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    Le notaire provincial selon Octave Mirbeau (Dingo. 1913)

    1 Maître Authenticus, notaire à Trou-en-Cambrousse (image publicitaire enfantine Chocolat-Louis. Circa 1900) 

                   

    « Je jure de Loyalement remplir mes fonctions avec exactitude et probité, et d’observer en tout les devoirs qu’elles m’imposent » (le serment de notaire. art. 57. Décret du 5 juillet 1973).

     

    En cliquant sur la fonction image de Google, avec les deux mots : notaire et roman, je suis tombé, à plusieurs reprises, sur la couverture d’un livre d’Octave Mirbeau, Dingo, qui m’était inconnu. Je suis aussitôt allé sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France pour y télécharger gratuitement le fichier PDF de ce livre, libre de droit (il est également disponible sur cet autre site de manière plus claire : http://www.leboucher.com/pdf/mirbeau/dingo.pdf). 

     

    Puis, en mettant le mot notaire dans l’onglet recherche de mon lecteur de fichier PDF, j’ai fait deux découvertes. D’une part, Octave Mirveau, petit-fils de deux notaires provinciaux, afin d’accéder à son tour au notariat, avait été étudiant à la Faculté de Droit de Paris. D’autre part, dans son dernier roman, Dingo, il a longuement décrit, à sa manière « vacharde enragée », le notaire rural ou provincial.

     

         Je n’ai pas osé intégrer ce roman au précédent chapitre 41 « Romancerie de Notaires » consacré aux romans dits populaires ou d’imagination. En effet, Octave Mirbeau fait plutôt partie du cercle des auteurs inclassables, à cheval entre la catégorie littéraire ou classique, et celle populaire  avec  des romans qui ont connu de grands succès comme « Le journal d’une femme de chambre ». Voici donc la raison pour laquelle je réserve ce chapitre à Octave Mirbeau et à son chien de race dingo qui, comme son maître, n’aimait pas les notaires !

     

     

     

     

     

    Sébastien Roch d'Octave Mirbeau. 1890

    2 Sébastien Roch, d’Octave Mirbeau. 1890 (En libre accès sur le site gallica.bnf.fr.).

     

    “Malgré son trouble, Sébastien ne pouvait s’empêcher de remarquer malicieusement que cette piété exaltée, que ces ardentes extases divines s’accordaient difficilement avec le plaisir plus laïque, de fumer des cigarettes et de boire des verres de liqueur. Et l’agitation insolite du Père, le frôlement de ses jambes, cette main surtout, l’inquiéta. Cette main surtout l’inquiéta. Cette main courait sur son corps, d’abord effleurante et timide, ensuite impatiente et hardie. Elle tâtonnait, enlaçait, étreignait.”  

     

            Octave Mirbeau est né le 16 février 1848 à Trévières, dans le Calvados. Son père était officier de santé, autrement dit médecin, et ses deux grands-pères notaires. Après avoir passé une partie de son enfance à Rémalard, dans l’Orne (de 1849 à 1858), il entra, en octobre 1859, comme pensionnaire au collège des Jésuites de Vannes, d’où il fut renvoyé, le 9 juin, sous prétexte de mauvaises notes.

     

    Dans son troisième roman, Sébastien Roch, paru en mars 1890, Octave Mirbeau se révèle alors sous le personnage d’un enfant détruit par ses années passées dans un collège de jésuites et les viols de son esprit et de son corps par l’un des prêtres qui le fit chasser honteusement du collège, pour de prétendues “amitiés particulières” qu’il aurait lui-même entretenues avec son seul ami et confident, l’élève Bolorec. Cette expérience destructrice pourrait expliquer la plume au vitriol avec laquelle Octave Mirbeau, à l’âge adulte, dénoncera, dans ses écrits, nombre de sujets tabous de la Belle Époque.

     

     

     

     

     

    Octave Mirbeau, jeune étudiant en Droit au Quartier Latin

                  3 Octave Mirbeau, jeune étudiant en Droit au Quartier Latin.

     

    Après son renvoi du collège des Jésuites de Vannes, Octave Mirbeau fut pensionnaire au collège Delangle de Caen où il prépara son baccalauréat. Ce n’est qu’à sa troisième tentative qu’il obtint, en 1886, ce premier grade universitaire (le mot baccalauréat serait une altération du bas-latin bachalariatus, désignant un rang de débutant d'abord dans la chevalerie, puis dans la hiérarchie religieuse et universitaire. Émile Littré).

     

     

     

     

     

     

    L’étudiant en Droit polard ou bûcheur

    4 L’étudiant en Droit polard ou bûcheur (autrefois, des étudiants en droit portaient la faluche avec liséré rouge).

     

     

    Étudiant en Droit : celui qui étudie le Droit (Émile Littré). Il s’inscrivit, en 1867, à la Faculté de Droit de Paris, place du Panthéon, afin de devenir notaire comme ses deux grands-pères. Mais les cours de ses Professeurs et les Codes l’ennuyaient tellement qu’il abandonna bien vite le statut de polard (étudiant qui passe tout son temps dans ses bouquins) pour celui de festif (étudiant qui passe tout son temps à boire et à s’amuser).

     

     

     

     

     

     

    Joyeux étudiant au Quartier Latin (dessin de Paul Merwart. 1896). 

        5 Joyeux étudiant au Quartier Latin (dessin de Paul Merwart. 1896).

     

    Il faut que jeunesse se passe. Adieu donc les bancs de la Faculté, son Doyen et ses Professeurs en robe rouge et noire, les notes de cours, les examens de Droit et les espérances d’une charge de notaire provincial en redingote de casimir noir et cravate blanche. Octave Mirbeau préféra partir à la découverte des plaisirs du Quartier Latin.

     

     

     

     

     

     

    Octave Mirbeau, en 1916, un an avant sa disparition (16 février 1917).

      6   Octave Mirbeau, en 1916, un an avant sa disparition (16 février 1917).

     

    Mais Octave Mirbeau attrapa surtout au Quartier Latin le virus de l’écriture (du latin virus : suc, bave, poison) au vitriol (sels métalliques du nom de sulfate) pour lequel, aujourd’hui encore, il n’existe aucun remède, à l’exception de la censure officieuse de la presse et de l’édition. Jean-Paul Sartre, dans « Les mains sales », écrira même qu’Octave Mirbeau était « irrécupérable » !

     

    D’abord, Octve Mirbeau exerça comme « prolétaire de lettres », rédigeant, sous la signature d’autres personnes, des éditoriaux, des comptes rendus des Salons de 1874, 1875 et 1876 (il s’y prit de passion pour Corot, Puvis de Chavannes et Manet), des brochures de propagande bonapartiste, etc.

     

    Ensuite, sous son nom, il rédigea des articles dans divers journaux (L’Ariégeois-Querelles clochemerlesques ; Le Gaulois, Paris Journal, Le Figaro d’où il fut chassé après  un article à scandale contre la cabotinocratie ; Paris-Midi–Paris-Minuit; Les Grimaces).

     

    Puis, comme auteur anonyme, il écrivit, de 1881 à 1886, plus d’une dizaine de romans (notamment La belle Madame Le Vassart), et de contes et nouvelles (Noces parisiennes et Amours cocasses).

     

    Enfin, à partir de 1886, il fut l’auteur, sous son nom, de nombreux romans dont certains connurent de grands succès de ventes et parfois de scandales (Le Calvaire [1886] ; Le Jardin des supplices ([1899] ; Le Journal d’une femme de chambre [1900] ; Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique  [1901]), et de pièces de théâtre (triomphe mondial avec Les affaires sont les affaires [1903]), tout en continuant à manier ses autres plumes de journaliste, de pamphlétaire et de critique d’art défenseur des impressionnistes.

