), lui aussi un avocat (bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris de 1909 à 1911), devenu homme politique (sénateur de la Loire-Atlantique).

     

     

     

     

    Jardin des Tuileries, le monument original à Waldeck-Rousseau (CPA. Entre 1910 et 1940).

    95 Jardin des Tuileries, le monument original à Waldeck-Rousseau (CPA. Entre 1910 et 1940).

     

      Cette carte postale ancienne est insolite car elle révèle la figure en bronze dorée au dessus du buste de Waldeck-Rousseau. Cette statue a été fondue sous l’Occupation allemande de Paris dans les années 1940.

     

     

     

    Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État (minute signée du président de la République Émile Loubet

    96 Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État (minute signée du président de la République Émile Loubet. Les 23 pages de la minute originale de cette loi sont en libre accès sur le site des archives nationales sous ce lien :

    http://www2.culture.gouv.fr/Wave/image/archim/Pages/04816.htm 

     

     Entre la mort de Pierre Waldeck-Rousseau, le 10 août 1904, et l’inauguration aux Tuileries du monument en son hommage, le 6 juillet 1910, la loi concernant la séparation des Églises et de l’État fut votée et promulguée (publiée au Journal officiel du 12 décembre 1905, elle entrera en vigueur, le 1er janvier 1906). Elle avait été adoptée, à la Chambre des députés, par 341 voix pour contre 233, et, au Sénat, par 181 voix pour contre 102.

     

        Cette loi, qui mit fin à l’antique union entre l’Église catholique de France et le pouvoir politique, s’inspirait pour l’essentiel de l’esprit de conciliation des travaux d’une commission parlementaire de trente-trois membres. La commission était présidée par Ferdinand Buisson et son rapporteur en était Aristide Briand, un jeune député socialiste, certes novice en politique mais habile et intelligent. Comme Pierre Waldeck-Rousseau, il était né à Nantes. Après avoir fait son droit, il devint avocat puis l’un des hommes d’État les plus titrés… du Livre Guinness des Records : 11 fois président du Conseil, 26 fois ministre !

     

            À bientôt donc pour la prochaine page consacrée à Aristide Briand, illustrée de plusieurs chromos le représentant, alors même que ce procédé était quasiment en voie de disparition au début du XXème siècle, remplacé par celui en plein essor de la photographie noir et blanc.  

     


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    LES ENFANTS TERRIBLES DE NANTES : M. Aristide BRIAND (héliographie Dugas, Nantes, d’après un dessin de Jacques Pohier

    97. LES ENFANTS TERRIBLES DE NANTES : M. Aristide BRIAND (héliographie Dugas, Nantes, d’après un dessin de Jacques Pohier [1871-1956]).

     

         La République des Avocats… Nantais. Dans la série des avocats devenus hommes politiques sous la Troisième République (1870-1940), et bénéficiant de portraits selon le procédé de la chromolithographie, très en vogue à la fin du XIXème siècle, voici un autre « enfant terrible de Nantes », comme le fut son contemporain Pierre Waldeck-Rousseau présenté dans la page précédente. Il s’agit d’Aristide Briand dont j’ai retrouvé « sur la toile » plusieurs chromos reproduits sur cette page. Toutefois, je commencerai par cette héliographie (n° 97). Il s’agit d’un procédé de transfert photographique sur gélatine supporté par un cuivre, breveté en 1855 par Louis-Alphonse Poitevin, et souvent utilisé à l’époque pour les cartes postales à grand tirage.

     

     

     

    Les Armes de la cité portuaire de Nantes (Chromo Chocolats Guérin-Boutron)

                     98 Les Armes de la cité portuaire de Nantes (Chromo Chocolats Guérin-Boutron).

     

      Nantais. Aristide Briand naquit le 28 mars 1862 à Nantes, comme Anne de Bretagne, qui deviendra reine de France en 1491, Jules Vernes (1828-1905) et Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904). Il habitait, à son plus jeune âge, rue du Marchix, dans un quartier populaire de Nantes (aujourd’hui quartier Hauts-Pavés-Saint-Félix). Puis, ses parents ayant ouvert une auberge à Saint-Nazaire en 1864, il fut élève au collège de cette autre ville portuaire, avant de revenir comme élève boursier au lycée de Nantes où il obtint son baccalauréat.

     

     

      Avocat à Saint-Nazaire puis à Pontoise. Il s’inscrivit ensuite à la Faculté de Droit de Paris. Après avoir obtenu sa licence, il revint à Saint-Nazaire comme clerc de notaire, et, en 1886, il fut avocat stagiaire dans cette même ville, plaidant de temps à autres à Nantes, mais pas pour bien longtemps. Car, en effet, ayant été séduit, à Saint Nazaire, par Fernand Pelloutier, un militant syndicaliste révolutionnaire socialiste et libertaire, il s’engagea dans la vie politique et syndicale devenant conseiller municipal de Saint-Nazaire et directeur politique du journal de L’Ouest Républicain (ses détracteurs lui reprochèrent d’être passé, au cours de sa vie, de la gauche syndicale socialiste au centre). Puis, il se rapprocha de la capitale, s’inscrivant, en août 1900, au barreau de Pontoise. Il exerça l’avocature jusqu’en novembre 1909, année où il devint président du Conseil (du 24 juillet 1909 au 27 février 1911), tout en rédigeant des articles dans le journal L’Humanité qui avait été créé en 1904.

     

     

     

    Aristide Briand, député (chromo)

    99. Aristide Briand, député (chromo Chocolat Sladat, tiré d’après une photographie de la seconde des quatre collections de portraits photographiques de personnalités célèbres éditées par la Maison Félix Potin, entre 1898 et 1952, en noir et blanc). 

     

     

        Devenu Francilien, Aristide Briand ne put toutefois se faire élire député que dans les lointains départements de la Loire (élu et réélu en 1902, 1906, 1910 et 1914), et de la Loire-Inférieure (élu et réélu en 1919, 1924 et 1928).