     

     

     

     

     

     

    Dingo, d’Octave Mirbau (édition de l’an MCMXIII [1913], Henri Jonquières & Cie, éditeurs. Paris).

    7. Dingo, d’Octave Mirbau (édition de l’an MCMXIII [1913], Henri Jonquières & Cie, éditeurs. Paris).

     

    C’est en mai 1913, alors qu’il était malade et tombé dans l’oubli éditorial, qu’Octave Mirbeau publia chez Fasquelle, son ultime roman : Dingo. Il reprit pour cet ouvrage le texte qu’il avait pré-publié en feuilleton dans Le Journal.

     

    Octave Mirbeau n’étant plus en état d’écrire en raison de sa maladie, l’ouvrage fut achevé, sur ses indications, par Léon Werth, un autre auteur de roman, devenu célèbre pour la dédicace que son ami, Saint-Exupéry, lui avait dédié sur la page de garde du Petit Prince, en ces termes :

     

    « À Léon Werth.

    Je demande pardon aux enfants d'avoir dédié ce livre à une grande personne. J'ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j'ai au monde. J'ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J'ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a besoin d'être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l'enfant qu'a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace :

    À Léon Werth quand il était petit garçon »

    — Antoine de Saint Exupéry, Le Petit Prince

     

     

     

     

     

    Le notaire provincial selon Octave Mirbeau (Dingo. 1913)

    8 Dingo, « un chien tout à fait mystérieux et dont l’immoralité est prodigieuse » (Octave Mirbeau).

     

    Tel maître, tel chien.  Le héros de ce roman est Dingo, le chien bâtard d’Octave Mirbeau. Le narrateur du roman en profite pour révéler les pensées de ce chien et dialoguer avec lui. Mais les pensées et les paroles de Dingo ne sont rien d’autres que celles d’Octave Mirbeau, qui en profite pour dépeindre avec son humour dévastateur, renforcé par celui de Léon Werth, le notaire rural ou provincial.  

     

     

     

     

     

     

    Antichambre  de notaire provincial (Emmanuel  Fougerat. Salon de Paris. 1908)

    9 Antichambre  de notaire provincial (Emmanuel  Fougerat. Salon de Paris. 1908).

     

        C’est donc par l’intermédiaire de son chien Dingo qu’Octave Mirbeau s’en prend au notaire rural ou provincial, durement et sévèrement avec une teinte d’ironie aigre. En voici des extraits, illustrés d’images et de chromos anciennes dont aucune n’est tirée des diverses éditions de ce livre.

     

     

     

     

     

    44 Le notaire provincial selon Octave Mirbeau (Dingo. 1913)

                               10 Maître Léonce Vertbled, notaire à Ponteilles

     

           Maître Anselme Joliton était notaire à Ponteilles depuis douze ans. Il avait succédé à maître Léonce Vertbled. Selon le rythme habituel, maître Vertbled, après vingt années d’exercice loyal et de confiance universelle, était parti un matin d’avril — ô joies du printemps — avec tout l’argent déposé dans son étude, tout l’argent de la Fabrique, dont il était le trésorier, tout l’argent d’un certain baron de Vissepet dont il gérait les propriétés, pour le compte de qui il touchait fermages, arrérages et redevances, et qui se tua, le pauvre baron, découragé à la pensée qu’il devrait désormais les toucher lui-même, ce dont il ne se sentait pas capable…

     

        Le plus douloureux, ce n’était pas ce que maître Vertbled emportait, c’était ce qu’il laissait… Non seulement maître Vertbled était un génial voleur, c’était un puissant ironiste. Il laissait une situation tellement inextricable, au point de vue des attributions hypothécaires, et même des origines de la propriété dans tout le canton, qu’il en résulta de nombreux procès, dont quelques-uns se plaident encore, se plaideront longtemps, se plaideront peut-être toujours. Presque tout le pays fut ruiné, plus que ruiné, bouleversé de fond en comble. Il semblait qu’une révolution sociale fût passée sur lui. Par suite de faux, par suite de manœuvres frauduleuses, comme on n’en avait pas encore vu jusqu’ici, il arriva que certains furent dépouillés de terres qu’ils possédaient de père en fils, légitimement. D’autres se virent attribuer des terres qu’ils ne possédaient pas. Personne ne savait plus ce qu’il avait ou ce qu’il n’avait pas. Effroyable gabegie, dont on ignore à l’heure actuelle si l’on sortira un jour…

     

     

     

     

     

    44 Le notaire provincial selon Octave Mirbeau (Dingo. 1913)

                               11 Maître Anselme Joliton, notaire à Ponteilles

     

            C’est dans ces conditions difficiles que maître Anselme Joliton, clerc principal dans une petite ville de la Touraine, arriva, inconnu à Ponteilles. Il ne fut pas accueilli à coups de fourche; on le reçut comme un sauveur. Un moment, on avait même craint qu’il n’arrangeât la situation extraordinaire laissée par maître Vertbled, qu’il remît les choses à leur vraie place, les propriétés à leurs véritables propriétaires. Par bonheur, il n’en fut rien. Cette situation, il la compliqua encore. Cela lui valut d’emblée la confiance de tout le monde. Durant douze ans d’ailleurs, il se montra digne de cette confiance. On se disait ce qu’on s’était dit de maître Vertbled, ce qu’on s’était dit du prédécesseur de maître Vertbled, ce qu’on s’était dit de tous les notaires qui, depuis qu’il y a des notaires, s’étaient succédé à Ponteilles… — Au moins, celui-là… à la bonne heure!...

     

     

     

     

     

    44 Le notaire provincial selon Octave Mirbeau (Dingo. 1913)

                    12 Maître Anselme Joliton et son épouse, la notairesse.

     

         … Maître Anselme Joliton était un homme de quarante-cinq ans, rondelet, grassouillet, obséquieux. Il avait conservé la mode ancienne des redingotes très longues et des cravates blanches. Un chapeau haut de forme en feutre mat couvrait en toutes saisons, à toutes heures du jour même les plus matinales, sa tête ronde, strictement rasée, qu’encadraient sur la nuque, d’une oreille à l’autre, des boucles de cheveux châtains, prématurément mêlés de cheveux gris. La mine papelarde, le nez charnu, l’oreille plate et détachée, la peau d’une graisse un peu jaune, la bouche toute mouillée de politesses, toute fleurie de sourires, le linge douteux, il avait l’air d’un chanoine. Un chanoine parfois un peu triste. Marié, sans enfants, on ne voyait jamais sa femme qui, malade, disait-on, d’une neurasthénie incurable, passait ses journées à pleurer, étendue sur une chaise longue, dans sa chambre, dont les persiennes restaient toujours fermées. Il vivait modestement. La domesticité se composait d’une femme de ménage et du second clerc, qui s’initiait aux mystères du notariat, en balayant la maison et cirant les chaussures, en s’occupant du cheval et de la voiture. Il s’occupait aussi du jardin… Ah! Ce n’était pas l’existence que maître Anselme Joliton avait rêvée. Il eût aimé recevoir des amis… donner quelques dîners intimes à des clients importants et sympathiques. Bien à regret, il avait dû renoncer à ces joies, justement à cause de sa pauvre, de sa chère malade, incapable de diriger la maison et qui ne voulait voir personne. — Une vie brisée… soupirait-il… Par malheur, on ne me laisse pas l’espoir du moindre changement… C’est bien triste… Mais chacun a sa croix sur la terre… Et il ajoutait, en rassemblant dans son regard résigné toutes les mélancolies qui sont éparses dans la vie : — Tout de même… Je n’ai pas eu de chance… Nous aurions pu être heureux… Ma femme était si bonne musicienne… Elle joue du piano, comme un ange…

     

     

     

     

     

    Le notaire provincial selon Octave Mirbeau (Dingo. 1913)

    13 Maître Anselme Joliton en voyage d’affaires à Paris : « Alors, enfant volage et sans scrupules, tu n’as pas honte de me tromper, moi un homme marié » (Le Rire, 7 avril 1906. Dessin de Lucien Métivet. Source gallica.bnf.fr.).

     

      Au moins une fois par semaine, il allait à Paris, très luisant, très pommadé, très brossé, sous le bras une lourde serviette de maroquin, bourrée de papiers. Comme on le plaisantait sur ces très fréquents voyages, il répondait avec une expression de lassitude et d’ennui : — Les affaires!… ah! les affaires!… Le travail… je n’ai plus que ça… Que voulez-vous? On sut plus tard — trop tard — que les affaires de maître Anselme Joliton — histoire banale — c’était une petite téléphoniste qu’il entretenait d’amour et de quatre-vingt-dix francs par mois… Une petite femme de seize ans, sa payse de la Touraine, qu’il trompait d’ailleurs avec des dames plus élégantes des Folies-Bergère, de l’Olympia et du bal Tabarin.

     

     

     

     

     

    Chez le notaire rural, huile sur toile de Jossot, 1911

    14 Chez le notaire rural, huile sur toile de Jossot, 1911. « Le paysan croit en Dieu, parce que Dieu parle en latin; il croit au notaire, parce que le notaire écrit en jargon » (Octabe Mirbeau. Dingo).

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La fourrière des chiens (Grandville.1842)

                                  15 La fourrière des chiens (Grandville.1842)

     

     

     

     


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    Les Avariés, d’Eugène Brieux, 1903 (Paris, Librairie illustrée. Illustrations d’Édouard-Auguste Carrier).

    1 Les Avariés, d’Eugène Brieux, 1903 (Paris, Librairie illustrée. Illustrations d’Édouard-Auguste Carrier).

     

    L’avarié (Georges Dupont) : — Mais, monsieur le docteur, répondit-il, pour me faire une situation. Mon père était notaire, et, paraît-il, avant sa mort, il avait exprimé le désir que j'épouse ma cousine, dont la dot va me permettre de tenter quelque chose (acquérir une étude d’avoué ou de notaire), — un beau parti, monsieur le docteur, — une jeune fille charmante que j'adore, — car notez bien que je l'adore, — et j'en suis, je crois pouvoir le dire, tendrement aimé. Tout, j'avais tout pour vivre dans une tranquille félicité. Monsieur, ceux qui me connaissent m'enviaient... Et il a fallu que des camarades imbéciles m'entraînent après le dîner d'enterrement de ma vie de garçon... Et voilà où j'en suis... Je n'ai pas de chance, je n'ai jamais eu de chance. J'en connais qui mènent une vie de débauchés. Il ne leur arrive rien, à ces animaux-là... Moi, pour un malheureux écart, voilà mon avenir perdu, mon existence empoisonnée... Qu'est-ce que je vais devenir?... Tout le monde me fuira... Je suis un paria, un pestiféré... Alors? Est-ce qu'il ne vaut pas mieux que je disparaisse? Au moins je ne souffrirai plus ! Vous voyez bien qu'il n'y a personne de plus malheureux que moi !... Il n’y a personne, je vous le dis, monsieur, il n’y a personne ! 

     

     

     

     

    Le joyeux étudiant en Droit au Quartier Latin (dessin de Xavier Sager).

         2 Le joyeux étudiant en Droit au Quartier Latin (dessin de Xavier Sager).

     

    De l’accès de l’étudiant à la vérole et au notariat. Dans ce roman dramatique, notre triste héros, Georges Dupont, étudiant en Droit et fils de notaire, attrape la syphilis, une maladie sexuellement transmissible, après un rapport avec une femme livrée à l’impudicité dans un lieu qui ne se peut pas nommer honnêtement (cabinet particulier ou maison close) où il avait enterré sa vie de garçon avant son mariage avec sa cousine Henriette.

     

     

     

     

           Syphilis (Le Rire, 20 janvier 1906, dessin d'Albert Guillaume)

    3 - Alors docteur, vous croyez que je peux dire à ma fiancée que j’ai attrapé ça dans un roman d’un cabinet particulier… de lecture ? (Le Rire, 20 janvier 1906, dessin d’Albert Guillaume).

     

     Devenu l’avarié, et malgré l’avis de son médecin de famille soucieux de la contagion, il épousa quand même sa cousine dont il était amoureux et dont la dote devait lui permettre d’acquérir, à Paris, une belle et riche étude d’avoué ou de notaire. Par malheur, il lui transmit, à son tour, la syphilis, et ils mirent au monde une petite-fille qui se révéla rapidement atteinte, elle aussi, de cette maladie (La vérole, nom vulgaire de la syphilis, se communique, et l’on a trop d’exemples d’enfants qui sont, même en naissant, les victimes de la débauche de leurs parents.  Buffon, Hist. Ani. Œuv. T. IV, p. 118).

     

     

     

     

     

    Eugène Brieux, auteur dramatique (gravure de Rousset, revue L’Instantané, n° 53 du 30 novembre 1903).

    4 Eugène Brieux, auteur dramatique (gravure de Rousset, revue L’Instantané, n° 53 du 30 novembre 1903).

     

     

    D’hier à aujourd’hui. Voici donc la maladie la plus « honteuse » au dix-neuvième siècle, aussi dénommée « grosse vérole », ou, simplement « vérole », révélée sous la plume d’Eugène Brieux dans le milieu pour le moins austère du droit et du notariat, alors même qu’elle était plutôt l’apanage de nos militaires et grands écrivains (Baudelaire, Maupassant, Daudet…), et de quelques millions d’anonymes de divers autres milieux (sur sept hommes, il y avait, au moins, un syphilitique). Mais que le lecteur de ce blog, futur ou actuel homme de lois, se rassure, la syphilis se traite aujourd’hui, simplement et efficacement, avec l’administration d’antibiotiques, en particulier la  pénicilline arrivée en 1943.

     

     

     

     

    Le Bureau de la Censure

                            5 Le Bureau de la Censure - Ne bougeons plus !

     

    « J’ai besoin d’un remède et non pas de censure » (Mairet, Solim. I, 2). On ajoutera que le roman de Brieux était tiré, presque mot à mot, de sa pièce de théâtre éponyme en trois actes qui avait été répétée, en novembre 1901, au théâtre Antoine, avant d’être interdite en France par la censure. En effet, véritable pièce à thèse traitant d’un sujet tabou à l’époque, Eugène Brieux y dénonçait l’égoïsme, l’indifférence et l’hypocrisie du monde politique et de la bourgeoisie qui faisaient semblant d’ignorer la syphilis. Toutefois, la pièce connut un grand succès en Allemagne, en Suisse, en Scandinavie et en Belgique où elle fut jouée, le 6 mars 1902, au théâtre du Gymnase de Liège, et, le lendemain, à Bruxelles. La censure ayant été levée, elle put enfin être jouée pour la première fois à Paris, au théâtre Antoine, le 22 février 1905.

     

     

     

     

    Théâtre complet de Brieux. Tome VI : Les avariés… (Librairie Stock. 1923).