     

     

     

     

     

    Le rapport d’Aristide Briand sur la séparation

    100. Le rapport d’Aristide Briand sur la séparation (chromo ou autre procédé de reproduction d’illustration ?).

     

              « Puisqu’il le faut, séparez-vous, mais tachez de rester bons amis »

     

     

           Député socialiste de la Loire, Aristide Briand, sollicité par Jean Jaurès et Ferdinand Buisson, accepta d’être le rapporteur des travaux de la commission parlementaire de trente-trois membres, qui avait été chargée de trouver un compromis sur le contenu du texte concernant la séparation des Églises et de l’État avant d’être soumis au vote des députés. Cette commission était présidée par Ferdinand Buisson, protestant libéral, célèbre pour son combat pour un enseignement gratuit et laïque, et, bien entendu, pour son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, que beaucoup d’entre nous ont découvert, au fond de malles poussiéreuses, dans les greniers des maisons de leurs grands-parents (en libre accès sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France, sous ce lien :

                                                           Gallica/BnF

     

     

       Toujours est-il qu’Aristide Briand, rapporteur de cette commission, athée et tolérant, s’évertua, avec intelligence et habileté dit-on, à accommoder le texte en cause pour convaincre les parlementaires les plus irréductibles de le voter. Il obtint « gain de cause » puisque la loi concernant la séparation des Églises et de l’État fut adoptée, à la Chambre des députés, le 3 juillet 1905, par 341 voix pour contre 233, et, au Sénat, le 6 décembre 1905, par 181 voix pour contre 102 (promulguée le 9 décembre 1905, elle entrera en vigueur, le 1er janvier 1906). Il va sans dire que la réussite d’Aristide Briand, député novice, dans la préparation de cette loi, lui permit de passer du statut d’homme politique à celui d’homme d’État !

     

     

     

     

     

     

    Aristide Briand à la Tribune de la Chambre des députés en 1910 (Le Petit Parisien, supplément littéraire illustré, 13 novembre 1910)

    101. Aristide Briand à la Tribune de la Chambre des députés en 1910 (Le Petit Parisien, supplément littéraire illustré, 13 novembre 1910).

     

        En effet, Fernand Sarrien et Georges Clémenceau, qui se succédèrent à la présidence du Conseil (chef du gouvernement), le nommèrent ministre de l’Instruction publique, des Beaux-arts et des Cultes (14 mars 1906-4 janvier 1908). Puis, Georges Clémenceau, président du Conseil, le nomma ministre de la Justice (4 janvier 1908-24 juillet 1909). Et, le 26 juillet 1909, Aristide Briand devint lui-même président du Conseil, sous la présidence de la République d’Armand Fallières suivie de celle de Raymond Poincaré.

     

     

     

     

    Droit et justice : la République des avocats en chromos 20-13

     

    102 et 103. Aristide Briand (portrait photographique noir et blanc fait par Henri Manuel, rehaussé de couleurs au moyen du procédé de la chromolithographie).

     

    Droit et justice : la République des avocats en chromos 20-13

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

       Livre Guinness des Records. Les biographies d’Aristide Briand, onze fois président du Conseil (entre 1909 et 1929), et vingt-six fois ministre dont trois fois garde des Sceaux (4 janvier 1908, gouvernement Georges Clémenceau ; 14 janvier 1912, gouvernement Raymond Poincaré ; 26 juillet 1914, gouvernement René Viviani), étant nombreuses en ligne (par exemple wikipedia), je me garderai de les copier/coller (synonymes de pomper dans le jargon estudiantin ; et de rechercher et rédiger dans le langage d’autres corporations en mal d’imagination).

     

     

     

     

     

     

    Droit et justice : la République des avocats en chromos 20-13

    104. Les « Têtes de Turc » : Aristide Briand (chromo ou autre procédé de reproduction d’un dessin caricatural d’Adrien Barrère). 

     

     

          Cette reproduction, sans doute en chromolithographie, d’un portrait d’Aristide Briand, croqué par le dessinateur-caricaturiste Adrien Barrère (1874-1931), et publiée dans le journal satirique illustré Fantasio, sous-titré « Magazine gai », nous rappelle qu’Aristide Briand marqua considérablement la politique étrangère de la France (il fut huit fois ministre des Affaires étrangères, parfois en cumulant cette charge avec celle de président du Conseil).

     

          Il eut notamment un rôle actif dans la conclusion de l’accord d’Ankara (alors appelé Angora) du 20 octobre 1921, en sa double qualité de président du Conseil et de ministre des Affaires étrangères (du 16 janvier 1921 au 12 janvier 1922). Cet accord, qui reconnaissait le gouvernement dissident d’Ankara, fut à l’origine de l’actuelle Turquie et du désengagement de la France au Proche-Orient (je vous invite à lire l’étude de l’historienne Aurore Bruna, librement accessible sur le site CAINR-CNRS : « La France, les Français face à la Turquie ; Autour de l’accord d’Angora du 20 octobre 1921. »

                                                         CAIRN-CNRS

     

     

    Apologie d’Aristide Briand, Président du Conseil, à la Chambre des députés en 1921* : « L’Assemblée d’Angora est jeune, ardente, patriote, passionnée ; elle a un souci d’indépendance qu’à sa place vous auriez naturellement. Elle n’a pas voulu laisser handicaper l’avenir par des organisations militaires sur son territoire. Nous avons discuté longuement, comme il convenait, mais sur ce terrain nous avons pensé que ce genre de précautions pouvait être remplacé par d’autres et qu’une espèce de contrôle moral, qui n’est pas non plus dépourvu de moyens matériels, pouvait se substituer à l’idée d’une organisation de gendarmerie. L’idée d’une gendarmerie trouvera tout naturellement sa place quand se discuteront les questions de paix générale en Orient, mais là il s’agissait d’une question proprement dite française. Le côté moral de cette question qui intéresse toutes les nations civilisées, c’est la protection des Chrétiens. Or, pour cette protection, nous avons obtenu toutes les assurances formelles. »

     

    *Aristide Briand répondait à une question posée par Marius Moutet (1876-1968), lors du débat concernant les finances publiques. Ce dernier, un avocat devenu homme politique (9 mandats de député, plusieurs fois ministre, 2 mandats de sénateur) était préoccupé par le coût de la mise en place d’une organisation militaire française en Turquie.

     

     

     

     

    Aristide Briand et la Société des Nations (chromo Caisse d’Épargne Didactique. Série des célébrités. Illustration de Bentegeat)

    105. Aristide Briand et la Société des Nations (chromo Caisse d’Épargne Didactique. Série des célébrités. Illustration de Bentegeat).

     

       Cet autre chromo est d’autant plus original que son look évoque les illustrations didactiques pour enfants d’entre les deux guerres, à une époque où le procédé de chromolithographie n’était plus guère utilisé par les imprimeurs lithographes. Dans la mesure où ce chromo représente Aristide Briand (mort en 1932) et la Société des Nations (dissoute en 1946), je présume qu’il a été édité dans les années 1930-1940, à la fin de la Troisième République.

     

       La Société des Nations (SDN) était une organisation internationale fédératrice garante d’une paix durable, introduite par le traité de Versailles signé le 26 juin 1919. Les dispositions de ce traité, qui mettait fin à la Première Guerre mondiale, avaient été préparées par une commission spéciale de la Conférence de la Paix qui s’était ouverte à Paris le 18 janvier 1919. Cette commission avait bénéficié de l’assistance de nombreux juristes parmi lesquels des professeurs de la Faculté de Droit de Paris (Ferdinand Larnaude; Jules Basdevant ; Charles Lyon-Caen ; André Weiss…).

     

        Quant à Aristide Briand, son rôle est équivoque. Considérant que le traité de Versailles était mal rédigé, il avait été écarté des négociations de la paix par Georges Clémenceau, président du Conseil, avant d’en voter la ratification à la Chambre le 2 octobre 1919 en sa qualité de député de la Loire, et de l’appliquer lorsqu’il redevint ministre des Affaires étrangères en 1921. Alors même que l’Allemagne, à l’instar de tous les états vaincus, était exclue de la SDN, Aristide Briand mit tout en œuvre pour permettre un rapprochement franco-allemand qui conduisit aux accords de Locarno, en octobre 1925, entre les états européens dont la France et l’Allemagne, bientôt suivis de l’entrée, en 1926, de l’Allemagne à la SDN. Voici un extrait du discours prononcé le 10 septembre 1926 à Genève, ville où siégeait la SDN, par Aristide Briand :

     

     [...] Ah! Messieurs, les ironistes, les détracteurs de la Société des nations, ceux qui se plaisent journellement à mettre en doute sa solidité et qui périodiquement annoncent sa disparition, que pensent-ils s'ils assistent à cette séance ? N'est-ce pas un spectacle émouvant, particulièrement édifiant et réconfortant, que, quelques années à peine après la plus effroyable guerre qui ait jamais bouleversé le monde, alors que les champs de bataille sont encore presque humides de sang, les peuples, les mêmes peuples qui se sont heurtés si rudement se rencontrent dans cette assemblée pacifique et s'affirment mutuellement leur volonté commune de collaborer à l’œuvre de la paix universelle. [...]
    Messieurs, la paix, pour l'Allemagne et pour la France, cela veut dire : c'est fini de la série des rencontres douloureuses et sanglantes dont toutes les pages de l'Histoire sont tachées; c'en est fini de longs voiles de deuil sur des souffrances qui ne s'apaiseront jamais; plus de guerre, plus de solutions brutales et sanglantes à nos différends ! Certes, ils n'ont pas disparu, mais, désormais, c'est le juge qui dira le droit. Comme les individus, qui s'en vont régler leurs difficultés devant le magistrat, nous aussi nous réglerons les nôtres par des procédures pacifiques. Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la paix ! Un pays ne se grandit pas seulement devant l'Histoire par l'héroïsme de ses enfants sur les champs de bataille et par les succès qu'ils y remportent.
    […]

     

        En octobre 1933, l’Allemagne, désormais dirigée par le Chancelier Adolphe Hitler, quitta la SDN. Cette organisation internationale, incapable d’empêcher la Seconde guerre mondiale, sera dissoute, le 20 avril 1946, et remplacée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui avait été instituée le 24 octobre 1945.

     

     

     

    Aristide Briand, quelques jours avant sa disparition, avec Pierre Laval*, ministre des Affaires étrangères du 14 janvier 1932 au 20 février 1932

    106. Aristide Briand, quelques jours avant sa disparition, avec Pierre Laval*, ministre des Affaires étrangères du 14 janvier 1932 au 20 février 1932 (photographie de l’Agence de presse Meurisse, datée 1932).

     

     

      Quant à Aristide Briand, le prix Nobel de la Paix lui fut décerné en 1926, en reconnaissance de ses efforts pour l'établissement d'une paix durable résultant de négociations librement consenties. En 1931, il se présenta à l’élection présidentielle française et fut battu par Paul Doumer. Il décédera, le 7 mars 1932, à Paris. Paul Claudel dira alors ces quelques mots : « Quand l’Europe prit congé du bon sens, Briand prit congé de la vie. » 

     

    * N’ayant trouvé sur la toile (Google image, ebay, Delcampe, Alamy,  collections de portraits de plusieurs centaines personnalités édités par la Maison Félix Potin entre 1898 et 1952…) aucun chromo représentant Pierre Laval, licencié en droit, avocat au Barreau de Paris, devenu, lui aussi, sous la Troisième République, un homme d’État, je ne le présenterai pas dans cette longue série illustrée par des portraits selon le procédé de la chromolithographie.

     

           La prochaine page de cette série (mardi 17 août) sera donc réservée à trois autres avocats célèbres de la Troisième République dont j’ai retrouvé des chromos publicitaires ou didactiques les représentant, alors même que, contrairement à la quinzaine d’avocats que j’ai intégrés dans les pages précédentes, ils ne furent ni hommes politiques (député, sénateur…), ni hommes d’État (ministre, président du Conseil, président de la République) : Alexandre Bétolaud, Henri Barboux, et Henri Robert.

     

     


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    Le 15 août en chromos

                                   1. Inspection scolaire (chromo Chocolat Grondard).

    -     Elève Lecancre, dîtes moi quelle différence il y a entre Ascension et Assomption ?

     

    -   Y’en a pas M’sieur. Ces deux jours, j’suis jamais en retenue : le jeudi de l’Ascenseur y’a pas école et le jour de la Présomption c’est toujours en même temps que les grandes vacances.