    6 Théâtre complet de Brieux. Tome VI : Les avariés… (Librairie Stock. 1923).

     

    Cette pièce est en accès libre sur le site gallica.bnf.fr., sous ce lien :

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5682008k?rk=321890;0 

     

     

     

     

    Grand roman dramatique inédit : Les Avariés, tiré de la pièce de Brieux interdite par la censure.

    7 Grand roman dramatique inédit : Les Avariés, tiré de la pièce de Brieux interdite par la censure.

     

    Le roman tiré de la pièce est lui aussi en accès libre, sur le site gallica.bnf.fr., sous cet autre lien :

     

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55388980?rk=107296;4 

     

        Aussi me conterai-je de recopier le texte d’une publicité faite à ce livre par son éditeur de Paris, la Librairie illustrée, lors de sa parution en 1903, que j’ai déniché sur la « toile » :

     

    Nul n'a oublié l'émotion profonde et universelle que suscita, l'an dernier, la pièce de Brieux « LES AVARIÉS », interdite par la censure.

     

    Transportée sur les scènes de l'étranger, partout elle fut un triomphe pour l’auteur ; mais en Allemagne, en Suisse, et en Belgique particulièrement, l'enthousiasme fût prodigieux.

     

         En France, le courage de l'auteur, qui, le premier, osait parler ouvertement d'une maladie qualifiée jusqu'ici de « honteuse » fut admiré, et des administrations officielles lui rendirent hommage. C'est ainsi que le Ministre de la Guerre adressa à tous les généraux, en avril 1902, une circulaire spéciale pour inviter les hommes à avouer ce qui n'était ni une honte ni un crime, afin de leur faciliter les moyens de guérir et défendre les humiliations ridicules infligées aux soldats atteints.

     

         De cette pièce, œuvre noble et saine, il a été tiré un roman populaire, où sont dépeints les drames intimes, les situations tragiques, les mystères inexpliqués qui, souvent, se déroulent dans les milieux les plus divers, et dont l'origine remonte à ces « avaries » premières, insuffisamment suivies et malheureusement inavouées.

     

         LES AVARIÉS, c'est une histoire vraie, palpitante d'émotion dramatique, dont tous les personnages ont vécu ou vivent encore, c'est le roman véridique d'une exquise histoire d'amour, détruite par la faute d'une victime de cette maladie universelle. C'est l'union brisée de deux cœurs tendrement unis; c'est aussi l'histoire de deux charmants enfants, innocentes victimes, tendres et mignonnes créatures, qui renaissent enfin à la vie et au bonheur.

     

         Dans ce roman, où tous les cas d'avaries ont été décrits et traités avec leurs conséquences émouvantes et tragiques, le lecteur assiste au calvaire d'un homme et à l'histoire atrocement douloureuse d'une épouse surprise dans son affection et dans sa confiance, blessée aux sources les plus intimes de son être.

     

       Œuvre tour à tour terrifiante, attendrissante, et par dessus tout généreuse, LES AVARIÉS traitent des secrets les plus cachés, fouillent les alcôves les plus intimes, dénoncent les plus poignantes douleurs, mais se terminent dans une apothéose de bonté, de miséricorde et.de pardon.

     

     

         C'est le roman d'angoisse et de tendresse, dont le succès sera prodigieux, parce que, tout en révélant les pires atrocités contre lesquelles aucune créature humaine ne peut se prétendre garantie, il dévoile les moyens de les prévenir, de les combattre, ou mieux, de les éviter.


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    Le Notaire, par Gilbert-Martin (Le Don Quichotte)

                           1 Le Notaire, par Gilbert-Martin (Le Don Quichotte).

     

    Romancerie. Un bien joli mot qui a disparu de nos dictionnaires contemporains savants, y compris celui de l’Académie française. Pis, il est inconnu de mon correcteur orthographique Word qui le souligne en rouge ! Pourtant, autrefois, il se disait d’une collection de romans : « L’Arioste emprunta à la romancerie française les enchantements et les prophéties de Merlin » (M. J. Chén., dans le Nouveau dictionnaire de la langue française de Louis Dochez, 1861). Aujourd’hui, je vais le ressusciter pour désigner les romans populaires écrits en prose et dont le héros est notaire (ou se destine au notariat). De tels romans existent, quand bien même le notaire est l’une des personnes qui suscite le moins l’imagination. J’en ai déniché plus d’une dizaine sur la « toile », qui peuvent se revendiquer du label littérature populaire (les plus courts, souvent publiés dans des journaux, portent le nom de nouvelles). Pour cette raison, ils sont exclus des programmes des collèges, lycées et Facultés de Lettres, et méprisés de nos quarante membres encore en vie (plus que trente-sept en août dernier) de l’Académie française, qui se réunissent le jeudi à quinze heures (j’ai un peu honte de l’avouer, mais je préfère de beaucoup les romans pleins de substances mortifères de Stephan King à ceux de nos gens de lettres immortels comme les anges et les démons!).

     

    Je précise toutefois que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire ou de parcourir tous ces romans, à l’exception des plus anciens, qui sont en libre accès gratuit (free access) sur le site gallica.bnf.fr. J’attends donc de les dénicher dans un vide-grenier de quartier pour les acheter vingt ou cinquante centimes pièce, après longue négociation (j’ai pu l’an passé, pour moins de dix euros, y acheter la collection complète de Signes de Piste que je rêvais de lire depuis ma jeunesse !). Aussi les éventuels résumés que je donne peuvent-ils être empruntés à la quatrième de couverture (le dos du livre) où l’éditeur résume souvent en quelques lignes l’ouvrage et présente son auteur.

     

     

     

     

     

    Le nez du notaire, d’Edmond About, 1871 (Collection Nelson. Illustration de R. Skelton)

    2 Le nez du notaire, d’Edmond About, 1871 (Collection Nelson. Illustration de R. Skelton).

     

     

    J’ai déjà consacré dans la rubrique des « Gens de justice » de ce blog, le 8 septembre dernier, une page complète au roman d’Edmond About « Le nez d’un notaire », publié en 1871, plein d’humour et de dérision, au style élégant et enlevé, qui nous invite à réfléchir sur la chirurgie, la solidarité humaine et l’union des classes sociale (voir le chapitre 33: Le nez d'un notaire, d'Edmond About). Je ne l’évoque donc, aujourd’hui, que pour l’image de la première de couverture de l’une de ses éditions. En effet, il y a encore quelques années, les éditeurs de romans populaires ne rechignaient pas à rogner sur leur marge bénéficiaire en agrémentant la couverture de leurs livres de dessins ou de photographies.

     

     

     

     

    Le petit notaire, par Jean de La Varende, 1944 (Maximilien Vox. Illustrations de Raymond Haasen).

    3 Le petit notaire, par Jean de La Varende, 1944 (Maximilien Vox. Illustrations de Raymond Haasen).

     

         Jean de La Varende (1887-1959) est issu d’une famille aisée de la noblesse normande. Élu à l’académie Goncourt au fauteuil de Léon Daudet, le 16 décembre 1942, il en démissionna deux années plus tard, las des campagnes visant les écrivains ayant écrit, sous l’Occupation, dans des journaux supposés collaborationnistes. Cela ne l’empêchera aucunement d’être toujours apprécié du public et de continuer à écrire de nombreux romans (une vingtaine), des biographies (une dizaine), des monographies, et de courtes nouvelles (plus de deux cents).