     

    Deux grandes énigmes concernent l’Ascension (du bas latin ascensor « celui qui monte un cheval », à l’origine du mot ascenseur) et l’Assomption (du latin assumere : « enlever »).

     

    D’une part, le nombre et la place de la lettre « » dans chacun d’eux : Ascension. Assomption.

     

    D’autre part, leur date précise puisqu’il s’agit toujours de jours fériés, y compris dans nos Facultés de Droit et nos Tribunaux. En clair, l’Ascension c’est toujours un jeudi, juste 39 jours après le lundi de Pâques, qui se fête le lendemain du dimanche de Pâques, dont la date change tous les ans. Quant à l'Assomption, la date est toujours coincée sur le 15 août, alors que son jour (lundi, mardi, mercredi...) varie chaque année au gré de l'imagination des rédacteurs du calendrier de la poste. 

     

      Passons donc maintenant aux choses sérieuses, avec le 15 août 2021 qui, cette année, est un « jour férié » un peu bouche-trou puisque c’est un dimanche en pleines vacances, autrement dit un jour déjà chômé sans possibilité de faire le pont avec un autre jour férié (l’expression faire le pont est apparue sous Napoléon III et n’était utilisée que pour les fonctionnaires et les professeurs de droit des universités impériales, ce qui entraînait l’absence de cours, au grand bonheur de leurs étudiants!).

     

     

     

     

    L'Assomption de la vierge, de Prud'hon (chromo Chocolat-Louis).

                            2. L'Assomption de la vierge, de Prud'hon (chromo Chocolat-Louis).

     

          Voici une chromolithographie (ou chromo) de la fin du XIXème siècle, imprimée pour les enfants amateurs de Chocolat-Louis à partir du tableau original de Pierre-Paul Prud’hon dit 3P (1758-1823), intitulé L’Assomption de la Vierge, qui avait été commandé en 1816 pour la chapelle du Palais des Tuileries (musée du Louvres). Ce peintre de l’école française, qui épousa la fille d’un notaire, avait acquis une grande notoriété grâce à son précédent tableau : La justice et la Vengeance Divine poursuivant le Crime, que je présenterai bientôt dans la rubrique Droit Artistique de ce blog. 

     

      Et voici le texte imprimé au dos de ce chromo pour les enfants de l’époque qui, les doigts pleins de chocolat-Louis, voulaient en savoir un peu plus sur la manière dont le Bon Dieu avait pu faire monter la Vierge Marie au ciel, sans aérostat, fusée ou parachute ascensionnel.

     

    Assomption de la Très-Sainte Vierge :

    Le troisième après la mort de Marie, Thomas, le seul parmi les Apôtres qui n’avaient pu s’y trouver, revint à Jérusalem. L’Apôtre fondant en larmes se fit conduire au saint tombeau. Il y pria ; puis demanda à ses frères de partager l’inestimable grâce qu’ils avaient eue de contempler après son trépas la Sainte Mère du Christ. Tous consentir d’un même cœur et la pierre fut soulevée…

    Le linceul et les vêtements étaient dans le sépulcre ; des roses fraiches et merveilles exhalaient la plus suave odeur ; mais le corps ne s’y trouvait plus. Ce jour là même Marie était ressuscitée, et, à l’exemple de Jésus, elle était, en corps et âmes, montée pour jamais dans le ciel.

    Telle fut l’origine de la doctrine et de la fête de l’Assomption.

    Cette doctrine n’est pas de foi, mais elle pourra l’être un jour, comme l’est devenue celle de l’Immaculée Conception. Au Concile du Vatican, un grand nombre d’évêques demandèrent qu’elle le devint*

     

     * C’est le 1er novembre 1950 que le Pape Pie XII affirma la foi de l’Église en l’Assomption de la Vierge Marie par ces mots : « Nous affirmons, nous déclarons et nous définissons comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours Vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste. »

     

     

     

    Un 15 août sous le Second Empire : lampions et lanternes vénitiennes (chromo)

                          3. Un 15 août sous le Second Empire : lampions et lanternes vénitiennes (chromo).

     

       Cet autre chromo nous rappelle que le 15 août était un jour férié depuis 1638, année où naquit le petit Louis (future Louis XIV). En effet, son père, Louis XIII, dépité de n’avoir pas d’enfants avec son épouse Anne d’Autriche, avait demandé à tous ses sujets d’organiser des processions en l’honneur de la Vierge Marie pour que celle-ci l’aide, dans la mesure du possible, à remédier à ce problème.


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    Un aigle du Barreau (chromo. Circa 1880-1890)

                                               107. Un aigle du Barreau (chromo. Circa 1880-1890).

     

       Treize. Dans les pages précédentes, je vous ai présenté treize avocats célèbres de la Troisième République devenus hommes politiques (député, sénateur, ministre) ou hommes d’Etat (président du Conseil, président de la République), dont les portraits ont été édités à cette époque en chromolithographies par des imprimeurs-lithographes.

     

       Par ordre d’entrée en scène : Léon Gambetta (20-3) ; Adolphe Thiers (20-4) ; Jules Grévy (20-5) ; Jules Ferry (20-6) ; Jules Favre (20-7) ; Adolphe Crémieux, Louis Barthou, Jules Dufaure (20-8) ; Pierre Antoine Berryer (20-9) ; Emmanuel Arago (20-10) ; Jean Cruppi (20-11) ; Pierre Waldeck-Rousseau (20-12) ; et Aristide Briand (20-13).

     

     

     

    Cet enfant a reçu sa tablette de chocolat et son chromo d’avocat (chromo, fin du XIXème siècle)

    108. Cet enfant a reçu sa tablette de chocolat et son chromo d’avocat (chromo, fin du XIXème siècle).

     

         Ces chromos étaient destinés aussi bien aux enfants gourmands (chromos publicitaires glissés dans les tablettes de chocolat) qu’aux meilleurs élèves des écoles (chromos didactiques dites Bon-Point).

        

     

     

    Labori, avocat (chromo Félix Potin. Deuxième collection).

                                    109 Labori, avocat (chromo Félix Potin. Deuxième collection).

     

      Treize + Un = Quatorze. À ceux là, il convient d’ajouter Ferdinand Labori (1860-1917), licencié de la Faculté de Droit de Paris, inscrit au Barreau de la Cour d’Appel de Paris en 1884, élu bâtonnier en 1911, et député du département Seine-et-Marne (du 6 mai 1906 au 31 mai 1910). Il fut notamment l’un des avocats du capitaine Alfred Dreyfus [à cette occasion, le 14 août 1899, il fut victime, à Rennes, d’une tentative d’assassinat], et de Thérèse Humbert. J’avais précédemment mis en ligne un portrait de Ferdinand Labori en chromo :

    http://droiticpa.eklablog.com/droit-et-justice-chromos-anciens-didactiques-13-a207234930

     

     

    Depuis, j’ai trouvé cet autre chromo qui le représente également (n° 109, ci-dessus).

     

     

     

     

    Donc il est innocent (chromo Chocolat Guérin-Boutron)

                                      110. Donc il est innocent (chromo Chocolat Guérin-Boutron).

     

      Trois seulement. Aujourd’hui, je vous invite à découvrir les chromos de trois autres avocats de la Troisième République, qui furent étrangers à la vie politique (sous la Troisième République, on recensait entre 25 et 40% d’avocats à l’Assemblée nationale, et 35% parmi tous les ministres !). Leur notoriété a donc dépendu entièrement du monde de la justice, des causes célèbres qu’ils ont plaidées et de leur talent oratoire dans les salles d’audience des tribunaux, transformées en salles de spectacle.

     

          Par ordre d’entrée en scène : Alexandre Bétolaud, Henri Barboux et Henri-Robert.

     

     

     

     

    Cet enfant veut sa tablette de chocolat et son chromo d’avocat (Chromo Chocolat Talmone. N. 8. Série A 14)

    111. Cet enfant veut sa tablette de chocolat et son chromo d’avocat (Chromo Chocolat Talmone. N. 8. Série A 14).

     

          Certes « 3 » c’est bien peu ! Mais je n’ai pas trouvé d’autres chromos en ligne représentant des avocats renommés de la Troisième République qui se sont abstenus de participer à la vie politique. Sans doute, parce que  nombre d’entre eux ont été victimes ou bénéficiaires du déclin progressif du procédé de la chromolithographie, remplacé, dans les années 1900-1910, par celui de la photographie en noir et blanc (dans votre moteur de recherche, avec les mots avocat, portrait, et le nom d’un ancien atelier de photographie comme Nadar, Pierre Petit, Bingham, Piallat, Franck, Disderi, Bisson Frères, Appert, Pinot, Ken, Braun, Mayer & Pierson, Ch. Reutlinger…, vous accéderez à des centaines de photographies d’avocats de la Troisième République).

     

     

     

     

    Alexandre Bétolaud, avocat (chromo Félix Potin, d’après une photographie de Louis Eugène Pirou [1841-1909]. Deuxième collection de 510 personnalités célèbres, éditée en avril 1908)

    112. Alexandre Bétolaud, avocat (chromo Félix Potin, d’après une photographie de Louis Eugène Pirou [1841-1909]. Deuxième collection de 510 personnalités célèbres, éditée en avril 1908).

     

        Alexandre Bétolaud est né à Limoges, le 14 janvier 1826, et mort à Paris, le 9 avril 1915. Il fit ses études à la Faculté de Droit de Paris où il obtint sa licence en 1848, et son doctorat, en 1851. Le 18 novembre 1848, il s’inscrivit comme avocat au Barreau de la Cour d’Appel de Paris. En 1852, il fut Secrétaire de la Conférence des avocats, et, plus tard, élu Bâtonnier (de 1876 à 1877).

     

        Il plaida dans de nombreuses affaires célèbres aujourd’hui oubliées (elles sont toutes racontées sur Internet). En 1862, l’affaire des coulissiers relative à la nullité des cessions de charge d’agents de change. En 1867, celle des frères Pereire avec la faillite et la liquidation du Crédit Mobilier. En 1868, celle de la banqueroute et de la liquidation des dettes du prince de Rohan et de son épouse, la princesse de Guéménée. Il plaida encore dans le procès intenté par la famille Montalembert contre Charles Loyson, plus connu sous son nom religieux de Père Hyacinthe ; et dans celui intenté par la duchesse de Chevreuse contre la duchesse de Chaulnes. 

     

      Le 23 décembre 1893, Alexandre Bétolaud fut élu membre de L’Académie des Sciences morales et politiques. Il en présidera la section de Législation en 1901-1902. 

     

     

     

    Maître Barboux, Académie française (chromo Guérin-Boutron n° 470 de la série des célébrités contemporaines, éditée en 1919)

    113. Maître Barboux, Académie française (chromo Guérin-Boutron n° 470 de la série des célébrités contemporaines, éditée en 1919).

     

       Henri Barboux est né à Châteauroux, le 24 septembre 1844, et mort à Paris, le 25 avril 1910. Dans ses jeunes années, il envisageait de préparer l’Ecole Polytechnique, mais il y renonça à la suite du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, à l’origine du Second Empire instauré, une année plus tard, le 2 décembre 1852. Henri Barboux, dont le père avoué avait été proscrit et incarcéré par ce nouveau régime, renonça à une entrée éventuelle dans la fonction publique pour ne pas avoir à prêter serment de fidélité à l’empereur Napoléon III. Il décida alors de faire son droit pour accéder à une carrière d’avocat par nature indépendante de l’État.

     

       Après ses études à la Faculté de Droit de Paris, il fut avocat stagiaire en 1853, premier secrétaire de la Conférence des Avocats (lauréat du concours d’éloquence des avocats stagiaires), et avocat titulaire au Barreau de Paris en 1859. Il sera membre du Conseil de l’Ordre des Avocats en 1874, élu Bâtonnier en 1880. 

     

     

     

     

     

    Ferdinand de Lesseps, défendu par Henri Barboux dans l’affaire du Canal de Panama (chromo Félix Potin, tiré à partir d’une photographie noir et blanc de Nadar)

    114. Ferdinand de Lesseps, défendu par Henri Barboux dans l’affaire du Canal de Panama (chromo Félix Potin, tiré à partir d’une photographie noir et blanc de Nadar).