     

         Parmi ces nouvelles, Le petit notaire,  paru en 1944, à Paris, chez Maximilien Vox, où il évoque le terroir normand avec un notaire, ses notables et ses paysans. Le texte et les illustrations de l’édition originale, tirée à 130 exemplaires, étaient réunis dans un étui portefeuille de cuir noir de notaire, surpiqué de fil vert olive, et fermé par une plume d’oie. La nouvelle a été rééditée, en 1955, dans Eaux vives, et, en 1961, dans Seigneur ! Tu m’as vaincu…

     

     

     

     

     

    Quand un notaire est amoureux, d’Éliane Noël (Collection Notre Cœur - Éditions Chantal – 1942)

    4  Quand un notaire est amoureux, d’Éliane Noël (Collection Notre Cœur - Éditions Chantal – 1942).

     

     

     

     

    Le notaire des noirs, de Loys Masson

    Le notaire des noirs, de Loys Masson (roman paru en 1961, réédité en Livres de Poche en 1969, année de la mort de son auteur, et en 1999 chez A. Dimanche, Marseille). 

     

     

    " Là-bas, sur la terrasse, où les bigaradiers (espèce du genre oranger) sont morts depuis longtemps, où il n'y a plus de géraniums, où l'odeur d'Aline s'est dissipée dans le vent, un clerc de notaire promène un enfant. Il ne sait pas que l'enfant va bientôt mourir et qu'il deviendra, lui, un vieillard froid et seul. " (introduction du roman).

     

    Pièce adaptée à la télévision. À l’origine, ce roman était une pièce écrite par Loys Masson, poète et romancier originaire de l’Île Maurice, entièrement réécrite en dialogue pour un film de la télévision diffusé en 1968, réalisé par Jean-Paul Carrère. Aucun extrait de ce téléfilm n’est accessible sur la toile, mais j’y ai trouvé une page complète d’un journal de programmes télés de l’époque (sans doute Télé 7 jours ou Télérama), dont j’extraits les deux premières rubriques rituelles suivantes :

     

    Le thème. Deux époux restés sans enfants se haïssent. Sur le tard, ils recueillent un petit neveu abandonné par ses parents. Malgré les tentatives maladroites de l’oncle et l’affection d’un vieil ami de la famille, surnommé le vieux notaire, l’enfant ne peut surmonter sa détresse morale et son désespoir dont il finira par mourir…

     

    Si vous avez manqué le début. Edgar Gébert, notaire attitré des Noirs, se souvient… En 1928, dans l’île Maurice, il était jeune clerc dans l’étude notariale de son oncle, Émile Galantier, lorsqu’un matin arrive André Jollet, son petit cousin abandonné par sa mère.

     

    Émile Galantie et sa femme accueillent André fort maladroitement et l’on comprend vite que la haine divise les époux. Edgard, lui, sent aussitôt qu’il aimera comme le sien cet enfant de huit ans à l’air maladif, que sa mère a abandonné ; le père de l’enfant un alcoolique condamné à la prison, lui, a dû s’expatrier à Madagascar. Edgard tient lieu de précepteur à son jeune cousin. Mais rien n’intéresse l’enfant excepté Madagascar et les navires qui pourraient lui ramener ce père qu’il adore et dont il a fait, dans son imagination, un héros, un révolutionnaire…

     

    La triste fin d’un enfant. La détresse morale et le désespoir de l’enfant seront tels qu’il finira par en mourir. Son cousin, désespéré et plein de remords de n’avoir su mieux aimer cet enfant, parce qu’il  restait soumis à son oncle auquel il devait succéder et était tombé amoureux de la femme d’un voisin, le capitaine Bruckner, renoncera à une brillante carrière pour n’être plus, jusqu’à la fin de sa vie, que notaire des noirs, dans la plus grande solitude. 

     

     

     

     

     

    Qui a tué le notaire ?, d’Yves Dermèze alias Paul Bérato (Paris : Société Anonyme d’Éditions Techniques et Littéraires, collection Haute-Police. 1945) 

    6 Qui a tué le notaire ?, d’Yves Dermèze alias Paul Bérato (Paris : Société Anonyme d’Éditions Techniques et Littéraires, collection Haute-Police. 1945).

     

     

     Le polar, à ne pas confondre avec le mot polard, synonyme de bûcheur, qui, dans le jargon de certaines écoles supérieures et facultés, désigne l’étudiant qui passe tout son temps dans ses cours sans jamais s’intégrer aux divers groupes de ses camarades festifs, est le petit nom du roman policier, l’un des genres littéraires qui séduit le plus les lecteurs. En 2018, un livre sur 5 vendu en librairie était un polar, soit près de vingt millions de livres. Le premier festival du polar a eu lieu au Touquet-Paris-Plage, les 13 et 14 juillet 2019, sous le nom de Polartifice !

     

     

    Le notaire en polar. C’est précisément ce que nous a offert, en 1945, sous le pseudonyme d’Yves Dermèze, l’un des auteurs français les plus prolixes de ce genre et de celui des romans d’aventure, d’espionnage et de science fiction, Paul Bérato (1915-1989). Tout au long de sa carrière il utilisa de nombreux autres pseudonymes comme Michel Avril, André Gascogne Alain Janvier, Steve Evans, Francis Hope, Serges Mareges, Francis Richard, Paul Mystère (collectif), John Luck, Serge Marèges, Luigi Saetta, Martin Slang, Téka, Serge Valentin…

     

    Cet ancien enseignant et journaliste fut récompensé, en 1950, par le prix du roman d’aventures, et, en 1977, par le grand prix de l’imaginaire. Personne mieux que lui n’a pu dire ce qu’était la littérature populaire aimée d’une foule de lecteurs anonymes et bannie des censeurs académiques savants (mot synonyme de rasoir). Voici donc un extrait d’un entretien qu’il a échangé avec un amateur, H.D.F., publié sur le blog de Papy Dulaut, sous ce lien :

     

     

    http://www.papy-dulaut.com/2018/09/yves-dermeze-patronyme-paul-berato-1915-1989.html

     

     

    H.D.F. —  

     

    Vous êtes un auteur de… « littérature populaire » ? 


    Paul Bérato. — 

     

    Je crois qu’il n’y a plus de littérature populaire. Il y a simplement une littérature d’évasion. Ce n’est pas une question de qualité qui différencie cette dernière de l’autre. Un roman mal écrit est-il forcément populaire ? Un roman populaire est-il forcément mal écrit ? Dans la science fiction, par exemple, n’y a-t-il que du populaire ? La planète des singes, est-ce littéraire ? Pourquoi van Vogt ne le serait-il pas ?

     


    Il y a deux genres. Ce que vous appelez littérature « tout court » et ce qu’on peut appeler littérature d’évasion. En gros, on lit la seconde pour s’évader de la vie banale alors qu’on lit la première pour s’y replonger en étudiant les caractères des gens qui sont près de soi, qu’on voit tous les jours. Bizarrement, je dirais que les lecteurs « évasion » sont des imaginatifs, les autres pas. Mais peut-être est-ce le contraire ?


    Du point de vue qualitatif, ce qu’on appelait autrefois le roman populaire n’existe plus. Je crois pouvoir assurer que tout ce que j’ai écrit avant 1950 serait refusé par les éditeurs maintenant; non pas parce que ça ne serait pas au goût du jour, mais tout simplement parce que c’était trop mal écrit. L’évolution est évidente, depuis une vingtaine d’années, y compris dans la psychologie des personnages.
     

     

     

     

     

     

    Le bon, la brute et le notaire, de Luc Calvez (chez Alain Bargai, collect. Enquêtes & Suspense, 1994)

    Le bon, la brute et le notaire, de Luc Calvez (chez Alain Bargai, collect. Enquêtes & Suspense, 1994).