     

    « Le grand conseiller de la richesse française. » S’étant spécialisé dans les affaires financières, Henri Barboux assura la défense des plus grandes sociétés industrielles et de crédit comme la Compagnie de Suez (affaire du canal de Suez), celle des Chemins de fer d’Orléans, la Société Générale, le Comptoir d’Escompte, et le Syndicat des agents de change.

     

      Henri Barboux fut encore l’avocat de Ferdinand de Lesseps dans l’affaire du plus grand scandale du XIXème siècle : celui du canal de Panama (Ferdinand de Lesseps était l’un des administrateurs de la Société Française du Canal). Certes Ferdinand de Lesseps fut condamné, en février 1893, à cinq ans d’emprisonnement par la Cour d’appel de Paris siégeant en formation correctionnelle, mais en raison d’une bourde procédurale du procureur général qui avait méconnu des dispositions du Code d’instruction criminelle propres aux grands officiers de la Légion d’honneur, la Cour de cassation, le 15 juin 1893, cassa cette décision au motif que tous les faits qui étaient reprochés au prévenu étaient prescrits. Ferdinand de Lesseps n’eut donc pas à exécuter sa peine (en raison de son grand âge, 88 ans, et de son état de fatigue, il n’avait pu être présent à son procès).

     

     

    Plaidoirie d’Henri Barboux devant la Cour d’appel de Paris siégeant en formation correctionnelle : « […] Ferdinand de Lesseps appartient à cette race d’hommes supérieurs dont l’intelligence habite les sommets d’où l’on commence à apercevoir l’avenir de l’humanité… Pour lui en perçant le Canal de Suez, Il s’agit de changer le commerce du monde, de rapprocher des peuples que trois mille lieues séparent, de modifier l’écorce terrestre, et, s’il m’est permis d’employer une expression semblable, de faire des retouches à l’œuvre de Dieu ! Aussi, voyez comme ils s’enflamment ! Oh ! la foi a changé d’objet ; les croisés comptaient autrefois sur la protection miraculeuse du ciel, les savants d’aujourd’hui s’en fient à l’infaillibilité de la science. La foi a changé d’objet, mais c’est toujours la foi, avec ses mouvements superbes qui élèvent l’homme au-dessus de lui-même, en lui cachant, hélas ! les forces véritables de cet invincible ennemi qui s’appelle la nature et vend si cher à l’humanité les triomphes qu’elle remporte sur lui. Belles chimères ! dit Monsieur l’Avocat général, mais voyez donc ce qu’elles ont coûté ! Vous avez raison, Monsieur l’Avocat général. Les croisades étaient une chimère, la campagne d’Égypte était une chimère, car vous appelez chimère toutes les grandes aventures qui n’ont pas réussi. Mais voyez-vous, l’humanité ne peut point encore se passer de ces chimères-là. […]»

     

     

       Pour bien comprendre cette affaire, je vous renvoie à l’étude librement accessible en ligne sur le site CAIRN du CNRS, publiée dans la Revue française de gestion en 2008, de Jean-Guy Degos et Christian Prat dit Hauret : « L’échec du canal de Panama. De grandes espérances à la détresse financière. »

    https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2008-8-page-307.htm

     

     

     

     

     

    Henri Barboux. Discours et Plaidoyers

    115. Henri Barboux. Discours et Plaidoyers. Librairie nouvelle de Droit et de Jurisprudence. Paris. 1889 (cet ouvrage est en libre accès sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France, sous ce lien :

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5696538z?rk=21459;2#

     

     

     

     

     

    Mme Sarah Bernardt et Mme Marie Laurent (chromo chocolat Grondard)

    116. Mme Sarah Bernardt et Mme Marie Laurent (chromo chocolat Grondard).

        

      Pour conclure avec Henri Barboux, je rappellerai qu’il fut également l’avocat de l’actrice Sarah Bernardt contre la Comédie Française qui lui reprochait sa brusque démission en 1880 (elle fut condamnée à dédommager la Comédie Française) ; président du parti politique l’Union libérale de 1890 à 1895 (il ne sollicita aucun siège politique) ; et élu, le 23 mai 1907, membre de l’Académie française.

     

     

     

     

     

    Maître Henri-Robert, Avocat (chromo du Chocolat Sadla)

                                 117. Maître Henri-Robert, Avocat (chromo du Chocolat Sadla).

     

        Henri-Robert, surnommé « Le Maître des maîtres de tous les Barreaux », est né à Paris, le 4 septembre 1863, et mort dans cette même ville, le 12 mai 1936. Enfant naturel, de père et mère inconnus, il reçut les prénoms de baptême Robert Henri qu’il transforma plus tard en nom composé Henri-Robert (depuis 1948, une rue de l’Île de la Cité porte son nom, entre la place Dauphine et la place du Pont-Neuf).

     

          Il fit son droit, dans les années 1882 et suivantes, à l’École de Droit de Paris (renommée par la suite Faculté de Droit). Sa licence obtenue en 1885 lui permit de devenir avocat au Barreau de Paris. En 1887, il fut nommé secrétaire de la Conférence de Paris. Il obtint son doctorat en droit en 1895 (Thèse principale : Des droits des particuliers dans l’exercice de l’action publique. Thèse complémentaire : Des actions populaires). 

       

        Étant devenu l’un des plus grands avocats pénalistes de l’époque, il sera élu membre du Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris (de 1906 à 1919), et bâtonnier de celui-ci en 1913 (en raison de la guerre, il assura cette charge non pas deux années selon l’usage, mais jusqu’en 1919. Âgé de cinquante ans, il ne pouvait être mobilisé comme soldat).

     

     « Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je vais te mener ! » (Turenne, se parlant à lui-même, en 1667). Il se distingua aux Assises dans des causes célèbres par ses talents d’orateur, compliqués ou améliorés de la peur qui l’envahissait lorsqu’il prenait la parole. Il disait lui-même : « Le trac, horrible et indispensable émotion, qui permet d’émouvoir les autres ».

     

     

     

     

     

     

    Mr. Le Président des Assises (chromo Chocolat Poulain.  Goutez et comparez ! Qualité sans rivale)

    118. Mr. Le Président des Assises (chromo Chocolat Poulain.  Goutez et comparez ! Qualité sans rivale). 

     

         « Maître, vous avez la parole - Euh… Qu’est-ce que je dois dire ? » Je ne vous ferai pas grâce de la première plaidoirie d’Henri Robert, bien au contraire :  

     

    « La première fois qu’il plaida aux Assises, Henri-Robert fut si troublé qu’il en oublia l’ordre même des débats, se leva avant que l’avocat général eut fait entendre la voix de l’accusation, et récita en tremblant, devant la Cour stupéfaite, un exorde soigneusement préparé.

       Il lui fallut se rasseoir aussitôt. Mais que faire ? Ce qu’il savait le mieux, c’était son commencement. Impossible de le répéter. Quant il eut enfin la parole pour de bon, le péril et l’angoisse lui avaient donné des ailes. Il improvisa. Il devait improviser ainsi pendant un demi-siècle » (Maître Jean Appleton, Discours prononcé à Metz, le 2 juin 1936, à l’occasion du XVème congrès de l’Association. Gazette du Palais).

     

     

     

     

     

     

     

    Cherchez l’huissier Gouffé ? (chromo L. Obin, Pau. Courbe-Rouzet, imprimeur-éditeur à Dôle)

    119. Cherchez l’huissier Gouffé ? (chromo L. Obin, Pau. Courbe-Rouzet, imprimeur-éditeur à Dôle).

     

      « En Angleterre, un homme accusé de bigamie est sauvé par son avocat qui prouve que son client avait trois femmes » (Georges Christoph Lichtenberg. 1747-1799). Henri Robert plaida aux Assises dans les affaires criminelles les plus célèbres comme celle de l’assassinat de l’huissier de justice Toussaint Gouffé dont les restes humains difficilement identifiables furent retrouvés dans une malle à Millery, près de Lyon. Il assura, dans ce procès qui s’ouvrit le 16 décembre 1890 devant la Cour d’Assises de la Seine, la défense de Gabrielle Bompart. Celle-ci fut condamnée à vingt ans de travaux forcés et, Michel Eyraud, son amant, à la peine de mort. En effet, Maître Henri Robert avait obtenu des circonstances atténuantes pour sa cliente en plaidant qu’elle avait été soumise à son amant au moyen de l’hypnose !

     

        Pour tout savoir sur l’assassinat de l’huissier de justice Gouffé, qui a donné lieu à l’une des premières réussites de la police scientifique, je vous invite à lire l’article que lui ont consacré les contributeurs de wikipedia sous ce titre : « Malle sanglante de Millery » 

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Malle_sanglante_de_Millery

     

     

     

     

    Le dernier crime de l’ogresse – Jeanne Wéber, partant pour la prison (première de couverture « Le Petit Journal », supplément illustré n° 914)

    120. Le dernier crime de l’ogresse – Jeanne Wéber, partant pour la prison (première de couverture « Le Petit Journal », supplément illustré n° 914). 

     

         Henri Robert plaida encore dans l’affaire mettant en cause Louis-Alfred Véron dit Norton, auteur de fausses lettres diplomatiques destinées à nuire à Georges Clémenceau (il fut condamné à trois ans de prison); dans celle de Thérèse Humbert impliquée pour escroquerie après avoir fait croire à ceux qui lui prêtaient de l’argent qu’elle était l’héritière du richissime américain Robert Henry Crawfort (elle fut condamnée à cinq ans de travaux forcés) ; dans celle de Jeanne Weber, surnommée « l’ogresse de Belleville », une tueuse « en série » accusée de 8 à 10 meurtres d’enfants (déclarée irresponsable pénalement, elle sera internée dans un asile) ; et dans celle opposant Octave Mirbeau, auteur de la pièce de théâtre « Le Foyer », commandée par l’administrateur de la Comédie Française Jules Claretrie, lequel en désaccord avec son contenu en cessa la programmation en 1908-1909 (Octave Mirbeau gagnera son procès). 

     

     

     

     

     

    L’Avocat, d’Henri Robert (

                        121. L’Avocat, d’Henri Robert (couverture de l’ouvrage paru en 1923 chez Hachette).

       

        Après la Première guerre mondiale, Henri Robert délaissa les procès criminels pour les procès civils et surtout s’adonner à l’écriture d’ouvrages historiques souvent en relation avec le droit et la justice : Les Grands Procès de l’Histoire (10 volumes de 1922 à 1935) ; L’Avocat (1923) ; Le Palais de Justice (1927)… Ces ouvrages lui vaudront d’être élu à l’Académie française, le 15 novembre 1923. Malheureusement, ils sont aujourd’hui introuvables en ligne tout du moins gratuitement, même sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. Je ne peux donc vous offrir que la couverture et la première page du livre L’Avocat d’Henri Robert, que j’ai pu dénicher sur la toile. En voici les premières phrases :

     

      L’avocat ! Quelle figure ce mot évoque-t-il d’abord à l’esprit de ceux qui vivent éloignés du Palais ? Quel sentiment éveille-t-il habituellement dans le public ?

      Pour quelques uns, l’avocat c’est traditionnellement « le défenseur de la veuve et de l’orphelin », le champion désintéressé de toutes les nobles causes, celui dont le dévouement est acquis à tous les opprimés, à tous les malheureux, à tous les déshérités de la fortune, et qui fait entendre, devant la justice, la voix de l’humaine pitié et de la miséricorde.

      Mais ayons la modestie et la clairvoyance de le reconnaître, il s’en faut que telle soit toujours notre réputation. Disons même que, le plus souvent, dans la littérature, l’avocat n’a pas bonne presse. […] 

     

       À très bientôt (See you very soon ; Bis Bald ; до скорой встречи…). Finie la Troisième République (du moins en chromos. 20-3 à 20-14). surnommée La République des Avocats.

          Prochaine page dans quelques jours : Drôles d’avocats… en chromos : Maîtres Chicanceau,  Blaguenville et  Blaguefort.


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    Maître Chicanceau* contre Maître Blaguenville** (chromo Chocolat Grondard)

    1. Maître Chicanceau* contre Maître Blaguenville** (chromo Chocolat Grondard. Il est possible que ce dessin soit de Jean Geoffroy, dit Géo [1853-1924], l’un des illustrateurs porte-bonheur de la Maison Grondard, la plus ancienne fabrique de chocolat en France, créée en 1760). 