     

    Le visiteur ne frappa pas, il dégagea le pêne de la serrure en douceur. Lorsqu'il poussa la porte, tout se précipita. Un violent courant d'air fit comprendre à Kerlidec qu'il avait quelqu'un dans le dos. Déjà sa bouche était bâillonnée par une main calleuse qu'un gant de peau n'adoucissait guère, un gant qui sentait la marée, mais il n’eut pas le temps de réfléchir à ce détail…

     

     

     

     

    Un notaire peu ordinaire, d’Yves Ravey (éditions de Minuit. 2003)

    Un notaire peu ordinaire, d’Yves Ravey (éditions de Minuit. 2003).

     

     

    Madame Rabernak ne veut pas recevoir son cousin Freddy à sa sortie de prison. Elle craint qu’il ne s’en prenne à sa fille Clémence. C’est pourquoi elle décide d’en parler à maître Montussaint, le notaire qui lui a déjà rendu bien des services…

     

     

     

     

     

    Histoire ordinaire d'un notaire de campagne, de Joseph Barthen (Aéropage. 6/01/2005)

    Histoire ordinaire d'un notaire de campagne, de Joseph Barthen (Aéropage. 6/01/2005).

     

    Joseph Barthen, dans ce livre, décrit l’intimité familiale et la fonction de notaires ruraux (deux générations) dans la France du XXe siècle confrontée à diverses événements depuis les années 1930 jusqu’à la crise de la sidérurgie et les événements de Longwy en 1979.

     

     

     

     

    Les Actes, de Cécile Guidot (éditions JCLattès. Avril 2019).

                   10 Les Actes, de Cécile Guidot (éditions JCLattès. Avril 2019).

     

     

    Parmi les romans populaires dont le fond est tiré du notariat, rare sont ceux écrits par des notaires eux-mêmes. Sans doute parce qu’il est délicat pour un notaire tenu par sa fonction à la confidentialité de raconter sous forme d’anecdotes, tristes ou amusantes, ce qu’il a vu et entendu tous les jours.

     

    Pourtant dans son premier roman, Les Actes, paru en avril dernier, chez JCLattès, l’une d’entre eux (dzolé pour l’orthographe), Cécile Guidot, qui fut longtemps notaire assistante dans une grande étude de Paris spécialisée en droit de la famille, n’hésite pas à entraîner le lecteur dans les coulisses du notariat avec le personnage de Claire Castaigne, une jeune notaire à la mode (tatouée, roulant à moto, adepte des sites de rencontre, et lectrice passionnée de Marguerite Duras !). Le lecteur en manque d’imagination et de cancans peut donc y découvrir les joies et les peines quotidiennes des notaires, de leurs employés, et de leurs clients confrontés aux tracasseries juridico-formelles de la vie de tous les jours (achat d’un appartement, pacs, divorce, succession…). 

     

     

     

     

    Maitre Bernillon, notaire à Paris, par Aimé Giron (L’ouvrier, n° 1384, 5 novembre 1887)

    11  Maitre Bernillon, notaire à Paris, par Aimé Giron (L’ouvrier, n° 1384, 5 novembre 1887).

     

     

     

    La filleule du notaire, de Jacques Des Genêts (Collection Parisienne.1937).

    12 La filleule du notaire, de Jacques Des Genêts (Collection Parisienne.1937).

     

     

     

     

    Les doléances du notaire Poupart, de Carl Dubuc (Éditions du Jour, Montréal, 1961).

    13 Les doléances du notaire Poupart, de Carl Dubuc (Éditions du Jour, Montréal, 1961).  

     

    Si l’humour très particulier du Notaire Poupart fait rire, il donne aussi à penser; il risque même de blesser la famille du Notaire, ses amis, ses admirateurs, tous ceux qui, avant de lire ce livre, ne s'étaient pas rendu compte du ridicule d'une certaine pensée. Pour les rassurer, faudrait-il rappeler que, dans cette province, le ridicule n'a jamais tué personne... 

     


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    Un notaire à la rigolade (paroles de Ch. Blondelet & Léon Garnier, musique de Ch. Balanqué)

    1 Un notaire à la rigolade (paroles de Ch. Blondelet & Léon Garnier, musique de Ch. Balanqué).

     

     

    Le notaire en musique et images anciennes ? Quel curieux titre ! Décidément, ce prof’ de droit à la retraite, qui tient son blog les jours de pluie sur la Côte d’Opale (pas tous les jours, je vous en donne ma parole) dit encore n’importe quoi pour passer le temps pluvieux (ce matin, c’est quand même très pluvieux, mais quand il pleut le matin, avec un peu de chance, il ne pleut pas l’après-midi !).

     

    Pas si sûr ! La preuve avec les images de cette page.

     

    Pour commencer, cette partition non datée, de l’époque de nos arrières- arrières-grands-parents ou de nos grands-parents selon les circonstances, intitulée : Un notaire à la rigolade, une chansonnette créée par Gilbert (qui c’est celui-là ?) à l’Eldorado (ça n’existe même plus !), sur des paroles  de Ch. Blondelet & Léon Garnier, et une musique de Ch. Balanqué.

     

     

     

     

    Un grand clerc de notaire. Balançoire (Paroles d’Arthur Floquet, musique de Paul Blaquière).

    2 Un grand clerc de notaire. Balançoire (Paroles d’Arthur Floquet, musique de Paul Blaquière).

          

     

     

     

    Placid Currat, le notaire de Bulle, en costume de fonction, à une fête des vignerons de 1905, où il chantait : « Ranz des Vaches »  

     

    3 Placid Currat, le notaire de Bulle, en costume de fonction, à une fête des vignerons de 1905, où il chantait : « Ranz des Vaches ». 

     

     

    Les notaires portaient un costume comprenant un chapeau claque à plumes, un rabat blanc, un manteau à petit collet, une culotte courte, des bas de soie et des souliers plats. 

     

     

     

     

    L'amour médecin. La signature du contrat de mariage

    4 La signature du contrat de mariage par devant notaire (L’amour médecin, opéra-comique en trois actes de MM. Charles Monselet et F. Poise, d’après Molière. Dessin de M. Adrien Maris. Le théâtre illustré).

     

     

     

    Fortunio, Comédie musicale d’André Messager (1907)

    5 Fortunio, Comédie musicale d’André Messager (1907), sur un livret de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet, d’après Le Chandelier, une pièce d’Alfred de Musset (en 1861, Jacques Offenbach avait déjà composé une comédie musicale du même nom).

     

     

    Fortunio, un vieux notaire obèse (dans les écrits et dessins populaires de l’époque, le notaire est très souvent en surcharge pondérale à l’instar de députés et sénateurs qui, entre deux siestes de travail en Chambres, mangent beaucoup trop à l'occasion de repas informels remboursés une ou plusieurs fois !), a épousé la jeune et jolie Laurette. Il la surveille pour éviter que ne se reproduise la mésaventure survenue à son ancien patron, le notaire Maître André, avec sa jeune épouse Jacqueline.

     

     

     

    Pour masquer ses coupables amours, Jacqueline avait pris pour « Chandelier », Fortunio, alors tout jeune clerc de l’étude (selon le dictionnaire d’Emile Littré, « dans le langage de la galanterie, Chandelier est le nom de ceux qu'on a mieux nommé paravents, et que l'on rend l'objet de la jalousie du mari, lorsque c'est un autre qui courtise la femme »).

     

     

     

    Or la belle Laurette, l’épouse de Maître Fortunio, est aimée en secret par Valentin, le second clerc de l’étude qui n’ose lui déclarer sa flamme.

     

     

    En consultant des vieux papiers, Valentin et le petit clerc Friquet retrouvent la chanson que leur patron, Maître Fortunio, avait chantée, lorsqu’il était lui-même un jeune clerc de l’étude, pour séduire la jolie Jacqueline, l’épouse de son propre patron. Touchée par l'amour de celui-ci, Jacqueline avait fini par tomber dans ses bras.

     

     

    Valentin se demande si cette chanson ne pourrait pas opérer de nouveau son charme, et lui permettre de conquérir le cœur de Laurette, la notairesse. Le jeune clerc chante alors la chanson en présence de Laurette qui tombe aussitôt amoureux de lui, au grand dam de Maître Fortunio qui découvre son infortune.

     

     

    Quant aux autres clercs de l’étude, ils chantent également avec grand succès cette chanson magique auprès des jeunes femmes qu’ils désirent.

     

     

    J’ai déjà reproduit le texte des couplets de la chanson de Fortunio dans un récent passé (rubrique des « Gens de Justice », chap. 21 : Madame la notairesse en images anciennes). La voici interprétée par Paul Trépanier, un ténor canadien, en 1975.

     

    https://www.youtube.com/watch?v=1rFiLPwigBw

     

     

     

     

     

     

    Le Pré aux clercs, opéra comique en trois actes, musique de Ferdinand Hérold, paroles de Planard (1832)

    6 Le Pré aux clercs, opéra comique en trois actes, musique de Ferdinand Hérold, paroles de Planard (1832).

     

     

     

     

    Le Pré aux clercs de Ferdinand Hérold ne met pas en scène des clercs de notaire. Son intitulé fait seulement référence à la célèbre prairie de Paris où, depuis Philippe Lebel, se réunissaient chaque année, les clercs du Palais (le Parlement de Paris), ceux des provinces et leurs suppôts.

     

    C’est également dans cette prairie que les clercs du Palais jugeaient les différends qui s’élevaient entre eux.

     

     

    De plus, les étudiants de l’Université de Paris, eux-mêmes appelés clercs, venaient s’y détendre entre les cours, et parfois s’y battre en duel.

     

    Aujourd’hui, la rue du Pré-aux-Clercs, située dans le 7ème arrondissement, perpétue ces souvenirs.

      

    Dans l’opéra comique d’Hérold, c’est au Pré aux Clercs que l’un des personnages, Girot, possède une auberge et se marie avec Nicette, la filleule de la reine Marguerite de Navarre. C’est dans ce même lieu que s’affronteront en duel deux autres personnages : le marquis de Comminges et le jeune baron Mergy.

     

     

     

     

     

     

    Le Pré aux clercs d'Hérold

    7 Le Pré aux clercs d'Hérold. La mascarade de l'acte II dans une illustration du XIX° siècle.

     


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    Un notaire accusé de crime

    1 L’acharnement de la presse sur le notaire de Bruay-en-Artois (France Soir. Samedi 15 avril 1972).

     

    « Les crimes secrets ont les dieux pour témoins » (Voltaire, Sémiram, V, 8). Tous ceux de ma génération ont encore en mémoire l’affaire du meurtre de Brigitte Dewèvre, survenu dans sa seizième année, le 6 avril 1972, à Bruay-en-Artois (aujourd’hui, Bruay-la-Buissière). Étranglée et frappée avec un objet tranchant, le corps de l’adolescente avait été retrouvé dans un terrain vague de cette ville, à proximité de la maison de Monique Beghin-Mayeur, la fiancée de maître Pierre Leroy, un notaire célibataire connu de tous (ils se marièrent ultérieurement). Diverses personnes ont alors été, tour à tour, suspectées voire inculpées, avant d’être disculpées ou innocentées. À ce jour, le coupable n’a jamais été identifié et le crime est prescrit.

     

     

     

    Un notaire accusé de crime

    2  L’acharnement de la presse sur le notaire de Bruay-en-Artois (Choc. N° 36 du 19 au 26 juin 1972)

     

          Funeste succès. Près d’un demi-siècle plus tard, ce fait divers alimente toujours les médias en mal d’audience. D’une part, la radio (sur France Inter, le 20 janvier 2016 dans Affaires sensibles : « Le mystère de Bruay-en-Artois : la mort de Brigitte Dewèvre », et sur RTL, le 25 janvier 2017, dans L’heure du crime). D’autre part, la télévision, sur France 2, le 5 mars 2017, dans l’émission Faîtes entrer l’accusé (« Bruay-en-Artois : Le notaire et le petit juge ». En ligne sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=eTe68zkuZKY).

     

    Silence de prudence. De nouveaux livres y sont encore consacrés comme ceux de Daniel Bourdon, un ancien policier, au rythme d’un par an ! (Brigitte, histoire d’une contre-enquête : Retour sur l’affaire de Bruay-en Artois. Ravet-Anceau. 2017 ; Brigitte, acte II. Ravet-Anceau. 2018). L’auteur y prétend avoir identifié l’assassin, sans pouvoir dire son nom car le crime est prescrit depuis 2005 !

     

     

     

     

         40 : Des notaires accusés de crimes (2/2).         Un notaire accusé de crime

     

    3 L’acharnement de la presse sur le notaire de Bruay-en-Artois (La Cause du peuple. 1er mai 1972).

     

    « Le crime de Bruay : il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait ça… C’est la conviction des ouvriers de Bruay qui font leur enquête et surveillent la bourgeoisie, pour que la vérité éclate. » Le coupable du meurtre de la jeune Brigitte Dewèvre ne pouvait être que Pierre Leroy, selon ce titre fallacieux du journal d’extrême gauche maoïste La Cause du peuple, dans son numéro du 1er mai 1972, se référant fort hypocritement à des propos anonymes de la rue !

     

    Car en effet, Pierre Leroy, principal suspect de l’affaire, était un « notaire », pis encore, « richissime » selon le titre au vitriol d’un autre journal (France-Soir. 15 avril 1972, page 3 : « A l’heure ou Brigitte, 16 ans, a été tuée, le richissime notaire de Bruay n’a pas d’alibi »), alors que la victime, elle, faisait partie des familles ouvrières des corons (mines du Nord-Pas-de-Calais). C’est ainsi que l’on peut lire, dans le journal révolutionnaire La Cause du peuple, ces lignes, véritable appel au meurtre par la justice populaire au nom de la lutte des classes :

     

    « Pour renverser l’autorité de la classe bourgeoise, la population humiliée aura raison d’installer une brève période de terreur et d’attenter à la personne d’une poignée d’individus méprisables, haïs. Il est difficile de s’attaquer à l’autorité d’une classe sans que quelques têtes des membres de cette classe ne se promènent au bout d’une pique », « Oui nous sommes des barbares. Il faut le faire souffrir petit à petit ! (...) Nous le couperons morceau par morceau au rasoir ! (...) Il faut lui couper les couilles ! (...) Barbares ces phrases ? Certainement, mais pour comprendre il faut avoir subi 120 années d’exploitation dans les mines. »

                

     

     

     

    Jean-Paul Sartre et l'affaire de Bruay-en-Artois

    L’entrée en scène, par la porte de secours, de Jean-Paul Sartre (source de la photographie : wikipedia).