     

        *Maître Chicanceau. Selon le dictionnaire d’Emile Littré paru entre1873 et 1876, donc sous la Troisième République, le mot chicane désigne, par dénigrement, un procès en général, ainsi que tous les gens qui vivent des procès et des procédures, notamment les avocats.

     

    **Maître Blaguenville. Selon ce même dictionnaire, le mot blague se dit, figurément et populairement, pour se moquer de quelqu’un (« Cet homme n’a que de la blague »).

     

     

     

     

    La Chicane (chromo Chocolat Félix Potin)

                                                 2. La Chicane (chromo Chocolat Félix Potin).

     

    Je défie votre chicane de Rouen d’être plus chicane que celle de Bruxelles (Voltaire, Lettres en vers et en prose, 74. 1785-1787).

     

    Quoi ! vous poussez cette chicane [vous poursuivez ce procès] ? (Madame de Sévigné, Lettres, 536).

     

    Lui souffle avec ces mots l'ardeur de la chicane (Boileau, Lutr. I).

     

    Et dans l'amas confus des chicanes énormes, Ce qui fut blanc au fond, rendu noir par les formes (Boileau, Sat. I).

     

    La Chicane en fureur mugit dans la grand'salle (Boileau, Sat. VIII).

     

     

     

     

     

    La Chicane (chromo Chocolat Félix Potin)

    3. Mr. Blaguefort, avocat (chromo Dupuy. Portrait inspiré de la scène d’un procès décrite par Émile Souvestre dans son roman sarcastique publié en 1846 : le Monde tel qu’il sera).

     

           Dans son sens premier, la blague désigne le petit sac dans lequel les fumeurs mettent leur tabac (blague à tabac, dérivé du mot néerlandais balg qui signifie enveloppe). Aussi est-il possible que les noms « Blaguenville » et « Blaguefort » utilisés pour désigner des avocats représentés dans ces images enfantines, tirées selon le procédé de la chromolithographie, soient en relation avec les sacs de toile à procès dont se servaient, avant la Révolution, les avocats et les procureurs (les deux professions se sont séparées à la fin du XVème siècle).

     

         Ils y rangeaient toutes les pièces concernant des affaires soumises à la justice (dépositions et requêtes, copies signées des procureurs des pièces, pièces à conviction).  Puis, les sacs étaient suspendus par des crochets au plafond ou aux murs de leurs cabinets (origine des expressions : L’affaire est dans le sac ; Affaire pendante). Lors des audiences, les sacs étaient descendus, et les avocats en sortaient les pièces nécessaires aux plaidoiries (origine des expressions : Vider son sac ; Avoir plus d’un tour dans son sac).

     

     

     

     

     

    Les Plaideurs de Racine (chromo Liebig

    4. Les Plaideurs de Racine (chromo Liebig, fin du XIXème siècle. Acte III. Scène 3 : La scène des petits chiens avec Dandin, Léandre, L’Intimé, Petit-Jean [en robe], et Le Souffleur).

     

      « Petit Jean, traînant un gros sac de procès » (titre de la scène 1 de l’acte 1 de la pièce de Racine : Les Plaideurs. 1668).

     

     

     

     

     

    Maître Chapotard lisant dans un journal judiciaire l’éloge de lui-même par lui-même (Honoré Daumier. Les Gens de Justice)

    5. Maître Chapotard lisant dans un journal judiciaire l’éloge de lui-même par lui-même (Honoré Daumier. Les Gens de Justice) 

     

        Honoré Daumier (1808-1879), dans sa caricature au vitriol des Gens de justice (avocats, juges…), publiés dans le « Charivari » entre 1845 et 1848, désigne l’un de ses personnages, avocat, sous le nom de Maître Chapotard. Il s’agit d’un nom patronymique ordinaire dont je n’ai pas très bien pigé le sens humoristique (bienvenu pour un commentaire !). Cela dit, je présenterai bientôt sur ce blog l’ensemble des dessins de ce merveilleux ouvrage dans la rubrique « Droit artistique. »

     

     

     

    Démosthène (chromo enfantine didactique non datée).

                                                      6. Démosthène (chromo enfantine didactique).

     

     

     Parfois encore, on trouve, dans la littérature populaire de la Troisième République, le nom de Démosthène pour nommer par moquerie un avocat sans le moindre talent oratoire. En effet, Démosthène (384-322 av. J.-C.), pourtant célèbre pour avoir été le plus grand orateur de la Grèce antique, cité par Cicéron comme le modèle même de l’éloquence, était, à ses débuts, bien malheureux, lorsqu’il prenait la parole en public (la profession d’avocat n’existait pas dans l’Athènes antique; elle se fit jour chez les romains, sous la forme d’une institution purement libérale). Il était atteint d’une part d’un trouble de la parole, le bégaiement, d’autre part d’un trac le conduisant à soulever sans cesse une épaule. Aussi était-il hué par le public lors de ses premiers discours (« Il fut en butte aux clameurs et aux moqueries à cause de son style insolite […]. Il avait d’ailleurs, semble-t-il une voix faible, une élocution confuse et un souffle court, qui rendait difficile à saisir le sens de ses paroles, obligé qu’il était de morceler ses périodes. » Plutarque, Vie de Démosthène).

     

      Au demeurant, Démosthène put, grâce à divers « trucs », corriger ses défauts. Par exemple, en s’entraînant à parler avec des petits galets dans la bouche, en faisant de la course à pied pour renforcer son souffle et le timbre de sa voix, en travaillant devant un miroir, la pointe d’une épée coincée sous l’aisselle qui le piquait lorsqu’il bougeait l’épaule ; et en s’isolant dans une cave pour s’entraîner à parler.

     

      Pour en savoir plus sur Démosthène, voici un article en accès libre intitulé : « Démosthène, de l’enfant bègue à l’orateur en puissance » de Charles Gardou, Professeur des universités.

    https://www.cairn.info/revue-reliance-2005-1-page-101.htm

     

     

        À très bientôt pour découvrir, dans la rubrique « Droit artistique » de ce blog, plusieurs peintures, eaux fortes ou dessins anciens d’avocats et de procureurs avec leurs sacs à procès que j’ai évoqués sous l’image n° 3.

     





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