     

    « Lynchage ou justice populaire ».  Le journal La Cause du peuple était le lointain héritier du journal du même nom créé par  George Sand lors de l’insurrection populaire parisienne de juin 1848, et il fut le géniteur de l’actuel quotidien Libération, créé sur ses cendres le 18 avril 1973, et dont Jean-Paul Sartre sera le premier directeur, avant d’en laisser la direction à Serge July, de 1973 à 2006. Journal de l’extrême gauche maoïste, anti-autoritaire, le journal La Cause du peuple était soutenu par Jean-Paul Sartre, son directeur du 1er mai 1970 au 1er mai 1971, le normalien André Glucksmann, ou encore Simone de Beauvoir et les philosophes Louis Althusser et François Ewald.

     

    Ses journalistes, rédacteurs ou éditorialistes s’emparèrent  de l’affaire de Bruay en stigmatisant la classe bourgeoise, représentée par le notaire Pierre Leroy, exploiteur du petit peuple, lui-même représenté par Brigitte Dewèvre, sa famille et les mineurs du coron. Ce combat, sous des titres et articles ambigus fut aussitôt traduit comme un appel au lynchage populaire du notaire Pierre Leroy. Aussi Jean-Paul Sartre, jugea-t-il prudent de prendre ses distances en publiant un article, bien hypocrite, dans le même journal sous le titre « Lynchage ou justice populaire. » En voici un extrait :

     

    «… il est impardonnable que La Cause du peuple n’ait pas fait suivre le texte que la ville ouvrière de Bruay [lui] a donné dans son dernier numéro d’une  discussion où l’on aurait tenté d’établir sa valeur et sa portée générale au niveau du peuple tout entier, c’est-à-dire de la justice populaire. Il aurait fallu montrer que la haine légitime du peuple s’adresse au notaire pour ses activités sociales, comme ennemi de classe caractérisé et non à Leroy, assassin de la petite Brigitte, pour la raison que l’on a pas encore prouvé qu’il l’ait tuée… On a voulu faire ces quelques remarques, non pas pour défendre Leroy (que personnellement je crois coupable et sur qui pèsent de lourdes présomptions), mais pour susciter un débat non seulement sur les mineurs de Bruay dont nous nous sentons solidaires, mais avec des lecteurs d’autres lieux ou d’autres catégories sociales ».

     

     

     

     

    le petit juge Pascal

    5. Le Petit juge Pascal (photo extraite des archives audiovisuelles de l’INA).

     

         C’est dans ce contexte de lynchage médiatique et/ou populaire du notaire de Bruay-en-Artois que le premier juge d’instruction de Béthune, Henri Pascal, surnommé par la presse « le petit juge Pascal », dût poursuivre son instruction de l’affaire. Il inculpa alors Pierre Leroy, le 13 avril 1972, pour homicide volontaire et le fit écrouer. Le 13 juillet suivant, il fit également inculper et écrouer sa fiancée, Monique Beghin-Mayeur, sa compagne, une femme mariée en instance de divorce. La conviction du juge Pascal quant à leur culpabilité s’était forgée suite à deux faits. D’une part, le témoignage d’une voisine qui avait aperçu la voiture du notaire, ainsi qu’un homme en col roulé parlant avec la jeune Brigitte, près de la maison de la compagne de maître Leroy, contiguë au terrain vague où l’on retrouva le corps de la victime. D’autre part, les explications contradictoires et embarrassées de Pierre Leroy et de sa compagne.

      

    Seulement, l’absence de preuves plus conséquentes (lors d’une reconstitution, le témoin ne reconnut pas Pierre Leroy bien plus corpulent que l’individu au col roulé), conduisit la Cour d’appel d’Amiens, le 18 juillet 1972, à les libérer. Et, quelques jours après, la Cour de cassation dessaisissait le juge Pascal de ce dossier pour le confier à un juge parisien : Jean Sablayrolles.  

     

    Sur ce, un nouveau coup de théâtre se produisit, le 18 avril 1973. Jean-Pierre Flahaut, un orphelin désorienté, âgé de 17 ans, ancien camarade de Brigitte Dewèvre, avoua aux enquêteurs être l'auteur du meurtre (il avait été suspecté au début de l’enquête). Il indiqua notamment aux enquêteurs avoir caché chez son frère les lunettes de la victime, qui y furent effectivement retrouvées. Il fut aussitôt inculpé par le juge Jean Sablayrolles qui ne prononça pas pour autant  un non-lieu en faveur de Pierre Leroy. Jugé à huis clos devant le tribunal pour enfants de Paris, le jeune Jean-Pierre Flahaut, qui avait été finalement relâché, sera acquitté au bénéfice du doute le 15 juillet 1975. La décision sera  confirmée par la Cour d’appel de Paris, le 25 février 1976. De manière étonnante, Maître Kiejman, l’avocat de la partie civile (les parents de Brigitte Dewèvre), avait plaidé pour la relaxe de celui-ci (les parents de Brigitte Dewèvre ne croyaient pas en la culpabilité de Jean-Pierre Flahaut).  

     

    De son côté, le juge Pascal sera inculpé pour violation du secret de l’instruction à l’occasion de ses déclarations théâtrales aux micros des journalistes. Il déclarera alors à ces mêmes journalistes, le 22 août 1974, en sortant du cabinet de M. Le Saoul, président de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de  Rennes :

     

    « Je suis le seul inculpé de l’affaire de Bruay. En fin de compte, ce n’est pas banal. Le jeune Jean-Pierre n’est que prévenu, et j’ai eu droit à deux inculpations, l’une pour violation du secret professionnel et l’autre du secret de l’instruction. Mais ne croyez pas que je vais en perdre ma bonne humeur et mon allant […]. Maintenant je vais aller me reposer, je me suis levé à cinq heures du matin pour venir à Rennes, mais je reviendrai ; nous nous retrouverons. Je parlerai encore car je n’ai vraiment pas l’intention de me taire ».

     

    Plus tard, le juge Pascal sera nommé conseiller à la Cour d’appel de Douai, et il prendra sa retraite en 1986. Il s’est éteint, à Lille, le 1er mai 1989, dans l’indifférence quasi générale de la presse et de ses journalistes.

     

     

     

    Maître Pierre Leroy, le notaire de Bruay-en-Artois (Paris Match. N° 1252. 5 mai 1973).

          6 Maître Pierre Leroy, le notaire  (Paris Match. N° 1252. 5 mai 1973). 

     

    Quant au notaire, Pierre Leroy, après avoir bénéficié d’un non lieu définitif, le 30 octobre 1974, par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris, non lieu confirmé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il obtint réparation de l’État, le 21 octobre 1977, pour avoir été détenu à tort du 13 avril au 18 juillet 1972.

     

    Il reprit sa charge notariale à Bruay, jusqu’à sa mort, suite à un malaise cardiaque, survenue à l’âge de 62 ans, le 26 octobre 1997, au Touquet, sur la Côte d’Opale où il résidait avec son épouse, lui  aussi dans l’indifférence quasi générale de la presse et de ses journalistes.

     

     

     

     

    La jeune Brigitte Dewèvre, victime d’un crime jamais élucidé

    La jeune Brigitte Dewèvre, victime d’un crime jamais élucidé (photo extraite des archives audiovisuelles de l’INA). 

     

    Naufrages judiciaires. L’affaire du meurtre de Brigitte a été définitivement classée sans suite en 1981, et le crime prescrit en 2005.

     

     Cette triste affaire, comme celle d’Outreau pour des abus sexuels commis sur des enfants entre 1997 et 2000, et celle du meurtre du petit Grégory Villemin, en 1984, nous a éclairés, si ce n’est sur les auteurs de leurs actes, au moins sur l’action nocive de certains journalistes de presse et la déroute de basochiens (juges et avocats). Toujours est-il qu’aujourd’hui  les juges d’instruction fuient les micros des journalistes comme la peste.